Juliette Bouchery : « ce n’est pas une fois que l’on a tout perdu qu’il faut se mobiliser ! »

À quelques jours d’une manifestation contre la réforme de l’assurance-chômage [vendredi 23 avril], Le Peuple breton publie un nouveau portrait d’occupante du Grand Théâtre de Lorient, celui de Juliette Bouchery, comédienne et auteure. Après Clara, Élie, Will et Émilie, une nouvelle facette de la précarité y est exposée.

« Jusqu’à présent, j’ai peu dormi ici car je n’étais pas libre », tente de justifier Juliette Bouchery. Elle est pourtant partout, discrète mais efficace. « J’ai su qu’il y avait une occupation lors d’une réunion à Port-Louis où j’habite. Je suis venue ». Comme une évidence, inutile d’en rajouter. Juliette est comédienne, mais elle précise avoir « plus vécu de traductions ». « Je jouais en pointillés », explique-t-elle. N’ayant jamais eu ses heures pour être intermittente, elle n’a pas touché le chômage. « Quand on est comédien, traducteur et auteur, on est un combo de précarité », sourit-elle. « Pendant 20 ans, j’ai traduit des Harlequin. Ils ont fini par me lâcher ! En 2017, j’ai dû prendre un prêt pour payer les études de ma fille et depuis, j’ai vivoté avec un spectacle par-ci et une traduction par-là. Et le RSA évidemment… »

On entend régulièrement des gens dire que les allocataires du RSA sont des fainéants. Leur discours changerait sans doute s’il rencontrait Juliette tant elle s’active dans cette occupation du Grand Théâtre à Lorient. « Je participe aux actions quartiers où je recueille les paroles des habitants. Je danse, je chante. Je prends aussi des notes pendant les AG et je fais des compte-rendus ». À l’instar des salariés du monde du travail moderne, Juliette est « polyvalente ». Le lendemain de notre entretien, Juliette sera en cuisine : « nous avons reçu un énorme don en nature de la part de maraîchers. Des cageots de légumes et des œufs. Quelques restaurants nous ont aussi aidés, en particulier la Taverne du Roi Morvan. » Des dons en nature savoureux pour les occupants ! Et qui font chaud au cœur. Juliette s’inquiète tout de même : « cuisiner pour 50 personnes, c’est un peu de pression ! »

Depuis le mois dernier, elle touche sa retraite. Elle en a donc moins, de pression. « J’ai même de la peine à y croire. Mais je continue à travailler ici ou là. Je traduis des films par exemple. » Juliette a écrit deux pièces qui ont été jouées. « Si on arrive à publier, on a un contrat par texte, en droits d’auteurs. » On ne parle pas souvent des auteurs tant ils sont peu nombreux à vivre de leur plume. « J’ai coécrit une série, mais elle n’a pas été vendue », explique Juliette. Si bien que tout le travail réalisé n’est pas rémunéré. « Cela dit, ça bouge un peu. J’appartiens à une association qui s’appelle l’ARBRE (Auteurs et réalisateurs de Bretagne). La Région Bretagne commence à discuter de la question d’un revenu d’auteur. »

Globalement, Juliette considère que le marché du travail, de nos jours, est « effroyable ». « Ma fille et son compagnon sont luthiers, mais ils envisagent de changer de travail. Il faut bien payer le loyer ! Dans le marché de l’emploi, il y a un vrai problème de sens. Les embauches « kleenex » créent beaucoup de désarroi. La période est vraiment dégueulasse pour les plus jeunes ». Elle ajoute : « Beaucoup de boîtes vont fermer. D’autres vont profiter du climat pour baisser les salaires. Les conditions de vie se dégradent. J’ai lu récemment que les gens qui ont leur diplôme pendant les années de récession en pâtissent toute leur vie. Quel avenir réserve-t-on aux plus jeunes ? » Elle qui désespérait de ne voir que des « vieux de la vieille » s’engager, elle constate pourtant que la jeunesse se mobilise, « notamment dans les marches pour le climat ». « Mais les manifestations ne dérangent pas trop le pouvoir », regrette-t-elle.

Juliette rêverait « d’une société où l’on s’occupe les uns les autres ». « Possible ? Je ne sais pas, mais il faut au moins essayer. Réfléchir à la façon dont on travaille, dont on vit, dont sont réparties les richesses. Il est clair que ce ne sont pas les décideurs actuels qui nous permettront ça. » L’occupation du Grand Théâtre la comble car on y parle bien de toutes les précarités. « Je n’aurais pas aimé une mobilisation sectorielle. » Comment mobiliser plus ? « Si les gens perdaient plus, seraient-ils plus présents ? Je ne sais pas. Mais ce n’est pas une fois que l’on a tout perdu qu’il faut se mobiliser ! »

Elle fustige pour conclure notre entretien « les médias dominants » et « les journalistes maîtres à penser qui véhiculent des évidences qui n’en sont pas. » « Quand il n’y a pas d’informations justes et sincères, il n’y a pas de démocratie », assène-t-elle. Avant cet entretien, Juliette n’avait jamais entendu parler du Peuple breton. Ni de sa devise depuis 1964 : « Aujourd’hui, être libre, c’est être informé » !

 

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> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]