Au moment d’aborder Émilie pour un portrait, elle hésite. « Je ne suis pas la plus légitime pour parler ». Cette question de la légitimité, on la retrouve dans la bouche de beaucoup d’occupants ou de soutiens à l’occupation. Pourtant, à l’instar de Clara, Élie ou Will dont Le Peuple breton a déjà écrit les portraits, la comédienne Émilie Launay-Bobillot a elle aussi des choses à dire…
« Je ne suis arrivée que samedi dernier… et je suis restée tout le week-end ». Habitante de Vannes, Émilie constatait qu’il ne se passerait rien sur son territoire et décide qu’il vaut mieux renforcer une occupation existante plutôt qu’ouvrir un nouveau au risque de diviser les forces. « Les occupants de Lorient m’ont demandé de porter la parole des soignantes et soignants parce que je crée un spectacle sur ce sujet. En tant que comédienne, j’ai été un porte-voix. C’était très valorisant. Mon métier me permet de le faire ».
À Vannes, Émilie se sentait « un peu isolée ». « Ce que je cherche ici, c’est aussi de rompre avec un an de solitude, de faire des rencontres. » Arrivée en Bretagne, il y a 7 ans, elle estime n’avoir pas pu rencontrer beaucoup d’artistes au-delà de ses spectacles. « Je m’énerve dans ma cuisine sur ce qui ne va pas. Venir ici, c’est partager, avoir un retour sur ce que je dis. Je ne tourne pas en rond, mes idées s’élargissent. En face de moi, je trouve des gens qui ont réfléchi au sujet depuis des années. Moi, je débarque et ils me donnent des billes. »
Émilie a besoin de dialoguer, comme dans son métier, le théâtre. De vraiment dialoguer. « Et je ne parle pas des réseaux sociaux ou de la presse ! Quand tu lis, tu es spectateur [coucou lecteurs ! ndlr]. J’adore, mais j’ai aussi envie d’être actrice ! Ça tombe bien puisque c’est mon métier. Je n’ai pas vécu d’AG. Je n’ai donc pas les codes. Si on lit seulement des articles, on ne se rend pas vraiment compte de ce qui se passe. Il faut venir. Tu formalises tes idées en les exprimant. u engages ta parole, ta pensée. J’écoute des gens différents et je me rend compte qu’il n’y a pas que moi qui ait besoin de parler. »
Venue le week-end, Émilie avait du temps. Du temps qu’elle a pris pour discuter. « J’en ai marre des réseaux virtuels. Pourtant, j’ai encore du mal à dire « nous » dans cette lutte. Il faut que je revienne pour me sentir légitime. Là, je me sens juste en coup de main, pas au travail. » Elle souhaite bien sûr que les revendications de ce collectif d’occupants [l’opposition à la réforme de l’assurance-chômage et à la précarité] puissent être entendues. « Je suis directement touchée par l’intermittence et scandalisée par l’état du monde du travail. AESH, animateur ou animatrice, aides soignants et soignantes. Étant intermittente, je vois le calme que ça a pu générer chez moi : de la visibilité. Cela permet de se poser, de rêver, d’imaginer. Donc j’imagine très bien ce que veut dire ne pas avoir cet horizon. Quand tu te fais bouffer ton URSAFF, que tu ne sais pas si tu peux bénéficier de tes congés maternité. Je n’ai pas de solution, mais il faut trouver, d’une manière ou d’une autre, une façon de ne pas être guidés par la pauvreté. Elle te donne une façon de penser et d’agir. Une seule logique : en sortir ! Tu n’as pas d’espace pour faire autre chose. C’est un temps complet ! Tu passes moins de temps à t’occuper de tes enfants, à t’occuper de l’état de la planète, d’occuper un théâtre ! »
Émilie a conscience d’être comédienne parce qu’il y a eu un accès à la culture pour tous. « J’ai démarré dans une école associative. Et j’ai bossé. Je n’ai pas une vision romantique de l’artiste. Les acteurs que j’admire bossent beaucoup. Ils lisent, ils écrivent, ils rencontrent des gens, échangent… Je n’ai pas un don qui me permet d’avoir un statut privilégié. J’ai du plaisir à travailler, mais je fais des heures ! Apprendre mon texte ne suffit pas. Un danseur, un circassien, ça cache sa technique et ça, ça prend du temps à maîtriser. » De même, se préparer pour jouer devant un public, ce n’est pas « répéter ». Et Émilie, comme de nombreux autres comédiennes, musiciennes, danseuses (…) ne le fait plus en ce moment, faute de spectacles. « Ce que je peux maîtriser dans mon travail, c’est ma méthode. Il n’y a pas qu’une façon de travailler. » De même, il n’y a pas qu’une façon de penser. « Même mes réponses à tes questions montrent que mes idées ne sont pas encore mûres, pas abouties », conclue Émilie. En très bonne voie en tout cas…