Élie Durousseau : « je suis en pleine repolitisation »

Élie est circassien. Arrivé le premier jour de l’occupation du Grand Théâtre de Lorient, il fait aujourd’hui partie des piliers du mouvement qui dure depuis 29 jours, comme Clara Diaz Marquez. Le Peuple breton lui consacre un portrait.

Élie vit à Melrand, dans une caravane, sur une ferme maraîchère. Il aime cette vie alternative, mais il a conscience aussi de sa précarité. « Je suis en pleine repolitisation. Je me refais une culture militante. C’est un monde qui m’attire. Pendant longtemps, c’est resté très théorique pour moi, mais depuis quelques mois, je me suis dit qu’il fallait que je mette mes actes en conformité avec mes idées. J’ai organisé avec Étienne une manifestation à Pontivy, juste avant le 4 mars, date de l’occupation du théâtre de l’Odéon à Paris. Elle était centrée sur des problématiques propres au monde du spectacle », explique Élie.

La convergence entre le monde du spectacle et le mouvement plus général sur l’assurance-chômage lui plaît. « J’y ai trouvé du sens », s’enthousiasme-t-il. Élie découvre alors la coordination des intermittents et précaires (CIP) qui existe depuis 2003. « On parle tout le temps des intermittents comme si c’était hors-sol, une sorte de statut particulier du fait qu’ils exercent un Art. Pour moi, c’est un métier comme n’importe quel autre ! Il a ses spécificités propres. Le fonctionnement de l’intermittence est lié à un rapport à l’emploi. Ce n’est pas une question d’artistes ou de techniciens, mais d’emplois discontinus. Ce n’est donc pas unique au monde du spectacle ! » La démonstration est éloquente car en effet, intermittents du spectacle et intermittents de l’emploi fonctionnent sur le même schéma. À partir de ce moment-là, il est légitime et juste que les règles de chômage soient les mêmes.

Élie n’a pas toujours travaillé dans le monde du spectacle. Il été enseignant d’histoire-géographie, a évolué dans le bâtiment également. Grâce à un concours de circonstance, il rejoint une compagnie de cirque. D’une certaine façon, inconsciemment ou non, il fait déjà de la politique en proposant, via son association, des spectacles à la campagne pour pas cher. « Mon métier n’a rien à voir avec le génie ! Je suis circassien car je ne fais pas que du spectacle. Je monte et loue des chapiteaux par exemple. Mais il n’y a pas l’artiste d’un côté et les autres métiers de l’autre. À tel moment j’ai la casquette d’artiste, à tel autre celle de prestataire, technicien ou administratif ».

L’une des choses qu’attend Élie de ce mouvement d’occupation des scènes nationales, c’est de tisser du lien social en vue d’éventuelles luttes futures. « Les agoras redonnent leur rôle politique aux espaces publics. Chacun peut s’exprimer sur ce qu’il vit, mais aussi sur des idées politiques plus larges », confie Élie. La repolitisation reste donc son objectif. « Pour le moment, admet-il, on touche des gens déjà convaincus. Une des actions les plus pertinentes que nous avons mis en place, c’est paradoxalement de s’éloigner du théâtre pour aller vers ceux qui n’y viendraient pas spontanément. »

Dans ce mouvement, Élie s’est trouvé une place : il est entre autre chose l’un des M. Loyal (avec Guillaume) des agoras. « C’est un rôle que j’ai accepté volontiers. Il y a une dépolitisation d’énormément de gens. Les idées ne circulent plus. Or, la politique, c’est avant tout de parler, de se parler, d’être exposés à d’autres idées que les siennes. Cela est menacé en ce moment et depuis des années. J’hallucine de lire que l’UNEF pourrait être dissous ! On se sert de tous les prétextes pour attaquer les syndicats qui défendent les salariés ou les étudiants. Et pendant ce temps, le gouvernement reçoit des youtubeurs qui ont des difficultés à prendre l’avion ! »

Élie regrette que le citoyen n’ait aucun rôle dans les institutions actuelles. « En 2003, Jean-Pierre Raffarin a dit que la rue pouvait s’exprimer, mais que ce n’était pas elle qui gouverne. Depuis, même la rue ne peut plus s’exprimer. Je n’ai pas participé aux gilets jaunes, mais que leur a-t-on dit au fond ? « On n’en a rien à foutre de vous ! » Le covid, de ce point de vue, a été une arme parfaite pour faire taire les gens ! »

Alors, avis aux amateurs : le théâtre de Lorient vous propose de vous exprimer lors des agoras. Venez à la rencontre des occupants ! La curiosité est la meilleure manière d’apprendre.

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> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]