Haïti. Un consensus international difficile à obtenir

Adama Dieng, ici en 2017 à Tshikapa, en République démocratique du Congo © MONUSCO / Biliaminou Alao (CC BY-SA 2.0 )

« Pris en otage, Haïti se meurt. Agissons maintenant », c’est le titre d’une tribune qui se suffirait à lui-même. Ce texte d’Adama Dieng est paru le 1er janvier dans les médias africains, cosigné par des chefs d’État et des personnalités internationales, pour alerter sur la catastrophe en cours en Haïti. Si le pays s’invite régulièrement dans l’actualité internationale, la situation est toujours aussi inextricable et l’inaction de la communauté internationale interroge les spécialistes du sujet. Voici le deuxième volet de notre dossier consacré à Haïti.

Haïti s’écrit Ayiti en créole. Grand comme la Bretagne mais avec 2,5 fois plus d’habitants (11,9 millions en 2021 selon l’Institut haïtien de statistique et d’informatique), c’est le seul territoire francophone indépendant des Caraïbes, occupant le tiers ouest de l’île d’Hisponiola.

Une tribune pour appeler la communauté internationale à agir

À l’occasion du 219e anniversaire de l’indépendance d’Haïti vis-à-vis de la France, le journal sénégalais Sud quotidien et d’autres médias africains ont publié le 1er janvier une tribune appelant la communauté internationale à se mobiliser. Son initiateur, Adama Dieng (en photo) est un spécialiste de l’État de droit : expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Haïti entre 1995 et 2000, il a ensuite été nommé conseiller spécial pour la prévention du génocide (2012-2020) puis greffier du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR, 2001-2012).

L’île d’Hispaniola, appelée également Saint-Domingue ou Haïti, avec la République dominicaine à l’est et celle d’Haïti à l’ouest © UNHCR

Il a entrainé dans sa démarche une trentaine de personnalités internationales et des chefs d’État, dont Macky Sall, président du Sénégal et président de l’Union africaine, José Ramos-Horta, président du Timor oriental et corécipiendaire du prix Nobel de la paix en 1996, ou Michaëlle Jean, ancienne gouverneure générale du Canada et ancienne envoyée spéciale de l’UNESCO pour soutenir les efforts de reconstruction en Haïti (2010-2014).

Une aide militaire internationale ?

Dans notre numéro de février, le magazine Le Peuple breton donne longuement la parole à Black Dieuseul Desroses, professeur d’histoire et de géopolitique à l’université américaine des sciences modernes de Port-au-Prince. Celui-ci décrit l’état de crise permanent dont souffrent Haïti et ses habitants tout au long de l’histoire. Il analyse la situation géopolitique dans la région, le rapport aux États-Unis, et estime « évident qu’Haïti ne pourra pas sortir seule de ce trou noir sans l’aide de la communauté internationale ».

Le degré d’urgence est dépassé malgré les alertes répétées. Le gouvernement haïtien en appelle à l’aide militaire internationale. Dans un communiqué diffusé le 9 octobre 2022, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres « exhorte la communauté internationale, y compris les membres du Conseil de sécurité, à examiner en urgence la demande du Gouvernement haïtien de déployer sans délai une force armée spécialisée internationale pour faire face à la crise humanitaire. »

La rue du Monseigneur-Guilloux dans le centre de la capitale Port-au-Prince. Au fond peuvent être aperçues les ruines de la cathédrale., détruite lors du séisme de 2010 © Bdx (CC BY-SA 4.0)

Cet appel d’Haïti relayé par l’ONU ne fait pourtant pas consensus. Si certains États comme le Mozambique, le Ghana ou l’Albanie l’appuient sans réserve, d’autres se montrent plus prudents.

En l’absence de consensus, un soutien à la police et une réforme de la justice

Lors du Conseil de sécurité de l’ONU le 24 janvier dernier, le représentant de la République dominicaine Roberto Álvarez Gil a évoqué les sérieuses difficultés de son pays à sécuriser sa frontière terrestre avec Haïti, où l’État de droit à disparu. Pour autant, il a rappelé « l’héritage douteux » des précédentes missions de l’ONU en Haïti, et estime que cette demande d’aide militaire demeure « sans feuille de route claire ».

Pour le représentant canadien Bob Rae, il faut faire les choses différemment que par le passé : « Toutes les solutions doivent être dirigées par les Haïtiens et leur appartenir afin de renforcer les institutions haïtiennes et d’assurer un impact durable ». À ce stade, le Canada préfère donc renforcer le soutien à la police nationale, en sous-effectif. Il est suivi en cela par les États-Unis, par la voix de leur représentant Robert A.  Wood : « S’il n’y a pas d’efforts sur le plan sécuritaire, alors les avancées dans d’autres secteurs, comme l’humanitaire et l’économie, ne seront pas possibles. »

Finalement, la tribune initiée par Adama Dieng résume la complexité des choix à faire ; un passage en particulier :

« À la lumière des échecs passés, on peut honnêtement se demander si une intervention militaire étrangère en Haïti apporterait une solution durable. Dans tous les cas, l’inertie n’est pas une option.
Toute intervention doit revisiter l’histoire et en tirer les leçons, donner la priorité à la sécurité, promouvoir et soutenir activement la justice tout en contribuant à renforcer la confiance et la bonne gouvernance.
La situation doit être abordée dans son ensemble, sans délai. Ce que la communauté internationale fera ou ne fera pas est d’une importance cruciale. »
Extrait de la tribune « Pris en otage, Haïti se meurt. Agissons maintenant »

Françoise Ramel, avec la rédaction

> Françoise Ramel

Rédactrice. Diplômée en pratiques sociales, retraitée du ministère de l'Agriculture, Françoise Ramel se consacre au développement local et à la mise en relation d’artistes de Bretagne, d'Europe et d'Afrique. Elle est présidente de Timilin, une association de promotion du patrimoine matériel et immatériel en Centre Bretagne, et représente depuis 2007 la fédération bretonne de Patrimoine-Environnement. Bénévole à Radio Bro Gwened depuis une vingtaine d’années, elle a lancé sa première émission, « Femmes de caractères », en 2020. Radio donc, podcasts, mais aussi écriture : elle anime le blog « Plan B » depuis qu'elle a été lauréate en 2014 du concours international Mondoblog, la superplateforme de blogueurs francophones portée par Radio France internationale (RFI). Elle écrit aussi pour le magazine Le Peuple breton et pour les médias en ligne Eco-Bretons, Music in Africa et Unidivers. [Lire ses articles]