Depuis plusieurs années déjà, la critique des résidences secondaires est revenue en force en Bretagne. Le Peuple breton et l’UDB ont beaucoup travaillé sur le sujet (voir ici et ici) et cherché à alerter les responsables politiques. Le collectif indépendantiste Disparc’h, quant à lui, a permis de faire passer cet enjeu à l’échelle hexagonale grâce à des actions « coup de poing » très médiatisées (voir ici). L’été dernier, des mystérieux tags avaient également été réalisés sur les mairies de différentes communes illustrant le nombre et le pourcentage de logements secondaires. Mais un autre phénomène relativement récent et plus insidieux encore pose également problème : Airbnb.
La question du logement en Bretagne est épineuse. Certes, les prix ne sont pas (encore) ceux de Paris, mais généralement, les journalistes parisiens oublient de dire que les loyers et – pire encore – le foncier bretons sont complètement déconnectés du salaire moyen. Pour le dire vite, la part du salaire pour acheter ou louer est élevée. On comprend dès lors l’agacement vis-à-vis des logements inoccupés. Les résidences secondaires ont été pendant de longues années et sont encore aujourd’hui un bouc-émissaire parfait puisqu’elles symbolisent la richesse venue de l’extérieur comparée à la difficulté de logement du quotidien. Mais le monde bouge et les choses se complexifient.
D’abord parce que ces dernières années, le marché de la résidence secondaire en Bretagne n’était pas au meilleur de sa forme même si leur nombre a cru régulièrement (+ 32 % entre 1990 et 2015). Le marché semble aujourd’hui reparti à la hausse et même vanté dans les journaux des notaires bretons qui donnent de bons conseils. Comme ceux de Me Arnaud Taburet, rédacteur en chef de la Revue « Biens » : « la résidence principale sera source de plaisir, mais également de dépenses. Durant le remboursement de l’emprunt, peut-être faudra-t-il accepter de louer sa maison avec ses meubles. 5 à 6 semaines de location pourraient a minima couvrir vos dépenses de fonctionnement » (avril-mai 2019).
Alors que le marché de la résidence secondaire s’apparentait en majorité et de plus en plus à un retour au pays de Bretons exilés qui achetaient en pré-retraite une maison en vue de l’habiter une fois leur activité professionnelle terminée, les plateformes comme Airbnb ou encore Le Bon Coin ont considérablement changé les stratégies immobilières : désormais il est possible d’investir dans une résidence secondaire et de la louer facilement pour de courtes durées quand vous n’y êtes pas ! Qui plus est, la LGV et les tarifs incroyablement bas de certains trajets depuis Paris ont augmenté la demande de séjours courts, notamment en haute-Bretagne (Nantes, Rennes, St Malo, La Baule…). Le bon plan sur toute la ligne donc, surtout quand les taux d’intérêt sont bas ! D’abord parce que cela amortit l’investissement beaucoup plus rapidement, ensuite parce que ces locations sont à la carte, à la demande. Plus besoin de louer à un particulier avec un bail !
Les grands perdants sont les travailleurs qui ont toujours autant de difficultés à trouver un logement sur le littoral breton et dans les grandes villes. Ces dernières d’ailleurs sont parfois obligées de prendre des mesures pour conserver un caractère résidentiel. Joël Martini, élu UDB à St Malo, rappelle que « la cité corsaire a été reconnue « zone tendue » par arrêté préfectoral le 26 juin 2018 ce qui lui permet de réguler le changement d’usage des logements dans l’objectif de préserver la fonction résidentielle de la commune ». « Les effets de ces locations de courtes durées sont triple : outre la concurrence aux professionnels du secteur de l’hôtellerie, il y a le renchérissement de l’immobilier et aussi les conflits de voisinage dans certaines copropriétés », explique-t-il.
Face aux dérives locatives, la loi a été durcie : le magazine Biens de juillet 2019 explique que « depuis la loi Elan, l’étau réglementaire se resserre autour des plateformes internet de location touristique. Un numéro d’enregistrement doit être demandé en mairie si cette dernière l’exige ou si la location dépasse 120 jours par an. Si les plateformes ne publient pas ce numéro de déclaration dans l’annonce, elles risquent une amende de 12500 € par meublé. Suite à la mise en place de la règle des cent vingt nuitées annuelles pour la mise en location d’une résidence secondaire, les plateformes encourent également une amende de 50000 € si les annonces ne sont pas bloquées une fois le seuil dépassé. Enfin, la location d’une résidence secondaire s’accompagne obligatoirement d’une autorisation de changement d’usage en mairie, lorsque cette dernière l’exige, et dans les villes de plus de 200000 habitants. À défaut, il s’expose à une amende de 50000 € par logement et à une astreinte d’un montant maximal de 1000 € par jour et par mètre carré. »
Reste que pour le moment, la critique est encore faible, beaucoup y trouvant leur compte. Les locations Airbnb sont en effet bien pratiques, par exemple, durant les festivals – innombrables – d’été dans des villes qui n’ont pas de capacités hôtelières suffisantes pour absorber de tels flux (les Vieilles Charrues à Carhaix ou même le Festival interceltique de Lorient). Certains jeunes n’hésitent pas à louer un canapé ou une chambre durant quelques évènement, de quoi récupérer un peu de trésorerie. Il se dit même que la prostitution utilise la plateforme Airbnb !
Quant aux communes, elles protestent du bout des lèvres : le 15 juillet dernier, Ouest-France révélait qu’Airbnb reversait plus de 300000 € de taxe de séjour par an à la ville de Rennes. Une belle manne financière qui ne se refuse pas ! Un autre article de Ouest-France du 27 juin 2018 se faisait l’écho d’un partenariat entre Airbnb et Century 21 pour la sous-location de logements à Paris. Autant dire que les agences immobilières bretonnes y trouveront elles aussi bientôt (y trouvent déjà ?) leur compte !
Airbnb confirme donc les craintes du Peuple breton à savoir que le tourisme prime de plus en plus sur les activités économiques permanentes. Car pendant que les studios, T1 ou T2 sont loués à la nuitée, certains travailleurs cherchent réellement un logement. À Rennes et à Nantes, certains en sont réduits, comme à Paris, à trafiquer leur fiche de salaire pour espérer convaincre les propriétaires [lire à ce sujet Le Peuple breton d’avril 2019]. Le revers de la médaille, c’est que les touristes ont besoin de personnel à leur service… personnel qui n’arrive plus à se loger, lui ! Inutile de s’étonner que les professionnels de l’hôtellerie et de la restauration ont du mal à trouver des employés : encore faudrait-il qu’ils puissent se loger en plus de tout le reste !