Une conférence sur les résidences secondaires à l’université de Corte


Suite à une étude sur les résidences secondaires menée conjointement entre Arritti et Le Peuple breton pour le compte de la fondation Maurits Coppieters, Antonia Luciani, récemment devenue conseillère territoriale de Corse, organisait une conférence de restitution à l’université de Corte qui réuni le géographe Yves Lebahy, le conseiller corse Jean-Christophe Angelini ainsi que Gael Briand, rédacteur en chef du Peuple breton. Ce dernier a envoyé sa présentation à la rédaction pour publication.

L’économie résidentielle est aujourd’hui tellement ancrée dans les mentalités comme quelque chose de « normal » que peu nombreux sont ceux qui osent la critiquer. Jean-Pierre Robin, dans un article du Figaro daté de mai 2011, faisait remonter le phénomène à la monarchie : « il a accompagné la montée en puissance d’un État centralisé. Les nobles avaient leur propriété dans leur province, mais ils se devaient de posséder un hôtel particulier à Paris, puis à Versailles quand Louis XIV y a transporté sa cour ». Cet été, pourtant, on a assisté à un mouvement assez inédit par son ampleur pour dénoncer le tourisme de masse : à Barcelone, mais aussi à Dubrovnik, à Venise, à Rome… La plupart du temps, il s’agit de locaux qui se plaignent de ne plus pouvoir habiter chez eux. Paradoxalement, en Bretagne, sur les îles notamment, dénoncer les résidences secondaires est assez mal perçu même si tout le monde s’accorde à dire que les îles meurent doucement du fait d’une dynamique estivale uniquement. A Locmiquélic, on a même pu lire les propos de la maire disant que l’arrivée de la LGV serait positive car cela allait permettre d’accroître l’achat des résidences secondaires ! Bref, aborder le sujet des résidences secondaires, c’est forcément l’élargir. Territorialement, puis politiquement.

Nous ne sommes pas la « province »

Territorialement d’abord. Quel est aujourd’hui le point commun entre la Corse, la Bretagne, le Pays de Galles et la Cornouailles ou les Baléares ? Tous sont considérés comme des espaces « périphériques » dans des États historiquement centralisés et, pour le cas français, toujours extrêmement jacobin. La vraie réussite des États centralisés, disait Roccu Garoby lors des universités d’été de Régions et Peuples solidaires en Alsace il y a quelques jours, c’est d’avoir réussi à nous faire croire qu’il existait des « coins ». Que la Bretagne, la Corse, l’Alsace ou le Pays basque étaient des « coins ». Pourtant, géographiquement parlant, il n’y a pas de « coins ». Le centre, c’est où nous habitons. Sauf qu’à force, nous avons accepté cette idée de « périphicité », nous avons accepté l’idée d’être des « provinciaux », autrement dit des gens conquis. Nous acceptons donc notre sort, celui d’être réduit à une destination touristique. Or, le tourisme n’a jamais été et ne peut être un pilier économique. Il nous rend dépendant d’un ailleurs et spolie les locaux. La première chose à faire pour se désaliéner, c’est de comprendre que nous ne sommes pas la province.

Inégalités territoriales

Politiquement ensuite, parler des résidences secondaires, c’est parler d’inégalités. Une affiche des années 60 du Mebyon Kernow, un parti cornouaillais autonomiste, disait ceci : « nous devenons rapidement deux communautés : les riches et les cornouaillais ». Cette affiche est extrêmement pertinente car elle met en parallèle le statut social et la nationalité. C’est exactement ce qui se passe dans le cas des résidences secondaires. Dans un monde où tout s’achète, où tout se vend, un monde où on parle de « capital humain » et de « capital naturel », un monde sans morale, sans valeur, sans espoir et sans but si ce n’est celui de s’enrichir, quoi de plus normal que de « consommer » le territoire. J’ai « fait » telle ou telle destination. Je « possède ». Tout indique aujourd’hui que nous vivons les effets de ce qu’on pourrait appeler le « post-colonialisme ». En effet, la capacité d’achat plus importante des non-résidents s’explique par la spécialisation des territoires, leur inégalité. En Bretagne comme au Pays de Galles, les salaires sont peu élevés si bien que les logements deviennent inabordables car ils ne sont pas en phase avec les salaires.

Rapide état des lieux en Bretagne et au pays de Galles

Comparer est souvent difficile voire périlleux car les modes de calcul sont différents. Une étude du Welsh Local Government Association estimait le nombre de résidences secondaires au Pays de Galles à environ 23 360 en 2011 pour une population totale d’un peu plus de 3 millions d’habitants. En Bretagne [ndlr : l’étude traite bien sûr d’une Bretagne à 5 départements], le nombre de résidences secondaires est bien plus considérable : en 2012, l’INSEE évaluait les évaluait à 306452.

La spécialisation autour du loisir tant de la Bretagne que du Pays de Galles a suscité la convoitise et l’accaparement partiel d’une partie de ces pays par des populations exogènes souvent passées de touristes à acquéreurs. Or, cet accaparement s’est traduit, dans de nombreux villages, par le développement d’une économie saisonnière. Une économie saisonnière qui a déstabilisé et déstabilise encore toute l’économie permanente (agriculture, pêche, industrie…). On peut ajouter à ce constat qu’en créant un statut de « métropole », le gouvernement français a affirmé le caractère « productif » de certains territoires comparés à d’autres dont l’unique projet serait de devenir des « espaces défouloirs » servant à se débarrasser des tensions du quotidien.

Des pistes de réflexion

Alors quelles solutions ? L’étude du CMC recense quelques pistes, la première étant la volonté politique de s’emparer du sujet ! En premier lieu, on peut citer les programmes immobiliers réservés aux primo-accédants assortis d’une clause de non-vente durant plusieurs années. De même, Le Peuple breton de l’été 2016 évoquait le cas de la commune de St Ives, en Cornouailles qui a voté contre la construction de nouvelles résidences secondaires. Il faut dire qu’en 2015, on comptait en Cornouailles 242213 résidences secondaires. Le gouvernement cherche à contourner ce référendum local car ils ont peur de la contagion. Suivent les quotas (taux maximum de résidences secondaires) et autres programmes spécifiques visant à limiter la construction ou l’acquisition de résidences secondaires.

Car le problème en soi n’est pas forcément la propriété, mais l’usage. Si un lieu est occupé, il vit. Le County de Carmarthenshire Pembrokeshire a créé en avril 2012 un dispositif appelé « Houses into Homes » (des maisons aux logements) afin de trouver une issue au problème du logement. L’objectif est de remettre de la vie dans les propriétés vides qui sont estimées à 23000 au Pays de Galles. Le gouvernement gallois proposait des prêts à taux zéro aux propriétaires de logements vides en vue de rénover leurs logements. Quand le travail est accompli, les propriétaires devaient vendre ou louer, mais en aucun cas en profiter eux-mêmes. Le prêt devait être remboursé en deux ou trois ans, selon la manière dont les biens ont été soit vendus, soit loués. Cela étant, il semble que cette politique ne comprenne pas les résidences secondaires qui ne sont pas considérés comme des logements vacants outre-Manche. Grâce aux efforts des collectivités galloises, 596 maisons vides ont pu être remises dans le circuit des résidences occupés entre 2009 et 2010 et 955 entre 2011 et 2012. Preuve que le volontarisme paye…

Ensuite, il existe bien sûr la taxation, mais cela n’est pas toujours simple. Cela pose la problématique de la succession patrimoniale et interroge la fiscalité au sens large (quelle justice fiscale ?). Quand un smicard hérite, il doit vendre ! Plus anecdotique, en Bretagne, l’Union démocratique bretonne avait proposé une taxation audiovisuelle non plus seulement dans les résidences principales, mais aussi dans les résidences secondaires afin de financer l’émergence d’une télévision régionale qui, aujourd’hui, fait défaut. Ainsi, la « consommation du territoire » participerait à minima au développement d’activités économiques productives et utiles, à la culture notamment.

Et bien sûr le fameux « statut de résidents ». L’acquisition de biens serait ainsi conditionnée à une vie tout au long de l’année durant une période donnée, preuve de volonté d’intégration à la population locale. Certes, cela donne un coup au droit de propriété, mais ce dernier ne peut primer sur d’autres droits élémentaires comme celui d’habiter ou de parler une langue. Car il est évident que ce que paient les touristes est marginal par rapport à ce que payent les locaux pour les infrastructures (notamment en eau). S’ajoute un dernier point qui fait polémique, mais essentiel : interdire la possibilité de voter dans les résidences secondaires. Le pouvoir de décision doit en effet rester à ceux qui vivent à l’année, aux locaux.

La diaspora

Mais quid alors de la diaspora ? Les notaires de l’Ouest explique en effet que les acquéreurs de résidences secondaires ont changé : « auparavant, les acquéreurs avaient en moyenne entre 40 et 50 ans alors qu’aujourd’hui, ils ont plutôt entre 50 et 60 ans et préparent leur pré-retraite ». Un élément tout sauf anodin car la question du retour au pays pose de fait la question du départ. Les mobilités professionnelles, souvent subies, déracinent des habitants qui auraient préféré rester chez eux. Il est donc compréhensible que, la retraite venue, ces mêmes personnes souhaitent revenir. La mobilité est ici choisie. La véritable question est donc sûrement la suivante : pourquoi ces personnes ne peuvent « rester au pays » ? Pourquoi doit-on forcément être mobile pour trouver un travail à partir d’un certain niveau d’études ? Et on en revient au point de départ, le problème politique de la centralisation, du « colonialisme intérieur » même si l’expression fait peur. On forme des jeunes qui quittent le pays pour offrir leur capacité de travail ailleurs. Comprendre cette dynamique, c’est aussi relativiser le « problème » de l’immigration. C’est d’abord un problème pour le pays émetteur ! C’est d’ailleurs une des questions essentielles posées par les partis autonomistes, comme les nôtres. Et un joli pied de nez au racisme !

Un phénomène en déclin

Malgré des taux toujours importants, on note depuis quelques années un tassement du phénomène de résidences secondaires en France. Si l’acquisition d’une résidence secondaire s’est démocratisée à ce point, c’est parallèlement à l’enrichissement des « classes moyennes » et au développement des loisirs lors des 30 Glorieuses. Or, il n’aura échappé à personne que la paupérisation actuelle fait qu’on assiste à une fracture de plus en plus importante entre riches et pauvres. Si bien que ceux qui peuvent partir en vacances n’ont plus forcément les moyens d’avoir leur pied à terre.

Cela se confirme aussi par un nouveau type de tourisme. De dernière minute, rapide, dans des lieux différents. Un tourisme de type Airbnb qui pose de nouveau problème malgré le fait que le logement soit occupé. C’est ici la spéculation de quelques propriétaires qui fait grimper le foncier et les loyers.

Deux types de résidences secondaires

Il faut donc être précis dans l’analyse car le phénomène ne recoupe pas les mêmes faits sociologiques. Dans un cas, la résidence secondaire est une consommation de territoire, une possession. Dans l’autre, la résidence secondaire n’est rien qu’une résidence primaire en puissance.

D’où notre demande d’un nouveau droit. Pas un droit nationaliste, mais un droit civique. Celui qui vit à l’année prime. En d’autres termes, il faut fixer les conditions pour qu’un territoire ne puisse pas être sous la domination d’un autre… Le tout est de réfléchir au seuil critique de la dépendance. A partir de quand un territoire vit par lui-même ou dépend d’ailleurs ?

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]