Samedi 8 avril, arsenal de Brest : les proches des 5 marins victimes du naufrage du Bugaled Breizh, il y a déjà 19 ans, sont conviés sur l’épave. Ils viennent récupérer, avant la déconstruction qui débutera le 18 avril, les objets qui ont appartenu à ceux dont ils ne peuvent faire le deuil : « cela ne pourra être que lorsque l’on connaîtra la vérité sur les causes du naufrage », affirment-ils. Au même moment, des membres de l’association SOS Bugaled Breizh sont hors de l’enceinte de l’arsenal pour rendre hommage aux disparus.
Chez les uns comme chez les autres, on perçoit clairement le refus de tourner définitivement la page : puisque les justices française puis britannique ont conclu à un non-lieu, l’affaire devrait être désormais résolue. Mais pour l’association, tout en reconnaissant l’autorité de la chose jugée, il n’est pas question de baisser les bras dans l’attente d’un élément nouveau qui ferait rouvrir l’enquête ou d’une levée réclamée du secret défense.

Une enquête et des conclusions contradictoires
De part et d’autre de la Manche, les procès, après bien des recours, ont conclu à un accident. Mais les experts ont rendu des conclusions contradictoires : pour le Bureau d’enquêtes sur les événements de mer (BEA mer), le chalutier du Guilvinec aurait coulé à cause d’une « croche molle », c’est-à-dire un enfouissement du train de pêche « dans le mélange de sédiments et de vase » (lire le rapport, pages 79 à 81).
Pour l’amiral Dominique Salles, ancien sous-marinier brestois désigné comme expert par la justice, ou pour l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), l’entraînement au fond par un sous-marin est plus vraisemblable. Un bâtiment possiblement américain. Et pourquoi exclure un sous-marin russe qui promènerait ses grandes oreilles parmi tout ce monde ? Américain, russe, cela pourrait expliquer le secret.
Après la justice française, la justice britannique conclut à un accident
Cela n’infirme nullement l’hypothèse du sous-marin. Qu’il s’agisse d’une croche, même « molle », ou d’un submersible, c’est forcément accidentel. Ce qui interpelle encore et toujours, ce sont les atermoiements : le temps perdu à poursuivre un « cargo voyou », comme pour le naufrage du concarnois La Jonque quelques années plus tôt (lire aussi « Bugaled Breizh, Jonque. Deux dossiers similaires ! »), les coïncidences malheureuses d’une panne de communication au CROSS Gris-Nez pour l’un ou d’un malencontreux effacement d’enregistrement pour l’autre… On pourrait allonger la liste.
Expliquer les fortunes de mer, une obligation morale
Cet hommage aux victimes du Bugaled Breizh intervient au moment où la crise de la pêche rappelle à tous que le métier est difficile et dangereux. Cela suffit à faire de la recherche objective des causes des fortunes de mer une obligation morale. Nous ne sommes pas ici en présence d’un fait-divers mais d’une affaire politique. D’ailleurs, est-il bien certain que l’épave n’ait plus rien à dire ? Son démantèlement rendra la manifestation de la vérité, quelle qu’elle soit, plus aléatoire en cas de révélation d’un fait nouveau.
Association SOS Bugaled Breizh : un message de détermination
L’allocution prononcée par le président de SOS Bugaled Breizh, Dominique Launay, est un message de fraternité et de compassion mais aussi de détermination. Le magazine Le Peuple breton le reproduit ici avec son accord :

« Nos chers amis, chères familles,
“Honneur, Patrie, Valeur, Discipline” (devise de la marine française, ndlr) ; “Liberté, Égalité, Fraternité”. Nos services de l’État en manquent cruellement lorsqu’il s’agit de remplir un devoir élémentaire : dire toute la vérité sur la disparition de vos cinq hommes, dont la seule erreur a été de faire leur métier au mauvais endroit et au mauvais moment.
Nous n’acceptons pas le silence du mensonge, faire disparaître une seconde fois vos cinq marins. Nous vous remercions d’être venus ce matin, c’est un grand réconfort pour les familles et pour nous tous, proches ou simples citoyens. Vous le savez, nous avons beaucoup d’amis et de sympathisants, maintenant un peu partout, en Bretagne, dans le reste de la France et aussi à l’étranger. Nous avons aussi, hélas, des ennemis ! Ces ennemis sont coriaces, ils sont prêts à couler définitivement le Bugaled Breizh, cela ne fait aucun doute ; nous en avons la preuve aujourd’hui.
Les veuves et les orphelins du Bugaled Breizh ont eu droit au service minimum ! Tout au long de ces dix-neuf années, au-delà de la douleur, ils ont dû subir rebuffades et humiliations à répétitions, ils ont dû avaler bien des couleuvres comme ces fables du cargo voyou et de la croche molle dans le sable. Si le Bugaled Breizh doit être coulé une seconde fois ici, l’affaire ne va pas s’arrêter pour autant.
Nous entendons la décision de justice, mais nous la refusons. Il nous faut retenir aujourd’hui que vous n’êtes plus seuls : depuis que nous avons fait votre connaissance, nous ne manquons jamais une occasion de rappeler votre drame. À chaque projection-débat, à chaque commémoration, nous n’oublions pas de retracer votre douloureux parcours pendant ces longues années.
Malgré ce que peut penser un certain amiral – préfet maritime à l’époque – sur ces années, vous les familles vivez toujours avec cette douleur de ne pas savoir ce qui s’est passé le 15 janvier 2004, mais pire encore, d’avoir un rapport qui rende responsables du naufrage les marins du Bugaled Breizh. Mais c’est aussi toute la communauté maritime des métiers de la pêche qui attend la vérité.
Pour nous faire entendre, nous devons inlassablement rappeler les évidences : pour nous, c’est un et seul un sous-marin qui a coulé le Bugaled Breizh, et vos cinq sont morts pour la France, participant involontairement à des manœuvres destinées à tester notre potentiel de défense.
Yves, Georges, Pascal, Patrick et Eric sont morts de leur passion pour la mer, une passion qui les poussa à vivre presque en permanence sur les eaux agitées de la Manche, en ne consacrant que quelques jours par an à leur compagne et à leur famille. Ces familles ont besoin de faire leur deuil, mais pour cela, il leur faut la vérité. C’est du devoir de notre gouvernement de leur permettre de continuer leur vie paisiblement.
Cette justice qui vous est refusée, nous l’exigeons, car elle seule apportera aux victimes et à leurs proches le repos tant attendu. Nous demandons solennellement à nouveau à notre gouvernement d’avoir l’audace de résoudre cette affaire avec bon sens et humanité mais aussi avec Honneur et Fraternité, pour libérer enfin les familles du Bugaled Breizh.
Ce sera aussi un grand service rendu à notre société, dont le fonctionnement démocratique ne peut supporter plus longtemps de telles dérives. »