Les passeurs de musique. Morgane Grégory : « la harpe est un instrument moderne »

Morgane Grégory lors d'une prise de portrait pour Bisiad © Ernest S Mandap

Ils ont la trentaine, n’ont pas été bercés depuis leur plus jeune âge dans la langue ou la culture bretonne, pourtant, ils en sont devenus les ambassadeurs. Leurs travaux musicaux les ont menés de collectages en archives, de l’histoire à l’art, et ils ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Le magazine Le Peuple breton vous invite à suivre ces artistes, des passeurs de musique, des talents qui se sont découverts en faisant. Une rubrique de portraits à lire et de chansons à découvrir !

Originaire du bassin d’Arcachon, la harpiste de 27 ans se sent désormais complètement bretonne. De son immersion dans la langue et la culture, elle a fait jaillir une pratique de l’instrument résolument nouvelle mais nourrie de tradition. Rencontre avec Morgane Grégory.

Sa découverte de la harpe, Morgane la fait remonter à l’enfance. « Sans doute l’influence de Marie dans Les Aristochats et de la musique qu’écoutaient mes parents à la maison. Écossaise, irlandaise… » Quand elle choisit définitivement de se spécialiser dans la pratique de la harpe celtique – qu’elle préfère appeler harpe à leviers –, la Girondine sait que c’est en Bretagne que ses pas vont la mener.

Morgane Grégory © Laurent Guizard

Inscrite au conservatoire de Brest, elle poursuit également des études de langue bretonne. Elle fréquente assidûment les festoù-noz et les concerts de musique traditionnelle. « Cette époque a été une immersion totale. Je posais beaucoup de questions. Je transposais toutes sortes d’airs traditionnels à la harpe. Je m’imprégnais totalement de cette musique ».

« Dans les archives, […] les versions varient, se créent, se réinventent. C’est fascinant »

Dans son travail d’imprégnation, la harpe est le centre névralgique. « D’une main, on joue la mélodie. De l’autre, on crée les arrangements. L’intérêt est de voir comment l’arrangement peut servir une danse, mettre en valeur une accentuation ». Durant son cursus, elle travaille beaucoup sur les archives. « J’étais subjuguée par cette musique ; comment des personnes ont pu créer des objets si puissants à partir de quelques notes ». Elle a déjà l’intuition que ce fonds offre une liberté d’interprétations et d’arrangements.

« Ur Melinerig Yaouank » par Morgane Grégory enregistré pendant le festival Eurofonik 2022.

« Je pense que je me suis tellement imprégnée que désormais, cette matière fait partie de moi. Je me sens plus à l’aise pour m’en émanciper. Je compose et ça ressemble à du breton même quand j’essaye de faire autre chose », s’amuse-t-elle. Pour Morgane, cette matière est vivante et fluctuante. « Quand on se plonge dans les archives, on s’aperçoit que les versions varient, se créent, se réinventent. C’est fascinant ».

Clip de « Rhythm’n’BIS » paru sur le premier album de Bisiad (2021)

De ce travail vont donc naître naturellement des compositions. Le premier album est celui de Bisiad, un duo composé avec Kevin Le Pennec, sorti en 2021. Le deuxième vient tout juste de sortir en janvier 2023, avec le trio Dixit : « Dans nos compositions, la harpe sort des sentiers battus, des stéréotypes, elle devient instrument à danser ». Pour ce faire, Morgane travaille sur les effets sonores avec des pédales d’effets. « Mes recherches portent sur le son brut de l’instrument qui apporte un soutien rythmique et harmonique au groupe ».

Faire entendre différemment la harpe

Comment faire entendre différemment la harpe ? Voilà l’objectif de la jeune compositrice. « C’est un instrument très ancien, réintroduit par Alan Stivell, qui est en plein essor ». Pour nourrir sa création, Morgane écoute d’autres musiques. De la pop, du rock, du folk « et aussi beaucoup de harpe ».

La musicienne voit le groupe comme un laboratoire créatif. « Avec Dixit, on parcourt [les archives de] Dastum en long, en large et en travers pour trouver un air qui nous convienne. On l’écoute beaucoup, on le chante beaucoup, puis on le met sur l’instrument. Des idées émergent, on expérimente, on teste. On trouve une structure, une boucle. On part dans tous les sens et ensuite, on choisit un chemin ».

Captation du concert en ligne de Dixit, organisé en pleine pandémie du Covid-19 par Skeudenn Bro Roazhon à l’occasion de la Fête de la Bretagne 2021.

Dixit est composé avec Klervi Piel à la bombarde et au basson et Sterenn Toscer au chant et au violon. Un trio de femmes musiciennes, donc. C’est une denrée rare sur la scène bretonne dont Morgane est consciente. « Quelque part, ça nous plaît de susciter des vocations chez les petites filles. Quand je monte sur scène, je suis contente de montrer que femme et musicienne ne sont pas incompatibles » (à lire aussi, « Femmes et musique bretonne : une équation encore déséquilibrée »).

Promouvoir la musique bretonne par-delà les frontières

Désormais, la harpiste ne se projette plus ailleurs qu’ici. « J’aime travailler cette matière-là, avec ces gens-là. On s’est trouvés ». Si elle doit partir, ce sera pour promouvoir la musique bretonne et ses compositions par-delà les frontières géographiques et musicales.

« C’est une musique d’avenir que j’ai envie de mener ailleurs, vers des horizons qui n’ont pas encore été franchis » – Morgane Grégory

Les invitations dans des festivals de jazz, elle les voit comme des victoires qui permettent de faire connaître la créativité bretonne à des personnes qui n’avaient jamais écouté ce type de musique. « Je rêve de jouer partout, de multiplier les rencontres, les partages. La musique se nourrit des échanges ». Un métissage rendu possible par l’ouverture à l’autre.

Parmi les projets de Morgane, il y a la première partie du concert de Dan Ar Braz en avril avec Bisiad, la promotion du premier album de Dixit, mais aussi des concerts avec le BarokOpera, un orchestre d’opéra baroque, ou encore le travail avec le Collectif ARP. Dans toutes ces réalisations, il y a un dénominateur commun : la passion de l’instrument.

Pour en savoir plus

Dixit, premier album (2023, image ci-contre), 15 € chez collectif ARP
Biziad, premier album (2021), 15 € chez collectif ARP
Prochains concerts : avec Dixit samedi 25 mars au fest-noz du festival Ton’Eire de Bouëx à La Bouëxière (35) ; avec Bisiad en première partie de Dan Ar Braz samedi 8 avril à l’espace culturel Le Grand pré à Langueux (22).
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> Denise Marechal

Rédactrice. Agrégée de lettres modernes, Denise Maréchal est enseignante en lycée à Quimper et chargée de cours à l'Université de Bretagne Occidentale. Autrice de publications parascolaires et de vidéos de préparation aux examens, elle est aussi contributrice au magazine Le Peuple breton et correspondante locale de presse à Ouest-France et Côté Quimper. Denise est par ailleurs passionnée de théâtre, militante féministe et engagée dans la défense des droits des minorités. [Lire ses articles]