Le port du Légué a depuis toujours bénéficié d’une attention particulière de la part de la CCI et du conseil départemental des Côtes-d’Armor. Pourtant, un autre projet existe depuis plusieurs décennies…
Dans le dernier tiers du XXe siècle, différents projets d’agrandissement destinés à maintenir le niveau de fret annuel du port du Légué autour de 500000 tonnes n’avaient pas pu se concrétiser. D’autant plus qu’un autre projet sérieux rassemblait un large comité de soutien du côté de Tréguier. Mais à la fin des années 80, le projet d’un nouveau port à flot à la pointe de Cesson refit surface. Et dès lors, la solution du Légué fut délibérément imposée par les élus départementaux. Saint-Brieuc, chef lieu du département, se devait évidemment de disposer d’un port (et d’un aéroport) digne de son « prestige ». Le projet fut donc validé mais sans inclure de vision prospective sur le transport maritime et sans bien sûr s’insérer dans un quelconque schéma régional portuaire, autant indispensable qu’inconcevable par ces élus.
Un simple avant-port doté de quais supplémentaires prétendait donc dynamiser l’activité du port en raison de l’accueil de navires plus grands, par l’accroissement du transit de marchandises et grâce à l’attraction de nouvelles entreprises vers le quartier portuaire… Mais en raison des coûts prévisibles du projet – supérieurs à 25 millions d’euros – les décideurs entreprirent de ne le réaliser finalement qu’en deux temps : une première phase concernerait la construction d’un port d’échouage pour 14 millions d’euros, puis lors d’une seconde phase le port serait fermé par une écluse, créant ainsi un vaste bassin à flot.
Ce projet d’adaptation continue du port du Légué n’a cependant jamais permis de maintenir le niveau de fret de 1970 qui emprunte depuis lors une trajectoire plongeante jusqu’à atteindre 249000 tonnes en 2018. À chaque fois, pour tenter de conjurer la tendance, le même argument fut avancé : il fallait investir pour améliorer l’accès au port. Pourtant, quoi que l’on fasse, celui-ci restera un port à marée. Au début des années 90, le tonnage annuel était passé au dessous des 350000 tonnes et il convenait déjà d’agir pour remonter au niveau des 500000 tonnes mythiques. Mais même après la réalisation de l’investissement initial et la mise en service du nouvel équipement, sur la période comprise entre 2005 et 2018, le trafic moyen s’est péniblement maintenu à 325800 tonnes.
Aujourd’hui, le projet de darse semble abandonné. Les décideurs ont enfin fini par remarquer que dans sa configuration actuelle le port s’envase. Alors fermer l’avant-port par une écluse pour créer un port à flot n’est certainement pas la solution la plus adaptée ! Le coût de désenvasement annuel s’avère déjà prohibitif ; inutile de favoriser la décantation de la vase, en barrant le chenal d’écoulement. Pour rappel : les coûts de dragage ont explosé, puisqu’il faut consacrer aujourd’hui autour d’un million d’euros par an pour maintenir l’accès aux nouveaux équipements. Après 17 années d’exercice, à combien se monte la note cumulée aujourd’hui ?
Qu’à cela ne tienne, il faut (selon les décideurs politiques) construire un 4e quai et le port retrouvera alors des marges de manœuvre. Au lieu d’être inaccessible durant dix jours par mois en période de mortes eaux, le 4e quai ferait gagner 3 ou 4 jours supplémentaires, pour un modeste investissement de 10 millions d’euros. L’équipe décisionnaire du syndicat mixte du grand Légué s’acharne à porter ce projet. Une nouvelle étude socio-économique a été réalisée par le cabinet Eurotrans en octobre 2018 pour la modique somme de 103196,63 €. Les détails techniques de la construction du projet, de l’insertion paysagère, le calendrier et l’investissement financier ont fait il y a peu l’objet de sessions de présentation aux élus du secteur. Le 1er février dernier, le Comité syndical, sous la présidence d’Alain Cadec a décidé d’approuver les études socio-économiques et d’avant-projet du 4e quai du Légué et d’autoriser le président à poursuivre les études de projet et les études d’impact.
En cette période ou les ressources publiques sont devenues rares, ce sont plusieurs centaines de milliers d’euros qui vont de nouveau être dilapideés dans de nouvelles études qui ne démontreront en rien que le déclin du port du Légué va pouvoir être endigué par la construction d’un 4e quai : Cuiusvis hominis errare potest, nullius nisi insipientis in errore perseverare. Ou comme on pourrait le dire en breton : pep hini a c’hall en em douellañ, n’eus ken nemet an hini diboell evit adkregiñ gant e fazi.
Une autre idée ?
Normalement, lorsque qu’un territoire a largement profité des investissements publics, il faut s’assurer que nul autre ne réclame l’attention des élus. Or, le site de Keraret pourrait également accueillir un projet de quai d’accostage. Qui plus est en eaux profondes et donc accessible à toute heure du jour et de la nuit tout au long de l’année. Ce projet n’a pourtant jamais fait l’objet d’une étude de faisabilité sérieuse malgré son potentiel indiscutable. Il serait temps de financer là aussi une étude socio-économique et une pré-étude de réalisation. Avant de reproduire les erreurs néfastes du passé qui n’ont pas donné lieu à une évaluation critique sérieuse des résultats obtenus depuis 18 ans maintenant.
Le rapport assez ancien (2004) du sénateur Richemont sur les lignes maritimes d’intérêt général posait les bonnes questions. Des deux projets, lequel dispose d’accès terrestres ou fluviaux pertinents ? Lequel dispose d’un terre-plein assez vaste pour une zone de transit ? Lequel s’ouvre sur un hinterland pertinent en matière de fret potentiel ? Lequel est le mieux situé par rapport aux axes de transit international ? Concernant l’investissement public nécessaire, lequel sera réellement productif ? Lequel sera en phase avec son projet de développement de territoire ? Les retombées financières ont elles été sérieusement estimées : pour les villes de Tréguier et de Saint-Bieuc ? Pour les communautés d’agglo LTC et SBA ? Pour la Bretagne ? Pour les échanges trans-manche ? Aujourd’hui, il conviendrait de faire réaliser une étude actualisée pour le projet de Keraret afin d’en évaluer sérieusement l’intérêt et d’être ainsi en mesure de comparer équitablement avec celui du Légué.