Aurélien Boulé est né à Nantes en 1984, dans la clinique de la Haute-Forêt à Michelet aujourd’hui disparue. Vidéaste et photographe, il incarne à lui tout seul une certaine idée de l’Europe à savoir les échanges entre peuples et le respect de la différence. Le Peuple breton l’a rencontré dans un café, près de la place Viarme, non loin du local de l’Union démocratique bretonne, son parti.
Le père d’Aurélien était lui-même fils de paysans plutôt pauvres originaires de Josselin. Vers l’âge de 18 ans, il fuit une vie de misère en prenant un bus pour Nantes où il enchaîne les différents postes : d’abord cheminot, puis menuisier pour finalement devenir routier. « Sa construction identitaire a été très particulière et je crois qu’elle est assez représentative de beaucoup de Bretons de cette génération : pour lui, la Bretagne est associée à la pauvreté, à l’alcoolisme et à ces gens modestes que l’on appelait les ploucs », explique Aurélien. À l’inverse, sa mère, issue d’une famille d’ouvriers nantais depuis plusieurs générations, est devenue couturière et a toujours assumé son identité bretonne. « Sans ostentation », précise ce dernier, « une identité très apaisée ».
Pour Aurélien, la « découverte » s’est faite progressivement, au lycée. « J’étais troublé de voir régulièrement des milliers de personnes dans les rues défiler pour le retour de la Loire-Atlantique dans le giron de la Bretagne alors j’ai ouvert des livres, je me suis intéressé à l’Histoire de ma ville », explique-t-il. Ses opinions, bretonne et de gauche, il les doit plus précisément à deux ouvrages : Comment peut-on être breton ? de Morvan Lebesque, Nantais comme lui, et le Manifeste du Parti communiste de Karl Marx dont la puissance de l’argumentaire a accéléré son engagement.
L’appel du large
Ses études terminées, Aurélien se tourne vers l’Ailleurs pour exercer son métier de vidéaste/photographe. Deux ans en Picardie lui confirme qu’il est bel et bien Breton ! « Là-bas, il n’y avait aucune valorisation de leur culture locale. Je me suis donc rendu compte qu’il y avait un peuple breton avec son histoire, sa langue, sa littérature, son architecture, une société spécifique en somme ». Une année en Irlande l’ouvre sur les questions interceltiques « même si je ne suis pas plus sensible que cela au folklore », précise-t-il. « Partout ailleurs qu’ici, on m’a dit que la Bretagne est un territoire fantastique. Cela prouvait qu’elle n’était pas isolée. L’Irlande a été un véritable révélateur pour moi car leur discours était positif alors que dans mon entourage, on avait tendance à déprécier la Bretagne », constate Aurélien.
Enfin, sept ans en Belgique ont achevé la métamorphose politique du jeune Nantais : « là-bas, je me suis initié aux questions d’autonomie en fréquentant notamment des militants flamands du Socialistische Partij Anders [ndlr : SPA, gauche flamande], un parti qui estime que le processus d’autonomie en Flandre est arrivé où il fallait et refuse le démantèlement de l’État belge ». En Belgique, il travaille pour un journal télévisé francophone. « J’aimais beaucoup ce travail », insiste-t-il. Malgré cela, en 2013, il rentre au port, chez lui, à Nantes. Dans ses valises, il ramène son compagnon, un flamand rencontré aux jeunesses du SPA. « La Bretagne l’attirait », confie Aurélien. C’est à cette époque qu’il adhère « direct » à l’UDB. « À Bruxelles, j’étais un des coordinateurs du festival de films Pink Screens (militantisme queer). En arrivant à Nantes, j’ai plutôt choisi la politique. Je fréquente toujours les réseaux LGBT nantais et j’apporte ma pierre sur ces questions à l’UDB. J’essaye de faire du lien entre différentes causes et celui-ci est assez évident : la question de l’émancipation et de la reconnaissance lient ces deux combats ». Professionnellement, Aurélien se concentre sur des projets plus indépendants, des projets qui, pour lui, ont plus de sens. « J’avais envie de donner mon temps à des projets utiles pour la société ».
Passionné d’urbanisme
À son retour de Belgique, Aurélien se rend compte que sa ville a énormément changé, notamment son quartier. Ce constat donne naissance en 2015 à une bande-dessinée semi auto-biographique, À marée haute, dont il écrit le scénario et qui traite d’un garçon qui grandit à Nantes dans les années 1980. « J’ai voulu faire le parallèle entre le bouleversement urbain que connaît cet enfant, notamment via les friches industrielles, et la fin de la vie de sa grand-mère, ouvrière du port, dont la mémoire se perd. J’essayais ainsi de pointer du doigt l’évolution d’une ville et par conséquent la disparition d’une représentation du passé. Je trouve que Nantes a une relation complexe avec son passé : elle est amnésique. La ville refuse d’assumer son passé, notamment breton. Elle préfère regarder l’avenir et tirer un trait sur tout ce qui a fait sa grandeur. En tant que militant, je fais mon possible pour affirmer l’identité bretonne de Nantes mais j’ai un sentiment d’injustice fort car même si c’est la plus grande ville de Bretagne, on ne nous reconnaît pas comme tel », explique Aurélien. Il ajoute : « ce qui m’importe, c’est de tourner cette colère en forces positives ! »
Et c’est justement ce qu’Aurélien a réussi à faire en imposant récemment l’UDB dans le débat public nantais, contre toute attente. Ayant fait le constat que depuis son départ, le réseau TAN (tramway et bus) avait peu changé, il propose au parti en mars dernier de lancer l’idée d’une étude sur la construction d’un métro dans la capitale bretonne. « Je pense que la question du transport collectif est centrale. Cela allie les questions d’urbanisme et d’égalité. Le métro n’est pas l’alpha et l’oméga du transport, mais cela participerait à la réduction de la voiture en ville qui est un objectif partagé largement dans les différentes familles politiques. » Le succès de cette proposition est immédiat et en quelques semaines, le collectif Métro à Nantes a réuni autour d’Aurélien près de 150 personnes, dont beaucoup d’ingénieurs et de spécialistes du transport intéressés par l’idée. Un bon coup de projecteur pour l’UDB. « Globalement, ce qui me questionne en matière d’écologie, c’est la manière dont nos sociétés vont devoir agir pour sortir massivement de leur dépendance au pétrole. La transition énergétique est une priorité absolue car derrière la sortie du modèle du « tout-pétrole » s’immiscent d’autres enjeux tout aussi primordiaux : la souveraineté énergétique, de nouvelles mobilités, la fin du néo-colonialisme, le respect de la biodiversité… »
Une aventure européenne
Pour les élections européennes du 26 mai 2019, Aurélien occupe la 65ème place de la liste « Votez Climat » portée par Yannick Jadot (EELV). Une place symbolique, mais qui ne l’empêche pas de faire campagne, seul ou accompagné de sa camarade de l’UDB Lydie Massard qui figure, elle, à la 14ème place : « Cet engagement européen va de soi en raison de mon parcours et de l’intérêt de notre parti pour les politiques européennes. La Bretagne a tout à gagner en développant des liens forts et directs avec d’autres pays et régions, sans forcément passer par la case « Paris », qui ne sert globalement que ses propres intérêts. »
Paradoxalement, alors que la métropole sait se connecter au monde, elle a bien du mal à se tourner vers les autres villes bretonnes. « La nouvelle génération de l’UDB ose affirmer ses idées haut et fort : Nantes est urbaine oui, et bretonne ! À nous d’expliquer qu’il est possible d’avoir des identités multiples… ». La Bretagne va de pair avec l’Europe, renouer avec elle, c’est retrouver l’époque où le port de Nantes bruissait de mille langues, loin, très loin d’une vision égoïste et autocentrée.