Anticiper la prochaine crise financière !

crise financière

Le capitalisme, notamment dans sa phase ultralibérale de ce début du XXIe siècle, ne confère pas une grande stabilité à l’ordre économique désormais globalisé. Aujourd’hui, il est certain qu’une nouvelle crise financière surviendra. Les signes avant-coureurs sont déjà là. Le cours du pétrole remonte depuis plus de deux ans, passant de 30 à 77 $ **(1)** le baril en mai dernier (brent). Certains prévisionnistes le placent d’ailleurs autour de 100 $ avant la fin de l’année 2018. La dette privée ne cesse de croître en Chine, sans s’adosser à de réelles garanties. Le crédit automobile américain (du type « subprime ») s’est développé afin de permettre aux clients à faibles revenus d’acquérir tout de même un véhicule, selon les mêmes modalités que dans l’immobilier, avant la crise de 2007. Aujourd’hui, les défauts de paiement sont de plus en plus importants. Le montant total de ces emprunts a atteint un nouveau record de 1 118 milliards de $ **(2)** au premier trimestre 2018 alors qu’il n’était que de 801 milliards de $ au quatrième trimestre 2007, qui marquait le début de la crise aux USA. De même qu’à l’époque, ils ont été titrisés pour diluer le risque parmi de nombreux produits dérivés financiers.

Les marchés financiers semblent en surchauffe. Deux bulles se développent sur ces marchés : une bulle boursière et une bulle du marché obligataire. Les prix des actifs sont devenus trop élevés pour une économie mondiale qui devrait atteindre un sommet cette année. **(3)**

Les économistes de l’OCDE pointent l’insuffisance des investissements des entreprises, que ce soit pour pallier la dépréciation de leurs actifs existants ou pour se développer et pour alimenter une hypothétique croissance. L’OCDE s’inquiète également du niveau élevé de l’endettement des acteurs économiques dans plusieurs pays sur fond d’argent pas cher, ce qui les expose au resserrement prévisible des politiques monétaires par les banques centrales. **(4)**

Mais nos dirigeants politiques laissent leurs électeurs dans le flou et tentent de rassurer la population en médiatisant le redécollage de l’économie tout en exacerbant certains signes positifs : startup nation, moral en hausse des patrons, « baisse » du chômage, nouvelle économie, etc. Ils affirment que les mesures destinées à réduire le risque financier systémique sont suffisantes, de même que celles consacrées à mettre les banques véritablement au service de l’économie réelle et à éviter qu’elles ne constituent en fait une menace pour celle-ci. **(5)**

Pourtant, la mondialisation ultralibérale alliée aux progrès techniques (informatisation, robotisation, uberisation, etc.) induit une répartition déséquilibrée des profits au bénéfice du capital et au détriment du travail. Elle conduit à une augmentation continue du chômage et à une stagnation des revenus et des salaires pour ceux qui ont encore un emploi.

Pour maintenir un niveau de vie illusoire, entretenu par la publicité, les salariés, même les plus modestes, n’ont d’autre solution que de recourir massivement à l’endettement. Au bout du compte, suite à l’insolvabilité progressive des plus fragiles à cause de la hausse cyclique du prix des carburants, la situation évoluera logiquement vers une crise majeure de la dette.

La lutte contre cette nouvelle crise nécessitera l’intervention des banques centrales. Elles baisseront alors le coût du crédit (les taux d’intérêt) pour relancer la machine économique, en créant… encore plus de nouvelles dettes ! Cela va donc générer de nouveaux chocs. Ces crises multiples finiront logiquement par aboutir à une crise finale, qui sera monétaire.

Quelle alternative après la prochaine crise financière ?

 

TINA : les ultralibéraux n’ont que ce mot à la bouche. Depuis l’arrivée au pouvoir du tandem Thatcher-Reagan, il y a quarante ans, la même potion idéologique nous est administrée sans relâche par des experts via des médias aux ordres. L’idéologie ultralibérale tient lieu de doctrine politique sans rivale dans la plupart des pays développés ou en voie de développement.

Sous la férule de Friedrich August von Hayek, les membres de la Société du Mont-Pèlerin**(6)** ont depuis cette époque conseillé de nombreux chefs d’État et leur influence demeure forte. Leur pensée phagocyte encore aujourd’hui l’enseignement dans les universités et inspire les travaux de nombreux groupes consultatifs et de réflexion de premier plan. Mais si l’économie était effectivement une science, elle ne pourrait que prendre en compte les limites de la planète. Au lieu de cela, elle se complaît dans la pensée magique de la croissance infinie dans un monde fini.

S’il n’y a pas encore d’opposition crédible à cette société du spectacle, de la communication et de la consommation effrénée, ses thuriféraires ultralibéraux ont tout de même du souci à se faire quand il leur faudra expliquer – sans parler de justifier – la prochaine crise. Business as usual, ce n’est plus une option crédible.

Cela ne dédouane pas pour autant les opposants de rechercher des solutions pour assurer une transition la moins violente possible.

Pour autant, l’humanité sera-t-elle enfin prête à entendre ce qu’elle refuse d’envisager depuis l’édition du rapport du club de Rome en 1972 : « Les limites de la croissance » ? La majeure partie de la population est en fait dans le déni profond de l’ampleur des défis environnementaux et des contraintes sur les ressources auxquels elle est confrontée. Un parti politique qui exposerait ces problèmes et les mesures radicales nécessaires pour infléchir la tendance se verrait laminé lors des élections auxquelles il prétendrait participer. **(7)**

En dépit d’un consensus scientifique croissant sur les menaces environnementales et les risques d’épuisement des ressources, les sociétés continuent de faire comme si de rien n’était, ou de bricoler en marge de ces problèmes.

Une économie fondée sur l’expansion continue de la consommation de matières premières n’est pas durable, mais la décroissance n’est pas non plus la meilleure option. Le dilemme de la croissance ne peut être résolu que par une transformation radicale du système économique.

Il faudrait en finir avec la croissance du PIB érigé en objectif clef du développement. L’accent devrait plutôt être mis sur un nombre limité d’indicateurs de bien-être. Aujourd’hui, il faut bâtir des modèles économiques alternatifs, tels que le passage massif à l’économie circulaire basée sur la réutilisation, le reconditionnement et le recyclage, tous essentiels au développement durable.

Il faudra réaliser des progrès phénoménaux en matière d’efficacité d’usage des ressources et susciter dans la population un intérêt croissant pour le bien-être humain plutôt que pour la croissance du revenu par habitant. Mais ce changement pourrait ne pas se produire comme nous l’envisageons. La croissance de la population, mais aussi du PIB, par exemple, risquent de se voir limitées de manière drastique à cause de limitations insupportables pour l’accès aux biens vitaux, par la baisse de la productivité à la suite de troubles sociaux ou de guerres et par la pauvreté persistante de 2 milliards de citoyens les plus démunis du monde. D’autant que le réchauffement climatique, désormais certain, viendra perturber les rares plans établis.

Un changement économique systémique est-il possible avant de subir un effondrement généralisé de nos sociétés ?

 

Le changement climatique, la pollution généralisée, la montée des inégalités et la crise financière de 2008 montrent à quel point nous avons besoin de toute urgence d’un modèle de développement social, écologique, économique et culturel plus durable. Mais est-il réellement possible de changer le système actuel sans créer encore plus de problèmes sociaux et économiques ?

Nos sociétés ont besoin de gagner du temps. Elles peuvent en obtenir en s’orientant vers une économie circulaire, en transformant progressivement le système économique, en restructurant les finances et les entreprises, en se tournant vers les énergies renouvelables, en réformant la production alimentaire et en redéfinissant la nature du travail, afin de créer des emplois et de garantir des moyens de subsistance pour tous. La technologie et la compréhension nécessaires pour apporter ces changements existent déjà. C’est une question de volonté sociale et politique.

Comment pourrons-nous parvenir à assurer une vie meilleure aux générations futures à l’issue des bouleversements qui vont survenir durant les 40 prochaines années ?

Comment les humains s’adapteront-ils aux limites physiques de la planète ? Les solutions peuvent-elles être mises en œuvre localement et progressivement ou faut-il envisager une action globale planétaire d’emblée ?

Il conviendra de transformer les systèmes de production et de consommation en migrant du modèle linéaire « prendre, faire, consommer, jeter » vers un modèle circulaire privilégiant les services, où les produits seront conçus pour le recyclage, l’entretien et la réparation. **(8)**

C’est un concept qui gagne du terrain dans toute l’Europe, car les décideurs politiques et les chefs d’entreprise se rendent compte que notre système linéaire d’utilisation des ressources expose les sociétés et les entreprises à de sérieux risques. De nombreuses études ont déjà montré le bien-fondé d’une économie circulaire.

Mais comment une économie circulaire profiterait-elle à la société dans son ensemble ?

 

La situation a évolué dans certains esprits, la compréhension de l’impossibilité de poursuivre la croissance telle qu’elle nous est présentée par les élites. La résistance à l’idée de changement drastique ne se fonde plus sur la moquerie, de plus en plus de personnes sont même sorties de la période du déni de la réalité. Aujourd’hui, c’est la colère et l’appréhension qui dominent, c’est pour cela que les tenants du système actuel parviennent encore à tergiverser en exploitant les peurs des plus fragiles. Il nous reste à chercher et à créer les conditions de l’acceptation du monde réel par le plus grand nombre pour que la société puisse s’engager dans un développement durable.

Mais l’avidité de quelques privilégiés, désireux d’accroître leur patrimoine sans relâche ni remise en cause afin de maintenir leur statut et leur mode de vie extravagant au détriment de la subsistance basique du plus grand nombre, risque de provoquer de véritables émeutes dans les territoires déjà défavorisés.

La sociabilité traditionnelle des campagnes bretonnes est en train de s’évanouir progressivement et ce n’est pas le contre-modèle métropolitain actuel qui pourra corriger ce manque. Pourtant, il n’y a que l’initiative, l’action solidaire décentralisée et la démocratie directe à tous les niveaux de compétence qui parviendront à créer les conditions de la résilience et le maintien d’une société évoluée qui garantira à chacun, via des processus économiques différents et novateurs, l’accès à un environnement sain, à un logement, à la formation, à un emploi, à la culture et à la santé.

La tâche de l’UDB est de convaincre les Bretons qu’il est urgent d’affronter les problèmes créés par le mode de fonctionnement ultralibéral de l’économie ; ce ne sera certainement pas suffisant, mais faisons déjà notre part du travail de réflexion et tâchons de convaincre.

Il conviendra d’évaluer et d’expliquer sans relâche l’impact de l’économie circulaire sur l’emploi, les émissions de carbone et la balance commerciale dans les économies européennes. **(9)**

Soit l’on parvient sans tarder à ouvrir de nouveaux canaux de délestage, pour réduire la pression et abaisser les niveaux de contrainte, soit les parois de la digue finiront par céder, conduisant à un déferlement de conséquences imprévisibles.

Pour l’année 2017, la France figure en 29e position (en baisse) du dernier classement mondial des États qui évalue depuis 2006 l’ordre respectif de 165 pays sur la planète **(10** par rapport à la qualité de leur démocratie. Sur dix rapports réalisés depuis l’origine, la France s’est exclue sept fois du groupe de tête des vingt démocraties accomplies pour figurer parmi celui des démocraties imparfaites. Pour le pays autoproclamé des droits de l’homme, il faudrait mieux faire avant d’adresser des admonestations au reste du monde.

Et l’on remarquera que parmi les dix premiers pays, dont cinq squattent les cinq premières places depuis cinq ans, à part deux États fédéraux – le Canada et l’Australie –, les huit autres comptent moins de 10 millions d’habitants : Norvège, Islande, Suède, Nouvelle-Zélande, Danemark, Irlande, Finlande et Suisse.

Quant au classement selon l’indice de développement humain (IDH) créé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD)**(11**, les mêmes 10 pays se maintiennent en haut du tableau, à l’exception de la Finlande, qui se place derrière la France, à la 24e place.

Cela démontre que la transition économique et sociétale, qui exigera un haut degré de démocratie locale et de développement, ne pourra pas se produire dans un état hypercentralisé qui tire tous les avantages pour sa région capitale. L’avenir se jouera plus près du terrain, dans les territoires où il restera de la matière grise locale.

Un choix se présente à nous : la résilience démocratique avec un pouvoir normatif dévolu à une Assemblée de Bretagne ou l’effondrement catabolique avec le pouvoir jacobin.

 

Quelques sources :

**(1)** http://www.infomine.com/investment/metal-prices/crude-oil/1-year/

**(2)**   https://fred.stlouisfed.org/series/MVLOAS  (Motor Vehicle Loans Owned and Securitized)

**(3)**   http://www.liberation.fr/debats/2018/05/20/les-morts-vivants-de-la-dette-et-le-mega-krach-a-venir_1651464

**(4)**   https://oecdecoscope.wordpress.com/2018/05/30/stronger-growth-but-risks-loom-large/

**(5)**   https://www.project-syndicate.org/commentary/financial-system-migrating-risks-by-mohamed-a–el-erian-2017-07/french

**(6)**  https://www.montpelerin.org/

**(7)**  https://blogs.mediapart.fr/jean-paul-baquiast/blog/080412/1972-2012-le-club-de-rome-confirme-la-date-de-la-catastrophe

**(8)**  http://www.clubofrome.org/project/circulareconomy/

**(9)**  http://www.wiod.org/home   (World Input Output Database).

**(10)** http://www.eiu.com/topic/democracy-index

**(11)** https://www.populationdata.net/palmares/idh/

> Gwenael HENRY

Gwenael Henry vit à Lézardrieux. Il est membre du bureau politique de l'UDB.