
L’histoire démarre en 2010, quand l’organisation clandestine ETA annonce qu’elle souhaite désarmer définitivement. Les États, tant français qu’espagnol, sont pris de court et ne réagissent pas, ne répondent pas à cette main tendue. La société civile basque, blessée par des décennies de conflit, s’empare alors de cette annonce et suivra sa propre feuille de route. Celle-ci se poursuit par une visite des prisons où sont toujours incarcérés les prisonniers et prisonnières basques en France. Le Peuple breton a rencontré à Rennes le collectif Bagoaz ainsi que deux parents de prisonnières basques.
Le 17 octobre 2011, au palais d’Aiete à Saint Sébastien, une feuille de route devant établir à la paix au pays basque est signée par diverses personnalités allant de Gerry Adams à Kofi Annan, en passant par Gro Harlem Brundtland, Bertie Ahern, Pierre Joxe et Jonathan Powell. Depuis cette date, plusieurs étapes majeures ont été franchies, la plus importante étant le désarmement effectif d’ETA le 8 avril 2017. Un désarmement effectué par des acteurs de la société civile basque puisque ni l’État français, ni l’État espagnol n’ont cru important de répondre à la demande de l’organisation clandestine.
Pourtant, comme le rappelle Unai Arkauz, porte-parole de Bagoaz, collectif d’acteurs sociaux et politiques œuvrant à la défense des droits des prisonniers basques, « le désarmement n’est pas la paix ». La paix sera effective quand toutes les étapes du processus auront été respectées par les deux parties : ETA d’un côté et les États de l’autre. Or, ces derniers ne font pas beaucoup d’efforts. D’où cette caravane, ce tour des prisons organisé du 16 novembre au 9 décembre pour sensibiliser à cette nouvelle étape indispensable du processus de paix : le sort des prisonniers. La tournée est effectuée par Bagoaz, épaulé par le collectif des familles et des proches des prisonniers, Etxerat. Les deux organisations sont partie prenante des « Artisans de la paix ». Durant 4 jours, ils sont passés à Rennes où 5 prisonnières sont détenues.
La revendication principale de la caravane, c’est le rapprochement des prisonniers. Aujourd’hui, ceux-ci sont dispersés dans 21 prisons en France, à des centaines de kilomètres de chez eux. Unai Arkauz et ses camarades réclament aussi la suppression des statuts « DPS » qui rend difficile la vie en milieu carcéral : moins de parloir, liberté conditionnelle et rapprochement entravés, mais aussi impossibilité de purger leurs peines regroupés. L’oncle de Maite Aranalde explique que celle-ci est incarcérée depuis un an à Rennes. Auparavant, elle a été à Poitiers et à Fresnes. Entre temps, elle a été libérée. Mais du fait de l’absence de confusion de peine à l’échelle européenne, elle a fuit Euskadi car elle était menacée de nombreuses années supplémentaires de prison en Espagne pour les mêmes faits. De fait, elle a été jugée pour clandestinité et réincarcérée pour récidive.
Mais les prisonniers ne sont pas les seules touchés par l’incarcération. « On oublie généralement les familles qui supportent la double peine : sans être jugés, nous subissons la dispersion des prisonniers. Du fait de l’éloignement, c’est un coût hebdomadaire moyen de 400 € pour chaque famille, sans compter la nourriture », témoigne l’oncle de Maite Aranalde. Le père d’Alaitz Aramendi, lui, raconte que sa fille a connu 7 prisons en 10 ans, toutes éloignées. « 83 % des prisonniers incarcérés le sont à plus de 500 kilomètres de chez eux. C’est 8 fois le tour du monde par semaine ! À l’année, toutes familles confondues, cela correspond à 19,5 millions de kilomètres réalisées pour un coût de 4 millions d’euros », détaille-t-il. Les collectifs Bagoaz et Etxerat réclament le rapprochement dans la prison de Mont-de-Marsan, la plus proche (adaptée) du Pays basque. Ils réclament également la liberté conditionnelle pour les prisonniers malades : 21 le sont gravement, 16 l’ont rendu public, un prisonnier a même le VIH en phase terminale, mais à chaque fois, leur demande de mise en liberté est refusée.
En lieu et place d’une détente, l’État espagnol a durci la répression. De là à croire qu’ETA était un alibi pratique pour maintenir la puissance de l’État, il n’y a qu’un pas ! Cette caravane qui doit se terminer par une grande manifestation à Paris le 9 décembre cherche à faire pression sur l’État français et à isoler l’Espagne dont l’attitude est honteuse. Bagoaz comme Etxerat militent pour les Droits humains. On sait que le sort dans les prisons importe peu l’opinion publique, mais quand il s’agit de justice, pour les prisonniers comme pour les familles, celle-ci serait bien inspirée de ne pas regarder ailleurs. La paix est un processus fragile et elle nécessite des conditions… La société basque y est prête. Est-ce le cas des États ?
Ce matin, les militants sensibilisaient les Rennais sur le marché des Lices. Dimanche, ils reprendront la route pour Lille avant avant d’arriver à Paris pour la grande manifestation. Déjà deux TGV entiers en provenance du pays basque sont attendus !
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