Pourquoi l’État français refuse-t-il qu’ETA se désarme ?

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Le nouveau ministre de l’Intérieur français, Bruno Le Roux, savait son mandat court et se devait donc de frapper un grand coup pour prendre sa place… quitte à être ridicule ! Car c’est bien ainsi que l’on peut qualifier l’opération de communication déplorable qu’ont mené les policiers du RAID ce week-end. En jeu : le désarmement partiel de l’organisation ETA qui a cessé ses attentats voilà maintenant 5 années. La cavalerie française a interpellé cinq personnes et le ministre de l’Intérieur a publié un communiqué se félicitant de ce coup de filet, « un nouveau coup dur porté à ETA »… sauf que les cinq interpellés sont des militants pacifistes bien connus ! Parmi eux, Txetx Etcheverry, le cofondateur de Bizi et d’Altenatiba avec lequel Le Peuple breton a déjà entretenu quelques relations et dont le mot d’ordre permanent est la non-violence.

Face à l’absence de volonté des États espagnol et français, ces derniers se sont proposés comme intermédiaires pour enclencher le désarmement et avancer dans un processus de paix qui s’éternise. Le journal Le Monde explique : « Txetx Etcheverry, Michel Berhocoirigoin, mais aussi Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, avaient précisé leur démarche dans des courriers qui ont été transmis à la presse : « Nous nous situons en intermédiaires entre une organisation armée avec laquelle nous n’avons aucun lien ni subordination, et un Etat que nous voulons amener à réfléchir. (…) Nous avons décidé de prendre nos responsabilités avec la conviction que cela peut être utile à la paix. C’est pourquoi, nous avons proposé à l’organisation ETA de transférer à la société civile la responsabilité politique de la destruction de son arsenal militaire. Nous avons choisi de le faire de manière publique et assumée, à l’instar des engagements dont nous sommes porteurs. Ces engagements sont publics et transparents. Ils sont caractérisés par l’implication personnelle, le souci de la démocratie, le choix de la non-violence » ».

« Personne n’a le droit de se proclamer destructeur d’armes et éventuellement de preuves, a réagi M. Le Roux dans l’après-midi. En matière de terrorisme, toutes les preuves doivent pouvoir concourir à la justice » a réagi Bruno Le Roux persistant ainsi dans un raisonnement obtu. La perquisition a permis de découvrir de nombreuses armes ce dont se sont réjouis tant Paris que Madrid qui estiment que les personnes arrêtés sont complices, en lien avec l’organisation terroriste. Pourtant, plusieurs tentatives ont été faites pour demander aux autorités françaises d’enclencher le processus de désarmement réclamé par ETA. Sans réponse. « Le petit rouquin qui occupe provisoirement l’intérieur nous dit que ce n’est pas à des incompétents de se mêler de désarmement. Ce serait une exclusivité du gouvernement. Mais qu’attendent-ils donc depuis 5 ans qu’ETA a déposé les armes, pour recevoir ces caisses que l’ETA aurait bien voulu livrer entre leurs mains et non à Errekaldia? » s’interroge Xipri Arbelbide dans Enbata.

Depuis, les soutiens aux interpellés affluent parmi lesquels l’Union démocratique bretonne et Christian Troadec, candidat à l’élection présidentielle qui a fait savoir qu’il avait « écrit au premier ministre pour lui demander des explications sur ces arrestations étrangement médiatisées de représentants de la société civile et sur le refus d’un gouvernement de gauche de répondre à ce qui indubitablement semble être une main tendue ». L’Alliance libre européenne qui se penche régulièrement et sérieusement sur le processus de paix parvient toujours aux mêmes conclusions : alors que le mouvement abertzale a décidé de transformer définitivement son action pour se tourner vers la voie démocratique, celle des urnes, les États français et espagnols cherchent à envenimer une guerre qui n’existe plus. De là à imaginer qu’ils y ont intérêt, il n’y a qu’un pas… Arnaldo Otegi, ancien membre d’ETA et leader de la coalition de la gauche indépendantiste Bildu estime pour sa part que cette opération « s’inscrit dans les grandes opérations des derniers mois visant à empêcher qu’ETA se désarme ». « Ceci est aberrant. En Europe, il existe un problème de sécurité avec le terrorisme djihadiste, et on empêche une organisation armée de se désarmer » explique-t-il dans une interview au Monde.

En attendant, 5 innocents sont en garde à vue et risquent d’être jugés pour terrorisme. Ubuesque ! Une pétition a été lancée.

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]