Ils ont la trentaine, n’ont pas été bercés depuis leur plus jeune âge dans la langue ou la culture bretonne, pourtant, ils en sont devenus les ambassadeurs. Leurs travaux musicaux les ont menés de collectages en archives, de l’histoire à l’art, et ils ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Le magazine Le Peuple breton vous invite à suivre ces artistes, des passeurs de musique, des talents qui se sont découverts en faisant. Une rubrique de portraits à lire et de chansons à découvrir !
C’est en trio qu’Élodie Jaffré s’illustre ces derniers temps sur la scène bretonne. Avec Yann Le Bozec et Awena Lucas, la chanteuse de 36 ans vient de sortir l’album Kanour noz, issu des représentations du spectacle du même nom, et qui vient mercredi d’être nominé pour les Prizioù 2023, les prix de l’avenir de la langue bretonne. La Morbihannaise a de quoi être remarquée ; elle s’immerge dans ses recherches avant de transmuer ses découvertes en objet artistique.
Le pitch du spectacle ? La nuit en mer d’un pêcheur de Kerroch, dans le Pays vannetais. « Le projet est né des écoutes des collectages sonores sur le site de Dastum. J’ai été envoûtée par les enregistrements de ce pêcheur qui vivait dans le village de mes ancêtres. Je me suis alors lancée dans des recherches à la fois musicales et historiques ».
« J’adore chercher, fouiller, avoir un maximum de matière »
Pour faire sortir ces chants de l’oubli, Élodie mène son enquête. « J’adore chercher, fouiller, avoir un maximum de matière avant de trier par la suite ». Une démarche sans doute liée à sa formation en histoire de l’art et archéologie. « Outre l’aspect personnel de ce travail – car j’ai découvert que ce pêcheur était en fait de ma famille – je me suis aussi documentée sur la pêche à l’époque. J’ai découvert de nombreuses anecdotes mais aussi des noms de lieux en breton ».
D’un point de vue musical, la chanteuse s’est d’abord imprégnée des airs. « J’écoute les chants des dizaines et des dizaines de fois. Je prête une grande attention aux variations mélodico-rythmiques. À chaque fois, j’entends des choses que je n’avais pas notées aux écoutes précédentes. C’est une musique extrêmement riche ».
Après la phase d’imprégnation vient l’appropriation. « J’accorde une grande importance à la langue, la façon de dire les mots du terroir notamment. Mais je me laisse aussi une marge de liberté, pour que le spectacle soit une création ». Les textes sont revisités, adaptés. Puis le travail avec les musiciens débute.
« Pour Kanour noz, j’ai travaillé avec une harpiste et un contrebassiste. Ils ont développé des ambiances qui donnent différentes couleurs à la musique. La harpe est utilisée, dans notre spectacle, différemment de son emploi habituel, un peu comme un piano. Quant à la contrebasse, ce n’est pas un instrument de musique traditionnelle bretonne, ce qui nous permet d’aller à la rencontre d’autres univers musicaux, comme le jazz ».
Pour Élodie, chacun peut créer autour des chants bretons. « C’est une matière infiniment riche ». Un univers dans lequel elle s’est plongée en autodidacte. « Ce sont les rencontres que j’ai faites qui m’ont décidé à poursuivre sur ce chemin, des voix qui m’ont fait vibrer, comme celle de Yann Fanch Kemener ».
Depuis ses 22 ans, la jeune femme pratique le chant. Titulaire d’un diplôme d’études musicales (DEM) en musiques traditionnelles, elle a également suivi une formation à la Kreiz Breizh Akademi sur les musiques populaires et modales.
« Désormais, la musique traditionnelle bretonne est au centre de ma vie. C’est vital pour moi », affirme-t-elle. « Le spectacle plaît à des personnes qui ne sont pas forcément de ce milieu. Les arrangements étonnent, interrogent. On va bientôt jouer ailleurs en Europe, en Pologne notamment ».
Une manière de toucher à l’universalité de la musique. « Créer sans figer, se faire mémoire, tout en rendant accessible le passé, c’est un défi qu’il me plaît de relever ». Chez la trentenaire, pas de nostalgie, mais une volonté de lier travail musical et historique, dans une dynamique résolument tournée vers l’avenir. « Il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine et j’ai déjà plusieurs autres projets en tête ».
Pour en savoir plus

● Kanour noz, 15 € chez Coop Breizh
● Prochains concerts : en duo avec Meva Guegan dimanche 9 avril au fest-deiz ha noz du « Printemps de Châteauneuf » à Châteauneuf-du-Faou (29), et le spectacle Kanour noz vendredi 14 avril au festival « La lune rousse » à Questembert (56)
● Site web : www.elodiejaffre.com