Avec son nouvel album « Ur mor a zaeloù », Denez consacre la gwerz

Denez en concert, ici pendant le Festival interceltique de Lorient 2021 © XIIIfromTOKYO (CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons)

Un an seulement après Stur an avel, Denez Prigent nous présente son douzième album, Ur mor a zaeloù (une mer de larmes), un album enregistré dans l’église Saint-Brandan de Lanvellec, au cœur du Trégor, là où Denez a jeté l’ancre il y a une vingtaine d’années.

Cette fois, Denez s’est affranchi des instruments électroniques et des machines pour se recentrer sur une approche plus traditionnelle du chant en breton. Car sur ce superbe opus, il a choisi de mettre en valeur la gwerz, la complainte bretonne par excellence.

Dix titres se succèdent ainsi ; des chansons intemporelles qui subliment les tragédies et les souffrances du genre humain. Des chants qui, au travers des âges, ont toujours relaté les
événements tragiques comme les épidémies ou les famines : « Bosenn Eliant » (la peste d’Elliant), « Naonegezh Kiev » (la famine de Kiev) ou les guerres avec la bouleversante «Soudard ar Fur » (le soldat Le Fur). Mais aussi des drames intimes ou des amours malheureux, « Marv ma mestrez » (ma bien-aimée est morte), « Iwan Gamus » ou le désespoir solitaire avec « E ti Eliz Iza » (dans la maison d’Eliz Iza).

« Naonegezh Kiev », une composition inédite de Denez

Au fil de l’album, on retrouve avec plaisir ces gwerzioù intemporelles qui sont, pour huit d’entre elles, des traditionnels du répertoire breton. Denez nous offre deux compositions inédites, « Kanañ a ran » (je chante) et la formidable « Naonegezh Kiev », sur la grande famine de Kiev en 1932.
On reconnaîtra au passage « Ar bugel koar » (l’enfant de cire) interprétée par Kristen Nogues sur son premier album Marc’h Gouez en 1976, ou « Soudard ar Fur » popularisée par Gweltaz ar Fur en 1973 sous le titre « Ar soudarded ‘zo gwisket e ruz » (les soldats sont vêtus de rouge).

Enfin, l’album s’achève sur « Deuit ganin » (venez avec moi), une gwerz de onze minutes, interprétée a capella, symbole de la profondeur du chant incantatoire et sacré de Denez.

« Ar bugel koar », par Denez

Pour porter la voix profonde de celui-ci sur ces superbes chants, quel meilleur choix que d’inviter cinq excellents musiciens qui viennent en contrepoint magnifier délicatement les dix textes ici présents : Mathilde Chevrel au violoncelle, Jonathan Dour au violon et alto, Cyrille Bonneau au duduk, veuze, saxo soprano et cornemuse écossaise, Jean-Baptiste Henry au bandonéon et Antoine Lahay au charango et à la guitare douze cordes.
Et cerise sur le gâteau, la maîtrise de Saint-Brieuc, chorale d’enfants, intervient sur trois titres : « Kanañ a ran », « Naonegezh Kiev » et « E ti Eliz Iza ».

L’intensité des émotions, le jeu sensible des musiciens et la voix unique de Denez, tout concourt à la réussite de cet album magnifique. Sûrement l’un des plus beaux albums de cette
année.

Denez
« Ur mor a zaeloù »
CD1206/DB12
15 € chez Coop Breizh

> Philippe Cousin

Journaliste musical. Passionné de musique celtique, Philippe Cousin écrit des articles et chroniques toujours attendus. Il tient sa propre rubrique depuis plus de 30 ans dans Le Peuple breton et écrit régulièrement dans Irish Music Magazine, un mensuel irlandais. Il participe aussi au webzine 5planetes.com, a écrit pour les magazines Univers celtes et Musiques celtiques et a collaboré pendant 20 ans à Trad magazine. [Lire ses articles]