
Le 6 juillet, à Strasbourg, dans le cadre d’une session plénière du Parlement européen, Christian Guyonvarc’h a participé, à l’invitation du député européen François Alfonsi, à une conférence publique sur la Corse et son statut politique en France et en Europe. Il y représentait l’Union démocratique bretonne et le groupe Breizh a-gleiz, Autonomie, Écologie, Territoires du Conseil régional de Bretagne, qui réunit les elu-e-s de l’UDB et d’Ensemble Sur Nos Territoires. Compte-rendu de la journée…
Cet évènement dans les locaux du Parlement européen, dont la date a coïncidé avec le discours de politique générale de la Première ministre Élisabeth Borne devant l’assemblée nationale, a été marqué par l’intervention de Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Cullettività di Corsica – Collectivité de Corse.
Deux universitaires campent le paysage politique et institutionnel
Andrea Fazi, maître de conférence en sciences politiques, a rappelé la progression quasi constante du vote pour les partis corses depuis 40 ans. Ce vote a atteint 68% des voix aux élections territoriales de 2021 et se traduit aussi par 5 parlementaires (3 députés, 1 sénateur, 1 député européen) sur les 7 que compte l’île.
Wanda Mastor, professeure de droit à l’université de Toulouse, a d’abord souligné que 40 ans après le premier statut particulier octroyé par la France à la Corse, cette dernière est toujours privée de tout pouvoir normatif (pouvoir de voter des lois et/ou de les adapter). Or, c’est la détention d’une part du pouvoir normatif qui détermine si une région est autonome ou ne l’est pas. Donc, la Corse n’est toujours pas une région autonome. Ensuite, Wanda Mastor a fait constater par l’assemblée que cette situation fait de la Corse une exception parmi les îles en Europe. Car même dans un État unitariste comme le Portugal, qui a vécu un demi-siècle sous la dictature d’extrême droite de Salazar, les archipels de Madère et des Açores ont chacun un pouvoir législatif qui leur est garanti par la constitution portugaise.
Un Parlement européen à l’écoute
Plus d’une vingtaine de députés européens étaient présents le 6 juillet, représentant différents groupes politiques : Verts-Alliance libre européenne, social-democrate, gauche radicale (où siègent notamment le Sinn Féin irlandais mais aussi… La France insoumise). On a aussi pu voir deux députés du groupe Renew/Renaissance, celui des député-e-s macronistes, et deux députés de tendance libérale mais siégeant chez les non-inscrits. Plusieurs interventions ont marqué la journée.
Philippe Lamberts, député européen de Belgique, co-président du groupe Verts-ALE : « La France est malade de son jacobinisme et de son monarchisme. Il y a peu de pays en Europe où le pouvoir est autant concentré géographiquement et dans une seule personne. »
Raphaël Glucksmann, philosophe et député européen français (Place Publique, groupe social-démocrate): « En France, le premier qui a conceptualisé la souveraineté nationale s’appelait Jean Bodin (1529-1596). Obsédé par son concept du tout en un, il a fini sa vie en écrivant littéralement des manuels de chasse aux sorcières… Or, sa pensée a beaucoup influencé une certaine gauche d’essence jacobine. En France, la classe politique a une incapacité chronique à raconter ce qu’est le multiple. »
Yannick Jadot: « La revendication d’autonomie de la Corse s’inscrit dans un contexte politique, celui de la France, qui a deux grandes caractéristiques. D’abord, en France c’est l’État qui a fait la nation et non l’inverse. L’État central se pose ainsi en garant unique de la nation et de l’intérêt général. Dès lors, contester la légitimité à agir de l’État, c’est être anti-français. Ensuite, comme la fin des empires coloniaux et la mondialisation ont remis en cause la souveraineté nationale, qui était une prétention à pouvoir se suffire à soi-même, et comme cette nouvelle situation a créé un sentiment d’insécurité dans une grande partie de la population française, l’État jacobin, pour faire croire aux Français que la France est toujours souveraine, ne lâche rien à la Corse et aux régions. »
Younous Omarjee, député européen de La Réunion, qui siège dans le même groupe que les élu-e-s de LFI… qui est aussi celui de la coalition basque Bildu et du parti irlandais Sinn Féin, dont le député européen Chris Macmannus était d’ailleurs présent lui aussi : « La République française est coloniale, c’est un fait. Pour autant, l’autonomie doit avoir un contenu de progrès. Elle ne doit pas correspondre à une logique d’abandon vis-à-vis de la Corse et des outre-mer. Elle doit servir un mieux-disant au niveau des normes sociales et écologiques. Ces garde-fous doivent être posés d’emblée. »
Jordi Solé, député européen de Catalogne, du parti Esquerra republicana de Catalunya (ERC), membre de la composante ALE du groupe Verts-ALE : « L’aspiration à l’autonomie en Corse résulte de trois facteurs : une histoire singulière, la conscience qu’ont les Corses de former une société différenciée, la conviction d’avoir le droit de décider pour eux-mêmes. L’État français devrait être tenu de négocier face à une revendication qui a le soutien majoritaire de la population. »
Carles Puigdemont, ancien président de la Généralitat de Catalunya, tenu en exil par la justice espagnole mais siégeant au Parlement européen dans les rangs des non-inscrits sous l’étiquette Junts per Catalunya : « Ce n’est pas l’autonomie qui conduit à l’indépendance, c’est au contraire le refus d’autonomie. Et l’exemple récent de la Catalogne est là pour le prouver. Au la fin de la décennie 2000, les autorités catalanes et le gouvernement espagnol avaient négocié une évolution du statut de la Catalogne. Un accord avait été conclu, approuvé par 80 % des membres du Parlement catalan. Mais la droite espagnole, revenue au pouvoir à Madrid en 2011, a fait casser l’accord par le Tribunal constitutionnel. Si l’accord d’autonomie renforcée avait été respecté par la partie espagnole, il n’y aurait pas eu de référendum d’indépendance. »

Gilles Simeoni place le gouvernement français face à ses contradictions et ses responsabilités. Le président de l’exécutif de la Collectivité de Corse a délivré un message direct et franc : « Depuis 2015, nous avons une relation frustrante avec l’État. Il y a 40 ans, alors que les partis corses faisaient 10% aux élections, l’ État négociait avec des militants clandestins qui n’avaient pas de légitimité démocratique. Et l’État disait aux autonomistes: « Si la violence s’arrête, on peut parler de tout. » Le FLNC a déposé les armes en 2014. Les partis corses, autonomistes ou indépendantistes, sont majoritaires depuis 2015 et ne cessent de renforcer leurs scores. Et alors ? L’État fait la sourde oreille. Depuis sept ans, il nous a opposé une forme de mépris. Nous sommes confrontés à un déni de démocratie. »
Gilles Simeoni ne cache pas son inquiétude devant des dérives de type mafieux sur l’île, activées par un argent facile qui s’appuie sur une économie souterraine, des dérives face auxquelles l’incapacité juridique de la Collectivité de Corse, par exemple sur le terrain de la maîtrise du foncier, est un problème majeur : « Nous sommes à un point de bascule en Corse. Ou on réussit à faire respecter le fait démocratique et on noue avec l’État un dialogue de confiance pour construire une autonomie de droit et en actes sur 5, 10, 15 ans pour un développement économique et social de qualité. Ou on repartira dans un cycle obscur qui peut devenir irréversible : précarité (la Corse a le taux de pauvreté le plus élevé en France métropolitaine), spéculation foncière, racket, blanchiment d’argent sale. »
Des discussions sont annoncées entre le nouveau gouvernement et les élu-e-s de la Corse à partir du 13 juillet. Reconduit dans ses fonctions, le ministre Darmanin concrétisera-t-il la promesse d’autonomie faite à la veille de la présidentielle au nom du candidat Macron?
Un dialogue entre l’État et la Corse qui intéresse aussi l’Alsace et la Bretagne
Comme nous étions en Alsace , François Alfonsi avait souhaité inviter aussi des représentants de Unser Land – Mouvement Alsacien , parti partenaire de l’UDB au sein de la fédération Régions et Peuples Solidaires et de l’ALE, ainsi que Frédéric Bierry, président de la Collectivité Européenne d’Alsace. Créée il y a deux ans en remplacement des conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, cette dernière dispose d’un statut particulier; toutefois, outre le fait qu’elle n’a aucun pouvoir normatif contrairement aux lander allemands voisins, elle reste toujours englobée dans l’aberrante région Grand Est imposée par Hollande en 2015 et n’a donc pas récupéré toutes ses compétences sur le territoire alsacien. Pour faire évoluer la donne, Frédéric Bierry se targue de pouvoir compter sur le soutien des députés alsaciens macronistes, majoritaires dans la région, et d’avoir l’oreille d’Emmanuel Macron en personne.
Présentation du vœu breton
Ma participation à cet évènement au Parlement européen m’a donné l’opportunité de présenter le vœu que 75 membres du Conseil de la Région Bretagne sur 83 ont voté le 8 avril 2022 et par lequel la collectivité revendique « un pouvoir législatif, réglementaire et fiscal dans une Bretagne réunifiée. » Je m’en suis notamment entretenu avec les élus catalans Jordi Solé et Carles Puigdemont et Gilles Simeoni lui-même. Plus que jamais, pour redonner du pouvoir de décision aux Bretonnes et aux Bretons en Bretagne, la mobilisation des forces politiques qui y sont favorables doit se déployer à tous les niveaux, y compris le niveau européen.