
Dans son ouvrage Désastres touristiques, Henri Mora revient sur cinquante ans de tourisme de masse : ses conséquences dramatiques aussi bien écologiques, économiques et sur l’aménagement des territoires. Un ouvrage qui pousse à la réflexion sur les pratiques touristiques sans toutefois, et c’est dommage, proposer des alternative à la massification.
À l’aube des grandes vacances, le retour à l’anormale promettait d’être vertueux pour le secteur touristique. Touché depuis deux ans par les mesures sanitaires, il est celui qui a été le plus impacté par la liberté de circuler. Pourtant, depuis des semaines on voit poindre quelque grains de sables dans cette belle dynamique. D’abord, c’est le manque de personnel dans la restauration qui est venu dès Pâques susciter quelques inquiétudes. Plus récemment, c’est au tour des compagnies aériennes d’annuler des vols faute de main d’œuvre. Enfin, le rebond de l’épidémie de la Covid donne quelques sueurs froides aux professionnels du tourisme.
C’est que le tourisme est le reflet du monde. C’est le propos que défend Mora dans le premier chapitre, où il retrace une courte histoire du tourisme et plus largement des déplacements humains. De la première révolution industrielle permise entre autre par l’émergence du chemin de fer et de la facilité à se déplacer, à aujourd’hui, le nombre de touristes n’a cessé de croître, jusqu’en 2019. Cette massification globale a eu évidemment des conséquences dramatiques sur l’aménagement des territoires. S’il n’y en avait qu’un exemple, ce serait, selon l’auteur, Disneyland. Déjà, la réalisatrice Ariane Mnouchine employait le terme de « Tchernobyl culturel » à propos de cette « invasion de la sous-culture américaine ». Défigurant les paysages, Disneyland a aussi éliminé les agriculteurs et refabriquer la nature en fonction de loisirs qui induisent eux même des dépenses de transports et de logements.
Mono-industrie et chantage à l’emploi
Dans le cas de Disneyland ce sont 15000 employés en CDI et 15 millions de touristes par an. Quand tout va bien. À ce titre le covid n’a pas épargné les finance de Coupvray dont le tourisme représentait 85 % de ses ressources. On aurait aussi pu prendre l’exemple de la Tunisie, touchée par les attentats en 2014, elle n’a jamais retrouvé le nombre de touristes qu’elle accueillaient jusqu’alors. Ces derniers préférant les côtes de l’Adriatique, où l’on retrouve les mêmes prestations.
Car le secteur du tourisme est également une féroce concurrence entre les territoires. À ce titre, les réseaux sociaux joue un rôle déterminant dans le choix du touriste de se rendre dans un lieu. Jouant sur cet aspect, les pouvoirs publics ne cessent de justifier des aménagements qui « créeront de l’emploi ». Argument massue, le chantage à l’emploi est l’ultime carte jouée lorsqu’un projet ne fait pas l’unanimité. On pense à ces « projets inutiles » qui ont cristallisé les tensions avant d’être finalement abandonnés (l’aéroport de Notre Dame des Landes, le CenterParc de Roybon dans l’Isère ou encore EuropaCity, un gigantesque centre commerciale à proximité de Roissy).
Et dans un pays qui compte toutes catégories confondu plus de 5 millions de chômeurs, qu’importe si les emplois proposés sont majoritairement précaires, de courte durée avec des conditions de travail souvent mauvaises.
D’autant que l’industrie touristique est extrêmement dépendante des crises (économiques, sanitaires, sécuritaires). Mora note que « le budget tourisme d’un foyer ou d’une personne souhaitant voyager sera le premier à être revu à la baisse, ou à disparaître, car cette activité ne sera plus considérée comme essentielle ou prioritaire ». La crise du covid 19 a engendré une perte globale de 255 millions d’emplois temps plein dans le monde selon l’ONU. En France ce sont 680 000 emplois qui ont été détruits. Il y a urgence a repenser ce modèle d’autant qu’il pose d’autres problèmes.
Le tourisme est-il réformable ?
Évidemment, le tourisme de masse a des conséquences sur l’environnement. Responsable de 8 % des émissions de CO2, il est l’un des secteurs qui connaît la plus forte croissance dans ce domaine. Le responsable de l’Organisation Mondiale du Tourisme Zurab Pololikashvili l’explique ainsi « le croissance de notre secteur est supérieur à celle de l’économie ». Si bien que lorsqu’un pays a une croissance de 1 %, la consommation de transport aérien augmente de 1,5 à 2 %. Dès lors, selon l’Association du Transport Aérien International, le nombre de passager pourrait doubler par rapport à aujourd’hui et atteindre… 8,2 milliards d’individus d’ici 2037. Le salut environnemental ne viendra à priori pas du transport maritime qui a vu l’inauguration en 2021 du Wonders of seas, le plus gros navire de croisière au monde, pouvant transporter près de 7000 passagers…
Si le capitalisme n’est pas réformable et que le tourisme est au capitalisme l’autre face d’une même pièce, tout espoir est perdu. Pourtant, si une partie de la société semble avoir pris conscience de l’urgence climatique, elle demeure minoritaire. Si le Flygskam – la honte de prendre l’avion – a eu un écho important en France, cette action ne permet pas de baisser de façon significative les émissions de CO2. À l’instar de inefficacité de l’écologie des petits gestes prôné par le gouvernement, le green tourisme n’apparaît pas non plus être une solution raisonnable. Quel est l’intérêt d’aller faire du tourisme vert au Costa-Rica ? Il faudrait donc « détourismer » à l’échelle globale. C’est le message en filigrane de l’ouvrage Désastres touristiques.