
Yann Bêr Kemener vient de publier son dernier ouvrage « Guide des noms de lieux bretons » chez Skol Vreizh. L’occasion de revenir sur l’importance de la microtoponymie et de la sauvegarde du patrimoine culturel et linguistique.
Enseignant, désormais retraité, Yann Bêr Kemener a consacré une grande partie de sa vie à défendre la culture bretonne. Outre ses activités d’enseignant et de formateur, il a publié de nombreux livres : recherches historiques, cahiers de vacances en breton, albums bilingues pour enfants, méthodes d’apprentissage… À la fin des années 90, il fonde, dans sa presqu’île de Crozon natale, l’association Eost qui se donne pour mission de travailler sur la microtoponymie locale. « Nous avons fait des recherches notamment auprès du cadastre mais aussi des habitants qui parlaient encore breton pour savoir comment ils nommaient tel ou tel lieu ».
À partir de ces recherches, il publiera des guides sur les sentiers littoraux ou sur les balades en presqu’île. L’association accomplit un travail de fond qui a pour but de laisser des traces aux générations futures, de sauvegarder la mémoire des lieux et des êtres qui y ont vécu. En 2018, lorsque la municipalité de Telgruc sur mer (où il réside) décide de baptiser les rues des hameaux, Yann Bêr Kemener voit rouge. « La commission en charge de ces dénominations avait choisi des appellations sans aucun rapport avec les lieux. Le plus ridicule était sans doute la rue des frégates ! », s’agace-t-il. Pour lui, ces dénominations sont la preuve de la diglossie, « la cohabitation de deux langues aux statuts différents, dont l’une est infériorisée et n’a pas de reconnaissance de l’Etat ». Avec l’association Eost, il organise une manifestation qui réunira 600 personnes et signe, avec de très nombreuses personnalités, une tribune pour dire non à la francisation des noms de lieux, non à la discrimination linguistique ». Du « reuz » qui lui permet d’obtenir gain de cause. En 2020, après les élections municipales, de nouveaux noms de lieux sont choisis, tenant compte de la microtoponymie, et en partenariat avec l’Office public de la langue bretonne. « C’est important que ce patrimoine puisse se transmettre », explique celui qui est devenu, un peu malgré lui, spécialiste en la matière.
Depuis, il travaille sur la parution de son « Guide des noms de lieux bretons ». L’ouvrage est à destination des communes ou des militants qui souhaitent effectuer un travail de dénomination ou de re-dénomination des lieux dans leur ville. « J’explique les étapes du travail. Je pose aussi les questionnements qui me semblent nécessaires sur les choix des formes plus ou moins standardisées ». Le manuel est également un précieux outil pour tous ceux qui veulent mieux comprendre les panneaux ou les noms de lieux qu’ils connaissent. La plupart des pages sont consacrées à la traduction des mots les plus courants, par catégories : vocabulaire religieux, administration civile, chemins, ponts, mais aussi animaux, végétation, famille, métiers… Outre la compréhension et l’explicitation, l’ouvrage propose aussi une réflexion. L’auteur y exprime ses doutes, ses craintes mais aussi ses espoirs quant à la survie de la langue bretonne. Il y raconte également des anecdotes et n’hésite pas à revenir sur les aberrations de l’histoire. « Lorsque la signalétique est devenue bilingue, certains choix qui ont été opérés relèvent de l’absurde. On a sous-titré le panneau français de la prononciation du lieu en breton ». Pour lui, cette transcription phonétique n’a rien d’un travail de linguiste ou d’historien. À l’aide de plusieurs exemples, il rend la réflexion accessible à tous. L’ouvrage est aussi ludique, agrémenté d’illustrations et de quiz. S’il garde foi en l’avenir et croit dans les générations issues de l’enseignement bilingue ou immersif, l’auteur ne peut s’empêcher de déplorer « l’œuvre de colonisation de la France en Bretagne qui a provoqué d’immenses dégâts et qui se poursuit encore aujourd’hui ».