Enseigner à Diwan : un choix, des contraintes… et du plaisir !

Diwan
Laurence Le Berre

Si les premières écoles du réseau ont dû faire face aux doutes du grand public et ont pu souffrir de leur manque de crédibilité, depuis, les résultats aux examens ont prouvé que les écoles immersives n’ont rien à envier à l’enseignement unilingue, bien au contraire. Si les parents choisissent Diwan pour des raisons linguistiques, culturelles ou pédagogiques, les enseignants, eux, sont animés de la même passion : maintenir la langue vivante et la transmettre. Trois professeurs des écoles quimpérois nous parlent de leur métier.

Laurence Le Berre enseigne à Diwan depuis 28 ans. Actuellement, elle s’occupe des PS-MS. « J’ai eu le déclic de l’enseignement immersif au Pays de Galles ». A l’époque, étudiante en anglais, Laurence est assistante de langues au Pays de Galles. Affectée dans un établissement bilingue anglais-gallois, elle s’aperçoit très vite que ses élèves ont un niveau supérieur à ceux de sa collègue qui travaille en monolingue. « Avec une de mes amies, on préparait une semaine de cours chacune et on s’est rendu compte que ça allait beaucoup plus vite avec mes élèves ». Elle s’interroge alors sur les raisons de ce décalage et doit se rendre à l’évidence : les élèves bilingues développent des compétences supplémentaires et une plus grande capacité d’adaptation. « Il est aussi prouvé que le bilinguisme précoce facilite l’apprentissage des mathématiques et des sciences ».

De retour en France, elle fait le choix de l’enseignement immersif. « Je parlais déjà un peu breton avec ma grand-mère. J’ai naïvement cru que cela suffirait ». Mais elle ne maîtrise que le « Brezhoneg tro an ti », le parler du quotidien. « En gros, la cuisine, le jardinage et le temps qu’il fait », s’amuse-t-elle. Après des stages auprès de Roudour, elle devient aide-maternelle, puis suit une formation d’institutrice avant de passer le concours. « J’ai énormément appris lors de cette formation, tant au niveau de la langue que de la pédagogie ». D’ailleurs, selon elle, le regard bienveillant et l’accompagnement individualisé, qui sont des valeurs fortement portées par le réseau, se diffusent aussi et surtout dans les formations. « J’y ai rencontré des gens formidables avec une vision juste de l’enfance et de l’apprentissage ».

A son tour d’ailleurs, elle donne un peu de son temps à la formation des nouveaux arrivants. « Des demi-journées sur les sciences ou sur le jeu qui sont essentielles pour mieux appréhender l’enseignement immersif ». Pour autant, enseigner à Diwan nécessite un travail important de la part des enseignants. « Au début, mes fiches de préparation étaient en français et je les traduisais. Heureusement, aujourd’hui j’ai automatisé le transfert d’une langue à l’autre ». Il faut aussi souvent créer ses propres supports. « Des éditeurs commencent à traduire des manuels, mais cela n’existe pas pour toutes les matières. D’où aussi une grande solidarité entre les enseignants. On échange beaucoup sur nos contenus ». Outre le processus habituel de transposition didactique, l’enseignant doit aussi travailler au quotidien la langue avec les enfants. « C’est à nous de détecter quand on peut les emmener à utiliser de manière active le vocabulaire passif qu’ils acquièrent tous les jours ». La plupart des enfants ne parlent pas breton à la maison et sont plongés dans un bain de langue à l’école. « Cela ne les épuise pas, ils le font naturellement mais leur cerveau se développe différemment des enfants monolingues ». Pour elle, la clé c’est la confiance des parents. « L’essentiel, c’est de s’intéresser à ce que fait l’enfant, de parler avec lui de ce qu’il apprend et de faire confiance au projet de l’établissement et aux enseignants».

Quand on évoque une forme de communautarisme chez Diwan, cela amuse l’institutrice. « On est très loin de ce cliché. Les élèves de ma classe viennent d’horizons très différents, certains ont des parents immigrés, d’autres parlent déjà plusieurs langues. Le point commun des parents, par contre, c’est de s’être questionnés sur l’éducation et de reconnaître les bienfaits de l’enseignement par immersion ». Le lien noué avec les familles est aussi un peu différent de celui qui peut exister dans d’autres écoles. « Comme l’école est associative, son fonctionnement repose beaucoup sur les actions des parents auxquelles nous participons aussi ». Le cahier de vie de l’enfant est aussi un réel lien entre l’école et les parents. « On y met les travaux de l’élève et des photos de ses avancées ». Si elle n’est pas entrée à Diwan par volonté militante, Laurence a vu peu à peu s’éveiller sa conscience politique. « Si je peux comprendre qu’il y ait eu des doutes dans les années 70 sur ces nouvelles écoles, aujourd’hui, nous ne devrions plus rien avoir à prouver. Nos résultats sont tout aussi satisfaisants, voire meilleurs que ceux des autres écoles et les bienfaits de l’immersion sont reconnus par tous les spécialistes ». Enseigner à Diwan, c’est aussi encore et toujours manifester pour conserver le droit d’exister.

Diwan
Bruno Boisrobert

L’ancien journaliste

Bruno Boisrobert, 42 ans, est remplaçant depuis un an. Il a en charge les CE1-CM1. L’ancien journaliste a suivi une formation intensive de 6 mois quand il était étudiant. Il a ensuite travaillé à radio Kerne, puis à TV Breizh et TF1. Après une reconversion dans la pêche, il a « rendu service sur un poste où le professeur était en arrêt ». Depuis, il apprend sur le tas à Diwan. « Je n’imaginais pas autant de travail, tant en préparation qu’en correction », constate-t-il. S’il n’envisage pas encore de passer le concours qui le titulariserait, ce papa de trois enfants prend peu à peu ses marques. « Je donne peu de devoirs car, en tant que parent je sais combien c’est chronophage et peu utile. Cela rassure aussi les familles non brittophones ». Parmi ses élèves de CE1 et CM1, il ne différencie pas ceux qui parlent breton ou non à la maison. « Certains ont un excellent niveau alors qu’ils ne parlent breton qu’à l’école ». Quant aux difficultés scolaires qui pourraient naître de l’enseignement immersif, Bruno n’y croit pas. « Ceux qui ont des difficultés de lecture, par exemple, les ont dans toutes les langues ». Pour lui, le niveau de français des CM2 à Diwan est le même que celui de leurs camarades des autres écoles. « C’est juste qu’il y a un petit décalage entre le CP et le CE2 parce qu’ici, on apprend à lire et à écrire en breton en CP, puis en français en CE1 ».

Diwan
Gaëlle Kervella

Reconversion

Gaëlle Kervella est en année de titularisation. Elle est en charge à mi-temps des grandes sections. « Je suis venue à l’enseignement après une reconversion. Avant, j’étais juriste. Le breton, je l’avais déjà dans l’oreille avec mes grands-parents. J’ai suivi une formation intensive de 9 mois pour m’y remettre ». Pour Gaëlle, le choix de l’enseignement immersif s’est imposé naturellement. « En tant que mère et en tant qu’enseignante, je suis pleinement consciente de la capacité qu’ont les enfants à s’adapter à différentes langues, à les apprendre simultanément. Enseigner en breton, c’est aussi une manière de garder la langue vivante et ça me tient à cœur ». Partageant sa semaine entre formation et classe en responsabilité, Gaëlle vit une année intense. « J’essaye de profiter au maximum des cours qu’on nous donne. On apprend la pédagogie mais aussi comment un enfant maîtrise une langue. On a aussi des modules pratiques sur comment gérer sa voix par exemple ». En fin d’année, elle sera évaluée par un formateur de l’INSPE. Les mêmes règles, les mêmes conditions que pour ses collègues des écoles publiques. Pour parfaire son niveau de langue, Gaëlle pratique au quotidien avec ses amis, en milieu associatif et en stage l’été. « J’assure également les cours d’anglais dans les classes des plus grands. Pour moi, une langue n’est pas en concurrence avec une autre. Au contraire, les enfants qui sont bilingues précoces ont une plus grande ouverture d’esprit, une facilité à s’imprégner de la diversité des cultures ».

Quelle formation pour les enseignants ?

Patricia Chorlay, responsable du master MEEF 1er degré à l’institut Kelenn [la formation de Diwan ndlr], précise que le centre de formation qui prépare les futurs enseignants respecte la maquette décidée au niveau régional. « Nos étudiant.e.s bénéficient des mêmes contenus d’enseignement que leurs collègues qui enseigneront en bilingue, tant au niveau des cours disciplinaires que transversaux ». Pour elle, la formation dispensée vise avant tout à former des enseignants, et non à préparer spécifiquement le concours de professorat des écoles, même si la plupart le passent. « Nous ne faisons pas du bachotage, nous essayons de préparer les étudiant.e.s à devenir de bon.ne.s professeur.e.s ». L’immersion se pratique également dans la formation. « Quasiment tous les cours sont en breton ». Quant aux formateurs, ils sont aussi le plus souvent enseignants eux-mêmes. « Ils interviennent sur des domaines de compétences dans lesquels ils sont spécialisés ». D’autres professionnels sont également sollicités comme un psychologue sur le développement de l’enfant. « Les étudiant.e.s savent pourquoi il.elle.s sont là. Il.elle.s font un choix en se destinant à travailler dans des écoles immersives, d’où une motivation supplémentaire ». Au CRPE, outre les épreuves des autres candidats, il.elle.s passent un écrit et un oral en breton. La transmission se fait aussi lors des 6 semaines de stage. « L’accueil réservé par les enseignant.e.s en poste est toujours très sympathique ».

> Denise Marechal

Rédactrice. Agrégée de lettres modernes, Denise Maréchal est enseignante en lycée à Quimper et chargée de cours à l'Université de Bretagne Occidentale. Autrice de publications parascolaires et de vidéos de préparation aux examens, elle est aussi contributrice au magazine Le Peuple breton et correspondante locale de presse à Ouest-France et Côté Quimper. Denise est par ailleurs passionnée de théâtre, militante féministe et engagée dans la défense des droits des minorités. [Lire ses articles]