Le Peuple breton perd un ancien rédacteur en chef, Joël Guégan

Joël Guégan

Décédé samedi 16 avril 2022, Joël Guégan a été une figure politique de Lorient, mais également un des anciens rédacteurs en chef du Peuple breton. C’est avec une grande tristesse que notre titre lui rend hommage.

Joël Guégan a vu le jour en 1934 à Lanester au lieu dit « La maison Brûlée » à Lann Sévelin, puis habita Lorient. Il perdit son père à trois ans et sa mère élèvera seule ses trois enfants. En 1943, ils doivent évacuer Lorient pour fuir les bombardements. Réfugié à Laz jusqu’en 1949, Joël immergé dans un milieu bretonnant, apprend et découvre la richesse de la langue bretonne. De ses souvenirs de gamin, il me raconta qu’un soir au moment du souper, à table, il saigna du nez dans son assiette. Le fait qu’il dût finir sa soupe le marqua profondément.

Alors que la petite famille pauvre va retourner vivre à Lorient dans une baraque américaine, Joël, bon élève boursier, peut continuer des études au lycée de Quimper. À la faculté des Sciences de Rennes, il devient en 1955 Président des Jeunesses Etudiantes Bretonnes (JEB). Libéré de ses 28 mois d’armée en Algérie pendant la guerre, il passe ensuite un an à Strasbourg pour terminer ses études. Après deux ans à Pontivy, il enseignera la physique trente ans au lycée Dupuy de Lôme de Lorient.

Militant syndical, il adhère en 1968 à l’Union Démocratique Bretonne. En 1971, il devient le premier conseiller municipal UDB d’une grande ville. C’est l’époque où la défense de la culture bretonne n’est pas une évidence dans ce qui se revendique aujourd’hui la capitale de l’interceltisme. Joël fut un pionnier. En 1973, il obtient aux élections cantonales le meilleur score du parti. Cette année-là, il entre aussi au Comité Directeur de l’UDB – futur Bureau Politique – dont il deviendra le porte parole puis le représentant de la fédération du Pays de Lorient. Joël savait créer l’émulation par ses convictions, sa bonne humeur et son dynamisme.

J’ai en mémoire de cette époque une fin de fest-noz organisé par l’UDB au palais des congrès de Lorient. Au petit matin, tous les militants étaient sur les genoux et venaient de ranger les dernières chaises pour laisser l’endroit comme nous l’avions trouvé. Et là, nous avions tous été bluffés en voyant Joël passer la serpillière avec une énergie dont nous nous demandions où il pouvait bien la puiser ? Mais Joël, c’était la générosité dans l’effort, dans l’engagement, la générosité tout court. J’ai un autre souvenir qui l’illustre bien : l’entreprise où je travaillais avait obtenu un chantier pour clôturer les terrains d’un lotissement de maisons individuelles dans le quartier du Ter où habitaient à l’époque Joël et Raymonde, son épouse (il fut d’ailleurs secrétaire du Comité de défense des Rives du Ter). C’était en janvier ou février dans un froid glacial et les courants d’air. Un matin. Un collègue et moi avons vu Joël débarquer sur le coup de 10h. Il ouvrit le haillon arrière de sa voiture et posa un plateau avec deux tasses, du sucre, une thermos de café et des croissants… ça en dit long sur le bonhomme !

Joël savait mettre les gens à l’aise, il savait écouter et n’a jamais oublié d’où il venait. En 1982, il accepta la responsabilité des finances du parti. Ce fut la période la plus compliquée politiquement et financièrement pour l’UDB qui connu un passage à vide. Notre trésorier et deux des principaux responsables du parti (Herri Gourmelen et Michel François) auront été jusqu’à hypothéquer leurs biens personnels pour obtenir un prêt bancaire afin de maintenir le fonctionnement d’une UDB très endettée. Preuve d’une certaine confiance dans l’avenir mais grosse pression sur le couple Guégan qui doit supporter les lettres recommandées, relances et visites d’huissiers qui vont avec.

En 1993, il accepte de devenir le responsable presse du parti en prenant la tête de la rédaction du mensuel Le Peuple breton, tâche totalement bénévole qu’il assuma jusqu’en 1999. C’est ainsi qu’il fut le seul avec Ronan Leprohon (qui lui succéda à la tête de notre magazine) a avoir occupé trois des quatre principaux postes du bureau politique. Tout ceci en parallèle de trois décennies passées comme élu municipal actif où il aura rédigé un nombre incalculable de billets, communiqués et articles pour la presse quotidienne ou pour Le Peuple breton dont il était un vendeur acharné et performant. Longtemps, il en anima les ventes plusieurs fois par mois le dimanche matin devant les PMU du pays de Lorient.

Yannick Quénéhervé et Joël Guégan, en 1984, posent symboliquement une pierre pour l’emploi à la SBFM.

Après sa réélection comme conseiller municipal de Lorient en 1977, puis en 1983, ce père de famille attentif devient adjoint à la jeunesse et aux affaires sociaux éducatives. C’est pendant ce mandat que Joël eu à gérer en première ligne la crise financière et la restructuration des Centres Sociaux, décidé antérieurement et donc indépendamment d’équilibres financiers. À cette occasion, le Vice-Président qu’il était fit preuve d’un certain courage politique en se retrouvant un peu seul en tant qu’élu à s’opposer à une volonté affirmée de réduire les financements dans un secteur concernant pourtant les plus défavorisés. Il s’est battu jusqu’au bout pour défendre honnêtement le personnel, le bilan social de leur action et des projets conformes à un programme municipal ambitieux.

En tant qu’homme authentiquement de gauche, il fut extrêmement déçu, blessé par certains renoncements et méthodes. Cet épisode l’avait marqué au point qu’aux municipales suivante de 89, il fit avec l’UDB le choix de s’engager sur une liste bretonne et écologiste : An Oriant Ecologie. Joël n’envisageait même pas d’être élu, au mieux d’intégrer le conseil qu’à mi-mandat après une pause salutaire… Mais son apport à la liste fut précieux pour ses colistier qui découvraient les arcanes des affaires municipales. Grâce à un score remarquable et une réélection, il mènera une autre grosse bagarre pour s’opposer à la privatisation de services municipaux. En 1995, l’UDB dans un nouveau rapport de force renoua avec ses anciens alliés de gauche. Élu avec trois autres camarades du parti, Joël reçoit une délégation à l’environnement et à la santé.

Sa passion et sa formation l’aideront à être un précurseur sur de gros dossiers à la pointe de la technologie et sur les questions de la qualité de l’eau et des recherches d’économies. Notre adjoint n’a pas eu de mal à faire le lien entre écologie, économie et social.

Tout au long de ses années de militantisme, Joël fut envoyé « au charbon », aux élections européennes et quatre fois aux législatives. Tête de liste pour le Morbihan aux Régionales de 86 et 92 puis encore candidat en 98, il obtint d’excellents résultats aux cantonales (6,7 %, 7,5 % et 10,5 % en 1994).

Joël Guégan Crédit: Yannick Quénéhervé

En désaccord sur la position de l’UDB qui opta pour le « oui » au traité constitutionnel de 2005, il quitte le parti et se consacre à l’action associative. Hélas, miné par les problèmes de santé de Raymonde et terriblement affecté par son décès prématuré, son état de santé s’est inexorablement dégradé. Joël restait très attaché au parti qui l’avait marqué « jusqu’au trognon » comme il disait, lui si passionné par le combat politique aurait pu y revenir mais la maladie en a décidée autrement.

La ville de Lorient, la fédération UDB du Morbihan ainsi que tout le parti lui doivent beaucoup. Son sens de la formule, sa capacité à résumer simplement les choses et à les imager en ont fait le concepteur d’un nombre d’affiches du parti autonomiste particulièrement réussies, devenues cultes. Nombreuses sont les générations de militants qui conservent en mémoire et avec sympathie les interventions en congrès de notre élu lorientais qui, si elles pouvaient provoquer l’hilarité de la salle, n’en avaient pas moins une sérieuse efficacité politique.

Joël laissera le souvenir d’un battant, élu dévoué et honnête, d’un militant droit, ouvert, pragmatique. Respecté par la plupart de ses partenaires et adversaires politiques, il était yn personnage simple et populaire qui n’aimait ni les frimeurs ni les faux culs, qui fut à l’écoute des plus humbles et mis une bonne partie de son existence au service du peuple breton.

> Yannick Quénéhervé

Yannick Quénéhervé est un ancien ouvrier de la SBFM (aujourd'hui Fonderie de Bretagne) et militant UDB. Il a également publié deux livres aux éditions Yoran Embanner, le premier relatant sa vie militante et professionnelle (Le coeur à gauche), le second en collaboration avec Jean-Jacques Monnier et Lionel Henry sur l'Histoire de l'UDB.