Le monde celtique est de moins en moins méconnu et sort lentement des brumes insondables, peuplées de tous les fantasmes sur l’inconnu, où l’avaient relégué les lumières de l’antiquité méditerranéenne, par leur remises à l’honneur à la période « moderne ». S’il y eut bien la conquête romaine et son génocide culturel, nombreuses survivances de ce substrat fondateur a traversé les siècles jusqu’à aujourd’hui. Occasion de s’y repencher sérieusement. Entre études récentes sur la toponymie des frontières anciennes et deux ouvrages sur la mythologie celtique, on ne peut que saluer la pertinence des éditeurs pour ces trois ouvrages majeurs récemment parus.
Pour celtisants avertis certes. Une recension toponymique de haut vol et de haute garde. Un ouvrage majeur du genre à trôner dans les plus pointues bibliothèques. Pas de personnages mais des lieux multiples décapés de leurs gangues sédimentaires pour les placer dans une géographie très ancienne des « limites » entre peuples gaulois, qui étonnamment fonctionne encore au quotidien, à la virgule près des usages. Aucun délire d’interprétation, un abord très documenté, un parti pris initial d’interprétation des toponymes avec 12 entrées, de l’equo-randa des Ingrandes au medio-lanon des Milan. Le tout remarquablement interprété, avec sa marge d’erreurs reconnue mais qui ouvre bien des perspectives. Et replace un passé oublié dans des réalités sensibles perçues des gens qui ont encore pieds sur terres. Deux tomes, des cartes de synthèse convaincantes… Passionnant. Une somme remarquable d’érudition, d’intelligence et d’humilité. Décapant !
Jacques Lacroix, Les frontières des peuples gaulois, Yoran, 2021, 2 tomes, 560 p. + 400 p., 2 x 29 €

Les Mabinogion, prétendu recueil de « contes », mais, en fait pour partie, récits mythologiques, sont le pendant brittonique de la tradition gaélique d’Irlande ou d’Écosse. Remis en lumière par la traduction anglaise de Lady Charlotte Guest entre 1838 & 1849, qui inspirera la « Légende Celtique » de La Villemarqué en 1849, ainsi que la traduction récente en breton. Le travail majeur les concernant reste malgré tout celui de Joseph Loth, celtisant hors pair, publié en 1889 dans le cadre du « Cours de littérature celtique » de d’Arbois de Jubainville, car il bénéficie d’un appareil critique hors-pair. Il sera republié en 1974 dans la collection l’Arbre Double avec une préface de Jean Markale, mais dépourvu des précieuses notes du savant du XIXeme. À mentionner aussi la version de Pierre-Yves Lambert, publiée chez Gallimard, dans la riche collection de textes fondateurs « L’Aube des Peuples ». Ces récits assez courts destinés vraisemblablement à l’apprentissage des jeunes « bardes » médiévaux, d’où le « mab » ou « fils » en gallois comme en breton qui figure dans le titre « Mabinogion », compilent 4 récits mythologiques principaux, les 4 « branches » (de Pwyll, de Branwen, de Manawydan, de Math), plusieurs autres récits apparentes dont Culhwch & Olwen, quelques triades & l’aventure de Taliesin. Auxquels s’ajoutent les « 3 romans », qui s’apparentent plutôt aux récits arthuriens : Gereint & Enid, Owain et Peredur qui sont le pendant de ceux de Chrétien de Troyes. Issus de 2 manuscrits principaux du XIVeme siècle, Le Livre Blanc de Rhydderch et le Livre Rouge de Hergest, c’est du second qu’il s’agit dans cette réédition qui reprend fort heureusement l’ensemble des précieuses notes de Loth. Un travail éditorial, à prix modique, à saluer grandement par une petite maison prolifique qui compte aussi un Merlin & un Mélusine à son catalogue. Avis aux amateurs !
Le Livre Rouge de Hergest, traduction et notes de Joseph Loth, CPA Éditions, 370 p., 15€
Ozégan, Olivier Perpère de son avatar d’état civil, est un conteur aguerri par les multiples sentiers de toutes les Bretagnes. Depuis son verbe enchanteur des scènes et des veillées, il offre cette fois à un public soucieux du coin des feux intérieurs, paisibles & magiques, un athanor des plus inspirants composé des mythes de toutes les Celties. Irlande, Ecosse, Galles, Bretagne, et même Gaule, sont déclinés selon des chapitres en veillées thématiques. Si la mythologie irlandaise, la moins connue, car moins accessible, sert de base à l’ensemble, dans un entrelacs guidant le long récit des origines, elle trouve aussi la voie de s’ouvrir au plus rétif des lecteurs dans une langue enfin fluide. Tir na ’n Og, Lugh, Llŷr, Merlin, Avallon, Gwenc’hlan, Kernunnos ou Epona, et bien d’autres, tendent les fils de ce canevas de merveilles, recomposé à la manière d’un Ovide et ses Métamorphoses. Un tableau mythologique éclectique des plus complets qui rend sa cohérence a un monde de mémoires éclaté par l’Histoire, en une longue histoire ponctuée de poésies, proverbes & chants, comme il se doit dans l’art du conte. Et réflexions sur la place du poète depuis la nuit des temps, citant Xavier Grall : « Chaque barde qui sommeille, c’est le soleil qui vient… » Le tout introduit par un juste portrait du monde celtique depuis les sources antiques, et complété d’une bibliographie précise. Un ouvrage généreux et de référence à trôner dans toute bibliothèque, de la plus savante à la plus humble. Qu’il soit donc une et de multiples fois encore…
Ozégan, Keltoï, Les légendes des premiers Celtes, illustré par Yves Truchard, éditions Vega, 678 p., 27€.