Nil Caouissin : « Pour le breton, le décalage entre l’attente et les moyens mis est énorme »

Pour les élections régionales des 20 et 27 juin, l’UDB a fait le choix de s’associer aux écologistes dans une alliance comprenant 7 autres partis politiques (EELV, Ensemble sur nos Territoires, Bretagne écologie, Générations écologie, Génération.s, les Radicaux de Gauche et Nouvelle Donne). Parmi les thèmes qui sont évidemment chers au parti autonomiste figure celui de la langue bretonne qui a été fortement médiatisé ces dernières semaines. Le Peuple breton a posé quelques questions à Nil Caouissin, deuxième de la liste dans les Côtes d’Armor, à ce sujet.

Le Peuple breton : En quoi la langue bretonne est-elle un enjeu de ces élections régionales ?

Nil Caouissin : La langue bretonne est à un tournant. Les attentes sont très fortes, l’opinion est majoritairement pour que le breton vive, qu’il soit plus présent à l’école, dans les médias, sur les panneaux, dans les services publics, l’étude socio-linguistique de 2018 l’a montré. Mais dans le même temps, il n’y a plus que 200 000 locuteurs, et la plupart d’entre eux ne seront plus là dans vingt ans. Il y a donc urgence. Et le décalage entre l’attente et les moyens mis est énorme : 40 % des jeunes aimeraient que leur enfant apprenne le breton à l’école, mais moins de 10 % des écoles proposent une filière bilingue. Il faut donc agir maintenant, en renforçant rapidement la politique linguistique régionale et en arrachant des avancées dans la loi.

Quels sont vos propositions en matière d’éducation, et de la place du breton dans la vie publique ?

Deux axes principaux : la co-officialité et l’enseignement bilingue et immersif. La co-officialité est indispensable pour légitimer la pratique du breton dans l’espace public. Elle peut se construire à partir des moyens actuels du Conseil régional, en systématisant le bilinguisme et en permettant l’expression en breton lors des sessions, notamment. Ensuite il faudra gagner des batailles politiques pour faire bouger la loi et la Constitution.

Le deuxième axe fondamental, c’est l’enseignement : il faut gagner en quantité et en qualité. Former plus d’enseignants en breton, étoffer les filières bilingues (qui trop souvent restent des filières au rabais au collège) et encourager les pratiques les plus efficaces. Nous prévoyons de doubler le budget régional pour la langue bretonne, ce qui devrait permettre d’augmenter significativement le nombre de places de stages en formation longue, et de les proposer plus largement aux enseignants. Il faut aussi renforcer le soutien à Diwan qui traverse des moments difficiles mais qui reste essentiel, car c’est le réseau le plus efficace pour faire pratiquer et maîtriser la langue bretonne aux élèves. La pratique de l’immersion doit continuer et se développer dans les filières publiques, quoi qu’en pense Jean-Michel Blanquer.

Il est impossible de tout détailler ici pour l’enseignement, et il faut aussi citer le soutien aux médias en breton, à la production artistique, à la recherche, à la préservation de la toponymie… Un dernier axe à travailler serait d’inclure des critères linguistiques dans la conditionnalité des aides aux associations et aux entreprises, pour valoriser et encourager, en particulier là où la Région finance beaucoup ou détient des participations.

Comment rebondir après la censure partielle de la loi Molac par le Conseil constitutionnel ?

C’est un coup très dur porté à l’enseignement en breton et à la légitimité même de cette langue (avec le maintien de l’interdiction de plusieurs prénoms bretons). Le Conseil constitutionnel, organe politisé et non judiciaire, a donné une interprétation très contestable de la Constitution. Jean-Michel Blanquer et La République en Marche on eu ce qu’ils voulaient, et ont les mains libres pour préparer la liquidation de Diwan. Il faut bien sûr s’y opposer dans la rue et les sanctionner durement dans les urnes, en 2021 comme en 2022. Une partie du mouvement breton a cru pouvoir obtenir des avancées en mangeant dans la main de La République en Marche. On voit le résultat : à force de se désarmer face au gouvernement, le message transmis et bien reçu par Macron est « vous pouvez faire n’importe quoi, on vous soutiendra toujours ». La seule chose qui peut pousser les députés à modifier la Constitution, c’est la crainte de ne pas être réélus. En attendant, le Conseil régional doit être au front en permanence pour protéger Diwan et promouvoir un bilinguisme renforcé dans les filières publiques.

L’UDB propose depuis de nombreuses années un statut public régional pour Diwan. Cette crise constitutionnelle peut-elle accélérer ce projet ?

Elle en démontre en tout cas la nécessité. Tant que Diwan aura le statut d’écoles privées, quoique dise sa charte, l’État ou des élus locaux hostiles pourront toujours se servir de ce prétexte pour remettre en cause son financement. D’un autre côté une intégration pure et simple à l’Éducation nationale est impensable, dans l’état actuel cela équivaudrait à la disparition du meilleur système d’enseignement en breton. Il nous faut un statut public régional, parallèle à l’Éducation nationale, qui permettrait un financement stable pour une mission de service public reconnue.

 

> Ar Skridaozerezh / La Rédaction

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