De la tyrannie des normes pour l’élevage paysan !

Vendredi 28 mai, la Confédération paysanne invitait élus et journalistes à visiter la ferme de Séverine Mouillée et Clément Le Héritte, à Plouay. Ces deux éleveurs de poules bio ont présenté le modèle économique de leur exploitation et évoqué la question des « normes » qui n’est pas adaptée à l’agriculture paysanne.

Quand Séverine Mouillé s’installe au lieu-dit Le Guern à Plouay, elle démarre avec 6000 poules sur 20 hectares. Une superficie trop juste en bio. L’arrivée de Clément Le Héritte va pousser les murs de la ferme puisqu’ils investissent dans 90 hectares. « En réalité, nous n’avions besoin que de 65 hectares, mais c’était ça ou rien », explique-t-il. Ils passent alors à 12000 poules avec pour objectif d’avoir un salarié et de se prendre des week-ends.

4 parcours, 120 poulardes, 1000 pintades, 10650 poulets, 100 coqs au lait, 130 dindes, ainsi que 100 poules pondeuses. Le modèle fonctionne. À trois, chacun se tire un SMIC et 2 ou 3 semaines de vacances, ce qui est plutôt bien dans un monde agricole où les éleveurs ont du mal à quitter la ferme plus d’une journée. « Il y a du débouché, de la demande. Le plus dur, c’est à Noël. Mais nous, on n’augmentera plus », affirme Clément. C’est tout l’esprit de la Confédération paysanne justement : rester à des tailles qui permettent de conserver le lien au sol. Les paysans valorisent leur colza en huile, produisent des lentilles, du chanvre, de la paille de construction, du blé et blé noir, des pois, du triticale, de l’orge brassicole. « Bientôt, je compte mettre du trèfle et de la luzerne », ajoute Clément. L’alimentation de la volaille est à 95 % bio, les poussins sont élevés en poussinière pendant 28 jours et sont abattus entre 98 jours et 126 jours. Les poules dorment enfermées la nuit, mais selon l’éleveur, « les bâtiments ne sont pas adaptés pour laisser les volailles à l’intérieur ».

Face à la grippe aviaire, pourtant, aucune distinction n’est faite par les autorités entre les grands éleveurs et les petites structures. Certes, personne n’est épargné si une poule est contaminée et les règles sanitaires sont évidemment importantes, mais entre perdre 250 têtes et des dizaines de milliers, il y a une marge. Et chacun sait que le risque est bien plus élevé quand la concentration avicole est importante. En enfermant ses poules, Clément Le Héritte, lui, perd chaque année une partie de son cheptel et cela n’a rien à voir avec la grippe aviaire…

Clément et Séverine ont une vision à taille humaine : ils observent, expérimentent. Ils ont constaté par exemple que les pintades exploraient beaucoup plus le terrain que les poulets qui restent proches des bâtiments. En faisant cohabiter les deux espèces, ils se sont rendus compte que la pintade attire le poulet plus loin ! Hélas, cette taille humaine n’est pas la norme en France. Au contraire ! Tout est pensé par et pour les gros élevages. Ainsi, la restauration collective, puissant levier de développement de filières, est conditionnée pour ne recevoir que des filets, tous identiques et à un prix bas. Le manque de cuisiniers dans les cantines des lycées pose également problème.

D’autres éleveurs étaient invités à cette matinée de présentation pour expliquer les difficultés du monde paysan. Comme Caroline, de Theix, éleveuse de poules pondeuses. « J’ai un tout petit atelier avec une commercialisation dans un rayon de 20 kilomètres. J’ai d’abord eu des difficultés à accéder aux terres. En tant que femme non issue du monde agricole, c’était déjà dur, mais avec un projet hors norme de seulement 1000 poules, les banques ne voulaient pas y croire. » C’est une bataille avec la Confédération paysanne qui lui a permis de s’installer. Mais très vite, Caroline déchante à cause des règles sanitaires : « à partir de 250 poules, ce sont les mêmes normes que pour 10000 ! » Et les services de contrôle semblent beaucoup plus méfiants envers les petits que les gros : « moi, je suis sûre de mes produits… mais pas la DDPP [Direction départementale de la protection des populations] ! Lors d’un de leur dernier passage, ils m’ont même dit que la prochaine fois, « ils ne me préviendraient pas ». Une menace à peine voilée qui ne s’appuie sur aucune réalité. « Il y a une méfiance énorme envers les petits élevages, une pression permanente des services vétérinaires. J’ai choisi de vendre des œufs frais et pas extra-frais sinon je devrais avoir encore plus de normes à respecter ! », se désole Caroline. Récemment, elle décide de faire exceptionnellement un traitement à ses poules. « Résultat : j’ai perdu 10 % de mon cheptel. Et beaucoup d’autres poules m’ont été rendues dans un état lamentable, toutes déplumées. J’avais honte de les vendre au marché ! On me dit que j’ai été « solidaire » de la filière avicole, la belle affaire ! ». Une poignée d’années seulement après son démarrage et malgré une activité qui fonctionne très bien, le sens du métier de Caroline lui échappe et elle se pose la question de continuer. « Il faut de l’énergie que je n’ai plus ».

Romain, éleveur de poules pondeuses à Gourin sur exactement le même modèle que Caroline ne dit pas autre chose. « On vient m’imposer des choix de gens qui ne font pas le même métier que moi ! Pourquoi je devrais supporter la même pression que ceux qui exportent ? Moi, je ne leur impose pas de mettre des poules en plein air ! » Nicolas, éleveur de porcs bio à Augan, conteste aussi le fait que les normes soient identiques quelque soit la taille de l’élevage. Il s’étonne de devoir laisser ses cochons à l’intérieur des bâtiments alors que les sangliers pullulent dehors ! Un autre éleveur de porc témoigne du fait qu’il lui est impossible de transformer ses saucisses chez lui sous prétexte d’hygiène alors que les contrôles avant la vente sont de toute façon draconiens. « Les chasseurs ont pu lâcher des faisans, mais nous, on enferme nos volailles ! », explique un dernier éleveur de poulets. Les exemples d’absurdités sont si nombreux qu’il serait impossible de tout citer ici. Les politiques invités ont pu mesurer à quel point le centralisme et l’absence d’adaptation aux territoires et aux réalités locales étaient inefficaces.

Julien Hamon, porte-parole de la Confédération paysanne, a conclu la matinée en expliquant que le type de fermes prônées par le syndicat agricole permet l’autonomie. « Elles sont plus résistantes aux crises et résilientes grâce au lien au sol. Elles respectent les animaux, créent de la valeur ajoutée et maintiennent l’identité paysanne ». Et pourtant, il est probable que ce modèle ne puisse pas perdurer. Nombreux sont les paysans à penser que dans 10 ans, ce type d’exploitation n’existera plus. La récente réforme de la PAC les inquiète fortement puisqu’aucune des revendications du syndicat agricole n’a été entendue : ni l’aide à l’actif plutôt qu’à l’hectare, ni le plafonnement des aides pour partager avec les oubliés de la PAC, ni la dégressivité des aides. Pour couronner le tout, les aides au bio vont être réduites des 2/3. On mesure donc l’enjeu des prochaines élections régionales… car si l’Union européenne ne finance plus, les élus bretons devront compenser pour développer cette agriculture paysanne face à l’agrobusiness. David contre Goliath, toujours…

 

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]