Lillah Politzer : « un tel combat, ça rend vivant ! »

Chanteuse et auteure, Lillah occupe le Grand Théâtre de Lorient depuis plusieurs semaines. Jusqu’à présent, cette Lorientaise n’a exercé son art qu’à côté d’une autre activité professionnelle, mais cela pourrait changer…

« Je n’ai jamais voulu être intermittente jusqu’à 2020, l’année du covid ! J’avais entamé les démarches depuis un moment, commencé à cumuler les cachets, mais j’ai perdu mes heures à cause de la crise sanitaire. Je suis donc partie dans la restauration pour m’assurer un petit salaire ». Lillah a l’expérience de multiples jobs : assistante de vie scolaire, serveuse, accompagnatrice pour adultes handicapés lors de voyage, travail en crèche comme animatrice ou cuisinière, standardiste pour des sondages téléphoniques… Tout cela en parallèle de la musique ! « Vivre de mon art me paraissait compliqué et instable », se justifie-t-elle.

Aujourd’hui, Lillah se sent « un peu perdue ». Intermittence ou non ? « Au moment où je me lance, tout s’écroule ! J’aimerais bien, c’est un idéal. Mais j’ai aussi peur du stress de devoir conserver le régime, de toujours être en recherche de dates pour faire mes heures. Avec le temps, je pense que je vais y retourner, mais pour le moment, je suis entre deux. » On est loin là des clichés sur l’intermittence. On touche au contraire du doigt le quotidien d’un ou une artiste, sa difficulté à se projeter, à faire des projets personnels alors qu’il/elle ne sait pas s’il/elle pourra compter sur un salaire ou non.

Lillah est arrivée dans l’occupation alors qu’elle était commencée depuis 3 semaines. « Je regardais ce qui se passait de loin, je me sentais concernée. Il y avait un côté militant en moi qui s’était endormi depuis trop longtemps et que je sentais refaire surface, mais j’ai attendu avant de passer le pas. Et puis, je suis venue à une Agora qui a débouché sur une assemblée générale qui a elle-même débouché sur une commission artistique le soir même… et je ne suis plus repartie ! » En participant, Lillah prend la mesure de ce qu’il y a à défendre, l’ampleur du mouvement. « L’organisation m’a plu : c’était très sérieux, il y avait des gens qui savaient de quoi ils parlaient. Je savais que je ne pouvais pas lâcher. »

De la commission artistique, elle passe à la cuisine, puis cherche à se rendre utile ailleurs, en mettant en place des actions, en rédigeant des compte-rendus… « On trouve toujours des choses à faire. Je suis restée car cela correspond à mes convictions : la protection des acquis sociaux ou plutôt des conquis sociaux. Les mêmes qui sont en cours de destruction par les gouvernements successifs. »

De l’aveu de Lillah, cette occupation « fait un bien fou ». « Surtout à un moment où on était si éloignés les uns des autres. Pas de contact, pas d’idées qui émergent. Rien que d’être à plusieurs autour d’une table, proposer des idées concrètes, ça m’a fait un bouillonnement dans le ventre. On peut être ensemble en dehors d’une cause politique, bien sûr, mais un tel combat, ça rend vivant ! Être au contact de vous tous, c’est une richesse ! »

Elle poursuit : « ceux et celles qui sont en CDI, avec une carrière derrière et devant eux, se moquent peut-être de cette lutte, mais pourtant, ça les concerne aussi. On doit préserver ce que certains, jadis, ont réussi à obtenir en termes de droits sociaux… et qu’aujourd’hui d’autres piétinent ! Certaines personnes mettent une énergie folle à détruire ce qui est bon pour nous ! Je m’en fais peut-être une vision simpliste, les enjeux me dépassent un peu, mais je dirais : le fric, le fric, le fric… et le pouvoir. Ici, on cherche une forme d’équité. Si tu as plus et que j’ai moins, ensemble on s’équilibre ! »

Pour Lillah, le deuxième confinement a été plus destructeur que le premier. « C’est arrivé en douceur, je ne m’en suis pas rendue compte tout de suite mais je ne chantais plus jamais. Je ne chantais plus du tout alors que je chante depuis que je suis née. Venir ici m’a fait du bien de ce point de vue là aussi. Je me surprends, depuis, à rechanter. Mais ce n’est pas venu tout de suite. On est ensemble pour créer quelque chose, je trouve ça beau, fort et vital. Je pense que ce mouvement durera hors les murs. D’ailleurs, je pense que si nous devions occuper un autre lieu, il faudrait qu’il ne soit pas artistique. Il faut sortir de cette case pour que les gens comprennent qu’on se bat pour tout le monde, pas uniquement pour les musiciens. » Jusqu’à présent, l’idée passe mal. « Il faut prendre les textes de loi et aller les expliquer dans les facs, les écoles, aux Beaux-Arts, dans les usines (…)». Il y a encore du pain sur la planche !

 

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]