Eric Nedelec est guitariste. « Depuis toujours… enfin depuis l’adolescence », précise-t-il. Intermittent sans discontinuité depuis 1999, il fait partie des occupants et occupantes du Grand Théâtre de Lorient. En 2014, Eric avait été déjà un « invité » du Peuple breton. Sept ans plus tard, il fait partie de la série de portraits commencée voilà quelques semaines…
« Aujourd’hui, nous ne sommes pas vraiment concernés par la réforme de l’assurance-chômage, mais ceux qui le sont, sont, comme nous, des intermittents de l’emploi. Nous sommes le prochain wagon. » D’emblée, Eric pose les choses. Il a l’expérience des luttes, la reconnaissance de nombreux pairs. « L’évolution majeure, ça a été en 2003. Avant, les droits étaient observés sur un an et s’ouvraient sur un an. À cette époque, ils ont passé l’observation à 10 mois pour les techniciens et 10 mois et demi pour les artistes. Il fallait donc faire le même nombre d’heures en moins de temps. De mémoire, on ouvrait un capital de jours de 243. Si tu ne travaillais pas pendant 243 jours, tu bouffais tous tes droits chômage. Nous avons donc inauguré les droits rechargeables : quand nous travaillions, nous repoussions un peu nos droits. Si tu travaillais régulièrement, tu étais au final observé sur un an. Ce système, on l’a traîné jusqu’en 2014, jusqu’à ce que Manuel Valls remette l’observation sur un an. »
À force de lutter pour faire reconnaître leur métier, les intermittents finissent par devenir des spécialistes du fonctionnement de l’assurance-chômage. « Le regard sur les musiciens ne change pas. Mais le milieu s’est professionnalisé. Il y a plus de technicité et une meilleure connaissance de nos droits », estime Eric.
Logique donc de le retrouver au départ de l’occupation du Grand Théâtre de Lorient. Dès le 1er jour. « Les copains m’ont dit « viens nous filer un coup de main ». J’étais au courant de ce qui se passait à l’Odéon, dans d’autres villes. On avait déjà vécu d’autres batailles. Il y a eu appel général. Ceux qui sont intéressés par la cause viennent. On a tous nos points de vue. Mais je suis peiné que certains copains ne soient pas là. Je peux comprendre, mais ça me chagrine. Les têtes de pont, les grands noms, les directeurs de salle… clairement, cela aurait plus de poids s’ils étaient avec nous ! » Comme pour répondre à l’inquiétude d’Eric, il y a quelques jours, Guizmo, chanteur du groupe Tryo, a fait une vidéo de soutien. Sera-t-il suivi par d’autres stars de la musique ?
Eric n’est pas un occupant sédentaire. Il vient surtout en journée participer aux AG et à certains sujets en particulier, reste assez peu dormir. « Je suis plutôt d’un naturel dystopique mais ce qui, vraiment, me branche, ce sont les belles énergies qui se révèlent dans ce contexte. Des qualités d’organisation des uns, avec 3 bouts de fils. Avec de petits moyens, faire des choses intéressantes. Ça devrait être le quotidien. » Eric avoue avoir très mal vécu l’arrêt de toute activité, de ne pas pouvoir travailler. « J’ai aussi très très mal vécu la conférence de presse de notre Président qui prend un ton différent quand il parle des sujets « sérieux ». Il avait la cravate dénouée, les cheveux mal peignés, il y avait de l’excitation dans le propos, de l’exubérance. « Chevaucher le tigre »… on a l’impression que le ministre Riestler et lui étaient sous coke ! Il a certes annoncé l’année blanche mais on a l’impression qu’il ne maîtrise pas le sujet : le terrain était propice pour que je rejoigne les copains dans la lutte ! »
Déjà en 2003, les responsables politiques les accusaient de ruiner les assédic. « À la création de la CIP, Mathieu Grégoire disait que l’industrie automobile était sous perfusion de l’État sans que cela ne gêne personne », rappelle Eric. « Notre génération a osé dire qu’on pouvait vivre de la musique, a osé répondre à ceux qui nous demandait ce qu’on faisait dans la vie, « à part ça » : musiciens ! » La question est récurrente pour ceux qui exercent un métier-passion. Un métier dont le grand public ne voit que le décor public. « Le télé-travail pour nous, c’est le quotidien. Le travail à la maison, on connaît, sauf qu’on se paye nous-mêmes les outils de travail en général. », pointe Eric qui, faute de pouvoir se produire, prépare la suite, se tient prêt à ressortir des spectacles quand les salles réouvriront. « Mon souhait, c’est que le ministère du travail se réveille. C’est lui qui impose nos conditions pour Pôle Emploi. Le ministère de la Culture ne peut que faire pression. Un peu plus de terrain, un peu moins de salon ». Au moins c’est clair : voir au-delà du miroir et reconnaître le travail réel des intermittents et musiciens.