Annaïck Even : « les handicapés, ça ne se voit pas »

De tous les occupants et les occupantes du Grand Théâtre, Annaïck est sûrement l’une des plus atypiques. Alors que la plupart sont intermittents ou intermittentes ou précaires, Annaïck est coiffeuse et souffre d’un handicap. Pour Le Peuple breton, elle se prête au jeu des portraits d’occupantes…

Annaïck habite à Auray. « Actuellement », précise-t-elle, car elle « bouge régulièrement ». « Avec mes parents, nous déménagions tout le temps. On vivait dans une caravane. Je suis restée un peu nomade. Nous, on avait une maison… pour les vacances ! » Annaïck exerce le métier de coiffeuse. « Libre », ajoute-t-elle. Comprenez qu’elle n’a pas de salon à elle. « Je suis restée 2 ou 3 ans sans aller dans les zones commerciales. Je trouve ça impersonnel. J’ai toujours refusé de postuler là-bas. Je préfère les petits commerces pas franchisés ! Je suis aussi renfort coiffure, quand il y a besoin de personnes sur les plateaux pour les films. Dans les films d’époque, par exemple. Récemment, le musée de Bretagne nous a prêté des coiffes bretonnes. Il fallait les installer sur les actrices ».

Annaïck a commencé à occuper le Grand Théâtre le 1er avril. « Je suis venue voir d’abord. Je ne supporte pas toutes ces injustices. En ce moment, dans le monde de la culture, tout est fermé. Et comme moi aussi j’ai un numéro d’intermittente, je me sens aussi liée à ce monde-là. » En revanche, Annaïck ne se sent pas forcément précaire. Elle hésite longuement… « je suis en invalidité. Je touche l’AAH [aide allocation handicap]. Mais je peux encore travailler. Dans ce domaine là aussi, ils nous empapaoutent ! Beaucoup de choses ne sont plus remboursées. Ma canne par exemple ! Avant, nous disposions de 180 € par mois comme aide complémentaire pour le petit matériel d’aide quotidien (majoration vie autonome). Pendant les gilets jaunes, sans prévenir, ils ont supprimé 80 €. C’est passé par-dessous les radars ! Et le bruit court que les 104,77€ restant vont être complètement supprimés. Les handicapés, ça ne se voit pas. Dans l’idéal, j’aimerais bien rentrer en contacts avec d’autres personnes en situation de handicap pour participer à notre lutte ici. Souvent, ils n’ont pas le droit au chapitre ».

Au sein de cette occupation, Annaïck propose des massages et des coupes de cheveux. Alors qu’elle m’en parle, elle s’arrête et semble inquiète un court instant. Elle ajoute : « Mais gratuitement hein ! Je ne travaille pas au noir ! Je le fais pour soulager ceux qui bossent ici. Pour le bien-être de l’équipe ». Avec sa prothèse de genou, Annaïck ne peut pas vraiment participer aux actions, ni manifester, alors elle donne ce qu’elle peut. Elle sourit : « J’ai collé quelques affiches. C’était la première fois alors que j’ai 53 ans ! » Pour Annaïck, l’occupation est un plaisir. « Je suis restée ici car il n’y avait pas de violences. Tout est en texte, en musique. On rigole beaucoup même si c’est sérieux. Ici, c’est un travail d’équipe, les intermittents ont l’habitude. »

Toutefois, elle nous explique qu’elle sera absente 3 jours « car les cueillettes reprennent ! » Annaick récolte en effet des plantes sauvages comme le sureau, l’ortie, l’aubépine, le plantain (…) pour en faire des tapenades, des tisanes, des baumes… Je vois à boire et à manger dès que je me ballade. Et j’échange mes produits dans le SEL [système d’échange local] d’Auray  et avec les autres SEL aussi, c’est pour le lien. Comme dit la formule : le lien avant le bien ».

Cela fait 13 ans qu’Annaïck fréquente le SEL d’Auray et les autres en France aussi. Elle y côtoie tous les milieux sociaux. Une façon d’être hors système ? « Dans un système parallèle plutôt. Je ne suis pas hors-système. Je suis plus dans l’économie du troc. Il n’y a pas d’argent qui circule. C’est une philosophie. » Pas d’argent qui circule, du troc, du lien plutôt que des biens, de la solidarité à offrir. Annaïck est peut-être plus « hors-système » qu’elle ne le pense !

 

 

 

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> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]