Habitant Moëlan-sur-mer, Aline aurait pu aller occuper le théâtre de Quimper. Mais elle se sent plus d’affinités avec Lorient. Femme, chanteuse, compositrice, elle est nouvelle venue et déjà parfaitement intégrée aux occupantes et occupants du Grand Théâtre de Lorient. Le Peuple breton l’a rencontrée dans le cadre de sa série de portraits.
Intermittente depuis 7 ans, Aline raconte que « cela commençait à être cool avant le confinement ». La jeune femme travaille sur la voix, fait beaucoup d’« expériences sonores », aidée par sa machine. « Je touche à plusieurs registres musicaux différents, mais ce qui m’intéresse le plus, c’est de raconter des histoires, des émotions, même sans parole », confie-t-elle. Avant de continuer : « j’avais des perspectives, les sacrifices que j’avais fait pour en arriver là commençaient à payer et mon monde s’est écroulé ». Artistiquement, mais aussi personnellement. Elle décide de venir un mercredi. Sans savoir quoi faire, mais « pour voir de quoi on a besoin ». « J’avais besoin moi de voir d’autres humains qui créent. De retrouver des gens qui pouvaient comprendre ce que je vivais. J’étais sûre de trouver ici une forme de solidarité. Soutenir et se faire soutenir. Le groupe me porte ».
Une poignée de jours après son arrivée, Aline est déjà à l’initiative (partagée) de deux « découvre-feux » [les rendez-vous du matin, pour réveiller Lorient, ndlr] et d’un peu de musique. « J’aime bien rassembler les gens, donner de la joie de vivre. C’est important la joie dans les luttes ! J’aimerais bien prendre place ici. J’ai déjà fait de l’accueil artistique, je sais mettre les gens à l’aise. »
Quand elle était chez elle, loin du théâtre, Aline avait « le sentiment insupportable de ne rien pouvoir faire ». « Dans nos métiers, il faut toujours trouver des solutions, transformer. Depuis un an, j’avais l’impression de ne plus avoir d’utilité. Il fallait que je fasse quelque chose. Je devais rejoindre un mouvement qui dise « non, nous ne sommes pas d’accord ». Car après tout, qui ne dit mot consent ! Or, moi, je ne suis pas d’accord ! Comment puis-je faire pour prendre la parole alors que je n’ai pas le droit de chanter ? L’interdiction, je le vis très mal. Devoir justifier qui on fréquente, le nombre de personnes que l’on a l’autorisation de voir, se faire des attestations. J’ai vraiment du mal avec la privation de libertés. C’est mon côté anar ! Avec un peu plus de respect, on n’aurait pas besoin de compartimenter. »
Les revendications, Aline les connaissait avant de venir occuper. « Je me suis documentée, j’ai fait de la veille. Je voyais des copains qui essayaient de se mobiliser. Moi, je viens d’une famille hyper syndiquée et je trouve hyper violent ce qu’on vit ! Mon grand-père a passé sa vie à aider les autres. Par le théâtre, je voulais une union, c’est comme ça qu’on sera fort. Je trouve dangereux l’entre-soi.
Quel type de société est-on en train de construire ou de déconstruire ? On s’attaque à des fondations qui faisaient l’identité de notre pays ! »
Aline n’aspire qu’à inventer d’autres choses, « pour toutes et tous et pas seulement pour une poignée d’individus ». En côtoyant des gens différents, elle avoue avoir « grandi intellectuellement ». « Ce soir, j’ai fait plus de 10 kilomètres pour occuper un espace public. Une forme de désobéissance civile. » De la résistance artistique ? « Oui, mais on ne fait pas que de l’Art ici ! Ça ne se cantonne pas. C’est une ouverture sur plein de possible. Ce n’est plus la musique ou le théâtre. Tout est lié. Je fais par exemple un lien fort entre la culture et la permaculture. Comment associer les luttes, les rendre plus productives que quand elles sont auto-centrées ? La période est paradoxale : on vit un moment d’ultra-individualisme et en même temps il y a un besoin de collectif ».
« Il faut revenir à l’essentiel : revenir à l’Amour. Vivre ensemble, pour de vrai ». Aline a le sens de la formule. Avec ou sans mot.