Timothée Le Net : « Je n’ai pas envie d’attendre que ça se passe »

Timothée, Tim’, est accordéoniste et vit à La Roche Bernard. Mais depuis quelques semaines, il alterne 3-5 jours à occuper le Grand Théâtre de Lorient, 2-3 jours chez lui. Il se confie au Peuple breton sur ce que représente cette lutte pour lui.

« Je compose de la musique à écouter dans des lieux qui, pour le moment, sont fermés : salles de spectacles, chapelles ou même chez les gens. Je suis intermittent depuis une dizaine d’années. Mais en ce moment, je ne suis plus tout ça… puisque mon métier est interdit. » Quand la crise sanitaire a débuté, la première réaction de Tim, vivant seul, a été de rester en lien avec d’autres personnes. Il décide durant le premier confinement de faire un disque à distance avec une quinzaine de personnes. « J’ai demandé à des gens d’écrire sur ce qu’on vivait. Cela a marqué le début d’une période – qui continue – où je prends conscience de l’importance de la communication et de l’intelligence collective », explique-t-il. L’album vient de sortir, dans un contexte qui n’a pas trop évolué.

Pas très porté parti politique, Tim avoue néanmoins qu’il aime l’ambiance de lutte. « J’aime les gens qui s’investissent. Je me suis moi-même beaucoup investi dans la lutte contre Notre-Dame-des-Landes. Je retrouve des choses similaires ici. Il y a une revendication un peu floue, qui me plaît, au-delà de la défense de mon métier, contre les décrets de réforme de l’assurance-chômage. » Et s’il n’est pas encarté politiquement, il est en revanche syndiqué au SBAM, le Syndicat de Bretagne des Artistes Musiciens, qui est une branche de la CGT. « C’est par ce vecteur-là que j’ai été sollicité pour occuper le théâtre de Lorient. Je suis allé à Rennes et Nantes en touriste. Je ne connaissais pas grand monde. Avec la timidité que je trimballe et le manque de vocabulaire politique, c’était plus compliqué sans copains et copines. Grâce au SBAM, je me suis senti plus à l’aise pour parler ». Autre point positif de Lorient : ça brasse moins de monde, il semble plus simple de rencontrer des gens, nouer des relations de confiance ! « Ici, on n’a pas de milliers de gens à gérer comme sur la place Graslin à Nantes. Ce lieu, le Grand Théâtre, fait beaucoup. C’est calme, il y a une lumière particulière. Ce confort explique aussi la bonne tenue, le bon fonctionnement du lieu. »

Pour Tim, l’occupation du Grand Théâtre de Lorient sonne comme « une vie retrouvée ». « Je trouve ici la vie que j’ai envie de mener, des rencontres, des débats politiques. Je n’ai pas envie d’attendre que ça se passe. Apprentissage assez précieux du monde politique. J’ai envie de lutter contre les abus de pouvoir de cette crise. » Au sein de l’organisation, le jeune homme est très polyvalent : « je donne des coups de main en cuisine, je fais du ménage, j’écris, je tracte, je fais des actions de terrains ». Et surtout, il met l’ambiance ! Son humour fait du bien dans une ambiance qui, parfois, peut être tendue du fait de la fatigue, du manque de résultats. Tim, lui, a décidé de faire confiance : « ces derniers jours, j’ai décidé de laisser ma place sur le terrain politique pour préférer prêter main forte à celles et ceux qui en ont besoin. Nos effectifs fluctuants, il y toujours à faire ici ou là pour nourrir la machine. Je suis là, j’ai du temps, j’ai confiance, je peux faire. J’aime cette place au sein du collectif ».

Côté professionnel, il ne se sent pas précaire. « Je n’ai pas d’enfants, mes proches et amis n’ont pas vraiment de ronds, mais s’en sortent. J’ai juste conscience que la crise en cours peut me mettre sur la paille très vite. Dans l’immédiat, il y a des gens bien plus en difficultés que moi. Je trouve le mot « précaire » trop fort pour que je m’y reconnaisse. Ma précarité à moi n’est pas une notion financière, mais émotionnelle : la crise me prive de ce que je fais : de la musique, des rencontres. Elle vient taire nos enthousiasmes. Il est là mon manque ! », nous confie-t-il. « C’est donnant-donnant en fait. Je me sens utile. Je retrouve le plaisir de rendre service, une certaine dignité ».

Les actions qu’il mène lui en apprennent aussi beaucoup. « À Kervénanec, j’ai discuté avec des gens. Je leur dis que le chômage les concerne, ils me répondent qu’ils vivent au RSA ! Je suis parfois gêné parce qu’on est dans un degré de précarité plus fort encore. Je n’ai pas de réponse, mais peut-être pourrions-nous utiliser toutes nos compétences et la singularité de ce mouvement pour propulser un vrai forum social… Les actions dans les quartiers sont belles, mais sont-elles comprises ? En tout cas elles sont très appréciées, et donnent lieu à de nouveaux « ensembles ». En lutte ou non, en colère ou non, on est bien plus beaux et en confiance à chanter nos peurs et nos espoirs, qu’à se cacher jusqu’à nouvel ordre »

Mais en réalité, les rêves de Tim sont ambitieux. « Le monde flippe, il faut des attestations pour sortir, des masques… Et pourtant au beau milieu de cette réalité autoritaire, de petits groupes de personnes éclosent et laissent fleurir leur liberté, leurs expressions, ils s’organisent pour vivre mieux. Si l’on pouvait donner à voir davantage cet aspect précieux du mouvement, beaucoup de nouvelles personnes seraient enthousiastes à nous y rejoindre. »

 

 

 

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> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]