Fonderie de Bretagne. Quand Renault veut rassurer ses actionnaires

Alors que plus une seule pièce ne sort de la Fonderie De Bretagne (FDB) pour être livrées aux usines de montage de Renault, Dacia ou BMW, du fait d’une grève générale et occupation du site, le nouveau Président de l’agglomération du pays de Lorient, M. Loher, considère que même s’il les soutient, la retenue des membres de la direction un soir jusqu’à 22h30 par le personnel ne sert pas sa cause. Pourtant, il faut avoir à l’esprit c’est que ça fait des mois que les représentants du personnel se font mener en bateau et doivent faire face au mutisme et au mépris des dirigeants de la maison mère. Sans ce type d’action, cela fait plus de 10 ans que la fonderie aurait disparue du paysage. Alors ont-ils le choix ?

Sans revenir sur les grands conflits de 76-80-88 et 2008, il n’est pas inutile d’analyser certaines étapes de l’histoire de la SBFM devenue FDB pour comprendre la méthode de la firme au losange qui a toujours considéré l’usine de Kerpont comme une vache à lait. En 1985, la direction de la SBFM annonce la suppression de 120 à 130 emplois considérant le projet d’atelier d’usinage utopique, pour lequel l’UDB avait d’ailleurs posé une première pierre fictive et symbolique, et qui pouvait représenter près d’une centaine d’emplois…

À l’époque, alors que du chômage est programmé à Caudan, une fonderie Renault du Portugal récupère des pièces mises au point et fabriquées à Kerpont… La méthode n’a pas changée ! Ainsi l’indemnisation des journées chômées en plus du plan social coûteront un milliard de centimes. Après l’échec financier de Renault aux États-Unis, la recherche d’économie allait se payer en emplois.

En 1986 et 1987, la Bretonne de Fonderie bat ses records de rentabilité. Ce qui n’empêche pas la direction d’annoncer un plan de suppression de 150 emplois, avec aides aux départs. C’est en 1987 que nous publions un auto-collant et des affiches sur le thème « mieux vaut financer un atelier de mécanique (d’usinage) que des suppressions d’emplois ».

Rien ne sera épargné à l’usine Morbihanaise : baisses des prix imposées, allongements des délais de paiements des pièces livrées alors que 75 % de la production est pour Renault actionnaire à 99 %. En 1988, le plan de dégraissage des effectifs coûta onze millions de francs soit le coût d’un atelier d’usinage qui nous est toujours refusé sous prétexte que ce n’est pas notre vocation. Il verra le jour quelques années plus tard. Décidé en 1994, ce nouvel atelier d’usinage sera opérationnel en 1996, année de la création d’une division fonderie du groupe qui en conservera quatre des plus performantes dont la SBFM.

Renault, donneur d’ordres, demandeur de nouveaux produits et de technologies nouvelles, banquier, client principal et actionnaire ne tarde pas à faire apparaître certaines contradictions. C’est le cas quand il oblige la SBFM à baisser ses prix pour son principal client (lui-même), qui utilisait la Bretonne de Fonderie comme banc d’essai et que celle-ci investissait dans l’atelier d’usinage en supportant seule l’investissement, contrainte de recourir à l’emprunt dont les agios rapportaient aux banques, elles-mêmes filiales financières du groupe Renault ! Dans ces conditions, comment la santé de la société pourrait être au beau fixe ? C’est encore un bon prétexte pour annoncer à la veille des congés un nouveau plan social. Le slogan « Paris nous pompe » s’appliquait bien à la SBFM hier comme aujourd’hui.

Paris nous pompe, Turin aussi

En 1998, Renault dont la vision stratégique est à courte vue tente un pari. Ne voulant pas assumer la maintenance d’un outil industriel vieillissant, l’entreprise vend l’usine bretonne à Fiat. Le constructeur Italien va dilapider la trésorerie SBFM au détriment des investissements et la refourgue au compatriote Garro du groupe ZEN. En 2006, l’Italien ne change pas de stratégie, les installations continuent de se dégrader, comme la qualité et les performances de la principale chaîne insuffisamment entretenue. Conséquence : retards de livraisons avec pénalités financières et recours massifs aux heures supplémentaires ou à l’intérim qui augmentent et affectent les rendements. Une hausse du prix de la ferraille (plus de 200 %) et de l’énergie répercutées avec retard pénalisent les performances et provoquent le plan social de l’année 2008. L’usine est menacée de dislocation et de fermeture.

Pari perdant

En 2009, chaque mois, Renault et Peugeot acceptent de financer les pertes générées et le besoin de fond de roulement. Preuve du caractère stratégique de la fonderie pour ces constructeurs et de la position de force des salariés qui, avec la CGT, bloquent toute sortie de production. En juin, faute de pièces de la SBFM, des lignes de montages dans toute l’Europe vont devoir s’arrêter. Sans solution de rechange Renault est piégé et doit reprendre à contre-cœur la SBFM qu’il n’aurait jamais dû lâcher. La Région et les collectivités locales ont contribué à un plan d’investissements d’au moins cinq milliards !

En juillet 2011, Gérard Leclerc, directeur de fabrication du groupe Renault déclare : « On ne décide pas de tels investissements [85 millions d’euro sur 5 ans] pour préparer une sortie ». En fait, ce sera cent millions.

En 2016, la nouvelle ligne de production promise est installée et doit considérablement améliorer les performances. Malheureusement, elle est détruite par un incendie en mai 2019. La production est alors délocalisée en Espagne, Portugal, Turquie ou Slovénie pendant la reconstruction. En mai 2020, alors que le COVID s’installe dans notre vie, la nouvelle ligne installée est opérationnelle.

Renault traîne des pieds pour faire revenir du tonnage, après avoir investi deux fois dans une ligne de production pour remplacer l’ancienne puis la neuve, décide que ce n’est plus rentable de garder la FDB. De qui se moque-t-on ? Son PDG trouve même le prétexte qu’à l’avenir les voitures électriques auront besoin de moins en moins de pièces en fonte. Mais alors pourquoi les têtes d’œufs des bureaux d’étude de la Régie n’ont pas fait valoir cette lumineuse déduction à leurs dirigeants avant de dépenser deux fois une fortune pour doter la FDB d’un outil ultra moderne ?

L’État prêt à financer l’enterrement de la FDB

Pourquoi ne pas rapatrier les pièces initialement moulées à Caudan ? Pourquoi ne pas chercher vraiment à diversifier hors automobiles la production ? Pourquoi, avec des primes, dilapider les deniers publiques pour supprimer des emplois ?

Cette usine a vu passer dans ses effectifs depuis 55 ans au moins 10000 salariés qui ont su s’organiser, qui se sont battus pour défendre leur dignité dans la chaleur, la poussière, le bruit, les produits toxiques, l’amiante… et y ont parfois laissé leur peau ! Cette usine est un symbole du combat des habitants du pays de Lorient qui ont lutté et obtenu sa construction au moment de la fermeture des Forges d’Hennebont. Un symbole du peuple breton face au pouvoir central au service du capital.

Si Renault et l’État actionnaire persistent à penser que le destin de celle qui fut longtemps considérée comme une bonne vache à lait, c’est maintenant l’abattoir, il y a 380 grévistes – pour la plupart jeunes – des entreprises sous-traitantes et toute une population derrière eux qui ne l’entendent pas ainsi.

 

 

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> Yannick Quénéhervé

Yannick Quénéhervé est un ancien ouvrier de la SBFM (aujourd'hui Fonderie de Bretagne) et militant UDB. Il a également publié deux livres aux éditions Yoran Embanner, le premier relatant sa vie militante et professionnelle (Le coeur à gauche), le second en collaboration avec Jean-Jacques Monnier et Lionel Henry sur l'Histoire de l'UDB.