
Dans un ouvrage technique mais riche d’informations, le normalien Mathieu Bauchard revient sur les deux premières années de la politique fiscale d’Emmanuel Macron.
Dans son ouvrage Emmanuel Macron et l’imposition de la richesse : la politique fiscale des hauts revenus et patrimoines entre 2017 et 2019, Mathieu Bauchard confirme, chiffres à l’appuie, ô combien la politique fiscale de Emmanuel Macron a profité aux 1% les plus riches, au détriment… des 20% les plus pauvres et même, globalement, de la classe moyenne.
Tout d’abord, il montre comment la politique menée par l’exécutif s’inscrit dans une logique néolibérale. « Cette politique rappelle celle de Reagan qui annonça des baisses d’impôts pour les pauvres (on pense à la suppression de la taxe d’habitation) pour faire accepter celles, plus importantes en proportion du revenu, accordées aux plus riches, pour lesquels le taux marginal d’imposition des revenus est passé de 70% à 50% puis 28% ». Passé à 21% sous le mandat de Trump, il est intéressant de constater que Joe Biden veuille ramener ce seuil à… 28%. S’il ne s’agit pas d’une révolution, la dynamique elle, est à contre pied de celle menée par Emmanuel Macron depuis 4 ans.
Cependant, cette politique s’inscrit pleinement dans la théorie du ruissellement vantée par le chef de l’État, qui consiste à croire que les revenus du capital qui ne seront pas taxés, seront réinvestis dans l’économie. Bien que cette théorie ait été démontée de longue date même par des institutions qu’on ne peut pas classer à l’extrême gauche comme le FMI, le gouvernement s’accroche à cette idée.
C’est dans cet esprit donc, qu’il a décidé de supprimer l’ISF en le remplaçant par l’IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière). L’exécutif a sorti de son panier plusieurs justifications. La première consiste à dire que “l’impôt, lorsqu’il est trop élevé, prive notre économie des ressources qui pourraient utilement s’investir dans les entreprises, créant ainsi de l’emploi et de la croissance” affirmait Macron en 2019. Pour Mathieu Bauchard, « cet argument rappelle la courbe de Laffer, qui vulgarise en quelque sorte l’effet négatif de la fiscalité sur le travail et donc sur le niveau des recettes fiscales finales au-delà d’un certain seuil d’imposition ». Un argument franchement discutable. D’ailleurs, la suppression de l’ISF et la création du Prélèvement Forfaitaire Unique n’a permis de créer que 50 000 emplois selon Bercy. « En prenant en compte que la suppression de l’ISF correspond à un manque à gagner de 4,5 milliards d’euros, cela équivaut à plus de 240 000 emplois rémunérés au SMIC » ou bien rapporté au nombre d’emplois créés, cela nous amène à 90 000 euros… par emploi.
« Je crois à la cordée »
Derrière cette réforme de l’ISF, il a y aussi l’idée profondément ancrée chez le président de la République, du mérite. « Je crois à la cordée. Il y a des hommes et des femmes qui réussissent par ce qu’ils ont des talents […] mais si on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée c’est toute la cordée qui dégringole » affirma-t-il en 2017 sur le plateau de TF1. Il y a cette idée que « se sont les entreprises, rassemblant les actionnaires, dirigeants et travailleurs, qui font le gâteau » de l’économie et donc in fine, de la société.
Le philosophe italien Giusseppe Tognon identifie ainsi dans nos sociétés occidentales « l’émergence d’une culture d’entreprise dans laquelle la méritocratie se confond avec l’innovation ». Selon Tognon, la conception moderne du mérite aurait développé le terme axios, qui indique la valeur d’une chose ou d’une personne stimule l’intérêt ou l’économie, et renvoie à la sélection des meilleurs, comme dans la rude école de Pythagore. C’est de cette façon qu’il faut interpréter le discours de M. Macron à l’inauguration de la Station F en juin 2017 : lorsque prenant l’exemple d’une gare, il explique que « c’est un lieu où l’on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ». Et de se prendre lui même en exemple en affirmant : « vous savez, je ne suis pas un héritier […] il y a personne dans ma famille qui était banquier, ni énarque, ce que j’ai je le dois à une famille qui m’appris le sens de l’effort […]. Donc si j’étais né banquier d’affaires, vous pourriez me faire la leçon, si j’étais né avec une petite cuillère dans la bouche ou fils de politicien, vous pourriez me faire la leçon mais ce n’est pas le cas ». Cela se tient, mais l’on peut questionner : est-ce que si Emmanuel Macron était né à St Denis d’une famille d’ouvriers, employé, ou salariés, aux revenus modestes, il aurait pu se permettre de rater 2 fois l’ENS et 2 fois l’ENA ? il est permis d’en douter…
Et les pauvres subissent ce qu’ils doivent
Dans un article de 2019, les Echos s’alarmaient du fait que « le solde net sur dix ans, des départs et des retours, on constate que la France a perdu 4.578 assujettis à l’ISF représentant un actif net imposable de 23,8 milliards d’euros. Chaque année, les recettes de l’ISF ont été amputées de 20 millions d’euros supplémentaires du fait des départs ». Il ne faut pas sous estimer ce chiffre mais il paraît bien faible comparé aux 103 milliards d’évasion fiscale qui ont cours chaque année en France.
Il était proposé dans le projet de loi climat de « restaurer l’impôt sur la fortune avec une composante carbone qui prend en compte le patrimoine financier irriguant les activités industrielles hautement carbonées », explique Clément Sénéchal, porte-parole climat de Greenpeace. Arguant que l’empreinte carbone des personnes assujetties à l’ISF avant sa suppression en 2018 représente un tiers des émissions de CO2 globales du patrimoine financier de tous les Français. Évidemment, cette proposition n’a pas été retenue.
Ironie du sort, pour compenser la perte de l’ISF, l’exécutif a alourdit la fiscalité des produits énergétiques (gaz, gazole, essence, électricité) invoquant des motifs… écologiques. Les dépenses énergétiques pesant le plus proportionnellement sur les plus pauvres, le résultat de ces mesures déboucha sur le mouvement des Gilets Jaunes.
Dès lors, il n’est guère surprenant que 67% des français interrogés trouvent la politique fiscale d’Emmanuel Macron comme inégalitaire. Un ressenti confirmé par les chiffres que nous donnent Mathieu Bauchard. Le retour à un prélèvement forfaitaire sur les revenus du capital apporte un gain moyen de 582 380 euros aux 100 premiers contributeurs à l’ISF et de 172 220 euros pour les 1000 premiers. Au total, le sénateur Vincent Eblé, « fait l’hypothèse » que la transformation de l’ISF et la mise en place du PFU ferait gagner 1,5 millions d’euros par an aux 100 premières fortunes.
L’ISF et ses 5,1 milliards d’euros de recettes publiques n’en faisaient pas une manne de recettes publiques si conséquente. Mais sa valeur symbolique fait toutefois de sa suppression une réforme significative, et manifeste peut-être un changement de paradigme de justice sociale d’un modèle distributive vers un modèle rétributif. La petite histoire raconte que la suppression de l’IGI (ex-ISF) par Jacques Chirac lui aurait coûté la victoire en 1988. Emmanuel Macron aurait de bonnes raisons de s’en souvenir. L’histoire n’est-elle pas un éternel recommencement ?