
À défaut de Salon de l’agriculture en 2021, il fallait déployer un peu d’imagination pour permettre à la profession de s’exprimer. Aussi, la Confédération paysanne a imaginé des rencontres dans les fermes. Ce jeudi 4 mars, une visite était organisée dans celle de Dominique Raulo et Gilles Chevalier. Le Peuple breton y était convié.
Point d’« excellence », ni bêtes de compétition ici, mais « une ferme telle qu’elle est » pour reprendre les premiers mots de Dominique Raulo. Le maître-mot de la matinée aura été « autonomie », notion qui ne pouvait que ravir notre magazine ! Car tout l’enjeu de cette visite de terrain, pour les adhérents de la Confédération paysanne, était de démontrer que l’on peut vivre bien en partageant le travail et en produisant de la qualité. Épreuve largement réussi si l’on se fie à cette ferme située au lieu-dit Tregrehenne à Muzillac !
Dominique Raulo, qui a connu une autre vie avant celle de paysan, insiste sur « leur volonté de ne pas travailler n’importe comment » : les deux collègues s’octroient 6 semaines de congés par an et disposent d’un week-end sur deux libre. Un exploit quand on sait la somme de travail que peut constituer une ferme laitière ! Le secret ? La maîtrise des coûts. À l’instar de la ferme de Christophe Baron, à Allaire, visitée il y a un mois, les deux producteurs laitiers sont membres de Biolait. Ils possèdent 55 vaches pour 90 hectares. Chaque vache produit 4000 litres de lait par an à raison d’une traite par jour. Le troupeau sort tous les jours et est nourri à l’herbe principalement.
Au total, la ferme de Dominique Raulo et Gilles Chevalier représente environ 180 à 190000 € de valeur de bâtiment, ce qui est peu en terme d’investissements. Cela permet d’être cessible facilement pour un futur jeune repreneur. Car les deux paysans qui ont passé 55 ans ont évidemment en tête de transmettre cette ferme un jour. La pénurie d’agriculteurs se fait sentir de plus en plus en Bretagne et l’une des raisons est l’endettement. Cette dépendance générale aux banques s’accompagne d’une dépendance à l’alimentation animale pour qui ne privilégie pas l’herbe. L’usage de cette dernière, bien commun gratuit, permet de développer un système peu onéreux, mais qui nécessite une bonne organisation malgré tout : « Plus ça va, plus on ressent le changement climatique », explique Dominique Raulo. « Les gens disent « il n’y a plus de saison », moi je dis plutôt qu’il y a deux saisons par mois ! Résultat : les prairies durent moins longtemps ». « Le système herbager répond aux enjeux climatiques », complète Euriell Coatrieux, coporte-parole de la Confédération paysanne du Morbihan. « Peu ou pas d’engins agricoles, pas de soja, le maintien et la préservation des haies, taillis, marais, zones refuges pour les espaces animales utiles à l’agriculture ». On pense ici au plan de l’État qui annonce vouloir replanter 7000 kilomètres de talus : un beau projet sur le papier, mais qui paraît hors-sol tant il semble considérer que ces talus sont juste un décor de carte postale, installé pour faire joli. N’importe quel géographe sait que les paysages sont le reflet de l’usage du territoire. Les talus sont-ils compatibles avec l’agriculture intensive préconisée par la plupart des responsables politiques ? Non ! Au contraire, l’agriculture paysanne vantée par la Confédération paysanne est « celle qui préserve le mieux la qualité de l’eau », poursuit Euriell Coatrieux qui s’inquiète de l’afflux touristique et de la captation de l’eau par des groupes privés au détriment des nappes phréatiques.
Au contraire du système herbager, l’import de soja nécessaire à l’alimentation animale dès lors que le cheptel devient trop important pour produire de quoi le nourrir localement passe sous silence qu’en réalité, les gros producteurs possèdent indirectement des terres en Amérique du Sud et que celles-ci sont défrichées, déstabilisant les économies à l’étranger. C’est le sens du propos de Jean-Marc Thomas, porte-parole régional du syndicat agricole. Ce dernier note également une baisse globale des aides de la PAC aux agriculteurs bretons. Or, selon lui, « sans revenu, ni main d’œuvre, nous ne pouvons pas rendre des services à la société ». Et de conclure : « Le « quoi qu’il en coûte » doit aussi s’appliquer à l’agriculture ! Nous réclamons depuis longtemps des aides à l’actif et non à l’hectare ». Même discours pour son homologue national, Nicolas Girod, pour qui il est nécessaire, en plus d’une régionalisation de la PAC d’avoir une « PAC sociale » : « Il faut arrêter d’être dans la course aux volumes, mais bien dans celle du bien-être. Ici, je suis content de voir des paysans heureux, bien dans leurs bottes ». Pour que tous les paysans le soient, le syndicat agricole préconise une maîtrise des volumes et la régulation des marchés, un plafonnement et une dégressivité des aides à partir de 45000€ de subventions, une aide aux petites fermes pour ceux que Nicolas Girod appelle « les oubliés de la PAC ». Sans oublier la fin des accords de libre-échange qui tirent vers le bas les conditions sociales des États les mieux disant.
En somme, ce qui ressort de cette enrichissante rencontre, c’est bien qu’un paysan autonome vit mieux qu’un paysan dépendant. Or, l’autonomie consiste d’abord à penser son modèle de façon soutenable et non à croître sans fin… jusqu’à s’enchaîner à sa banque !