
Dans un précédent article sur « Une histoire des costumes bretons », publié au mois de janvier 2021, nous avons pu évoquer le récit de la grande variété des costumes de la région bretonne. À présent, dans cette seconde partie, il semble intéressant de se pencher sur quelques caractéristiques locales de la « guise » – du breton giz, le costume – et ses anciens usages. Cette véritable culture du costume en Bretagne est aujourd’hui activement partagée aux jeunes générations. Leur enthousiasme illustre une volonté pérenne de collecter et de faire vivre ce précieux patrimoine.
Les coupes et les éléments principaux du costume breton, la guise, ont été décrits à partir du XVIIe siècle. Si ses tissus, ses couleurs, ses attributs ou ses ornements différaient en fonction des choix des terroirs, des circonstances, du rang social, de la mode et de l’époque, les descriptions correspondent aux pièces dont voici les principales caractéristiques issues d’une majorité de costumes – de base paysanne – de Basse et de Centre-Bretagne. En effet, quelques termes bretons – n’ayant pas toujours le même sens d’un terroir à l’autre – sont ici plus spécifiques des terroirs bigouden et glazik (pays de Quimper). Les variantes dialectales de la langue bretonne obligent à ne pas généraliser les termes et à prendre conscience de leur grande variété. Le vocabulaire présenté ici est donc à distinguer d’autres modes anciennes différentes et de certaines appellations utilisées encore aujourd’hui dans divers cercles celtiques (prenons l’exemple de la langue gallèse traditionnellement parlée en Haute-Bretagne).
L’homme était vêtu d’un chupenn, une veste courte, généralement brodée au niveau de la large encolure. Le jiletenn, une veste sans manche, pouvait être placée en dessous. Au XIXe siècle, certaines modes rajoutaient un paletot. Il s’agit d’un veston additionnel, boutonné au-dessus du gilet. Un pantalon bouffant, le bragoù braz en drap ou en chanvre était resserré aux genoux. Il était assorti d’un gouriz, une large ceinture en textile ou en cuir et dont la boucle était en métal. Des guêtres de gros drap ou de laine complétaient le bragoù en bas des jambes. Des souliers de cuir ou des sabots étaient ajoutés, ainsi qu’un chapeau (pouvant être complété de guides : des rubans de velours tombants à l’arrière).


La femme s’habillait de manière plus combinée. Ce sont les superpositions de pièces qui complexifiaient sa tenue. La chemise de toile était enfilée sous le gilet – jiletenn –, le corselet – manchoù – et le plastron (plutôt bigouden), partie avant de la veste généralement brodée. Attaché à l’arrière du corselet, un bourrelet – bourled ou bilostig – soutient la jupe. Il en était de même pour le ou les jupons ou le panty – culotte resserrée aux genoux – qui composaient la base, parfois fantaisiste, sur laquelle était enfilée la jupe de drap de laine ou de velours puis le tablier. La coiffe – koeff – complétait l’ensemble et était souvent composée de plusieurs pièces empilées – dont un bonnet, bleo – sur une chevelure masquée. Parfois, une collerette ouvragée ou un mouchoir de cou complétait cette coiffe, ainsi que des manchettes ou bien des manches brodées comme le plastron, la jupe et le tablier sur les costumes de cérémonie. Divers rubans de dentelle ou brodés, parures de cou ou bijoux, fourrures et châles participaient à l’élégance.
L’importance des ornements et leur signification
L’évolution du costume breton n’a eu de cesse de créer des détails. Il est l’œuvre d’une tradition populaire commune dont les caractéristiques se sont multipliées. « La broderie relève de ce besoin inné de remplir la page, d’envahir l’espace originel, de l’affubler de signes » s’est exprimé Claude Fauque dans La broderie : splendeurs, mystères et rituels d’un art universel, de 2007.
Sublimé par ses broderies, ce vêtement était l’identité des Bretons. Il était en quelque sorte une carte de visite car il suffisait de faire le tour d’une jeune femme pour y deviner son rang social et sa provenance familiale. En effet, jusqu’au début du XIXe siècle, les échanges étaient limités aux communes voisines. Déjà, les fêtes familiales, les foires et pardons étaient des occasions de distinguer les particularités de chacun. Dès l’essor de l’industrie, les broderies ont envahi la Bretagne en parallèle de l’amélioration des conditions de vie – notamment à partir de 1920 – et du développement de l’appertisation, procédé de conservation inventé par Nicolas Appert.
On distinguait tout d’abord le costume de travail du costume de fête. Plus rustique, ce premier permettait d’identifier certaines corporations dès le premier regard. Ainsi, le meunier et quelques boulangers revêtaient des tissus de couleur bleue. Ces costumes, fortement usés, sont d’ailleurs très peu conservés et difficiles à restaurer. Ceux du dimanche étaient plus soigneusement rangés et ce sont en partie ceux que l’on remarque le plus dans les festivals actuels, dans lesquels on retrouve aussi des costumes de travail.

Les variations stylistiques étaient également visibles en fonction du statut social, de l’âge et des étapes de la vie. Par exemple, les jeunes filles effectuant leur communion solennelle s’habillaient avec un costume plus élaboré, se distinguant de l’enfance. La mariée était spectaculaire. Le deuil était symbolisé par le noir. Le costume en était plus ou moins brodé, ainsi que la coiffe, qui représentait des stades évolutifs de la vie – communiante, mariage de premier jour, mariée, relevailles (autorisation de retour à l’église après un accouchement), grand deuil, deuil, demi-deuil, fin de veuvage afin de se remarier et enfin le stade de défunte – et des points particuliers en fonction des terroirs.
Le terroir déterminait une base identitaire forte, et dont les habitants s’appropriaient les codes et rajoutaient à leur convenance les attributs de leur famille. Ainsi, les ornements étaient accommodés en fonction de la richesse. Cette apparence était le moteur des interactions, réservées aux populations de chaque rang. Les hommes prêtaient ainsi attention aux détails des habits des dames avant d’engager la conversation ou une invitation.
De plus, la coiffe engageait les populations dans un ordre moral. Les femmes se conformaient aux interdits de l’Église. La chevelure étant un attribut sensuel et provocant pour l’homme, la dissimuler en plus du visage était un signe de pudeur. Per-Jakez Hélias, homme de lettres du siècle dernier, a ainsi nommé les cheveux les « allumettes du diable ». Véritable protection contre le climat et la poussière, la coiffe – notamment celle de travail – était tout aussi utile pour les tâches du quotidien. Elle variait en fonction de la situation et était changée pour les foires ou l’exercice de la religion.
L’engouement actuel
Ce patrimoine matériel et immatériel ancien est appelé à perdurer. Les Bretons estiment donc nécessaire de porter le costume au cours de certaines occasions. Héritage pour les jeunes générations, il est conservé et laisse d’inestimables témoignages collectés auprès des anciens et transmis aujourd’hui par les passionnés, chercheurs et nouveaux formateurs. Dans la continuité de René-Yves Creston, ancien conservateur du Musée départemental breton de Quimper et créateur des salles permanentes dédiées à la présentation d’anciens costumes, c’est l’authenticité de ces mines d’or qui garantit la vie de ce costume. Le Musée de Bretagne de Rennes ou bien le Musée bigouden de Pont-l’Abbé exposent des pièces du vestiaire de la société bretonne, ainsi que des peintures réalistes d’Olivier Perrin, de Gauguin ou de Sérusier. De leur côté, les collectionneurs conservent encore aujourd’hui de réels trésors.
Dans les années 1970, le renouveau de la danse et de la musique traditionnelle a redonné vie aux collections « perdues ». Depuis 1950, les Confédérations Kendalc’h et War’l Leur – « maintenir » et « sur l’aire à battre » en breton – regroupant les cercles celtiques bretons, ont, par le fruit de leur collaboration, collecté les histoires et les iconographies de ces arts populaires. Ils ont ainsi pu préserver cette richesse afin de la compléter par une pédagogie de préservation et de reconstitution permanente. Leur fusion a créé Kenleur en 2020. De nos jours, de nouvelles collections voient le jour, s’ancrant dans la lignée historique, mais dépassant largement les frontières de la Bretagne, puisque qu’un cercle celtique existait à la fin du XXe siècle à Papeete (Tahiti) !

Les danseurs utilisent majoritairement des copies afin de préserver les originaux des mouvements de la scène. Les représentations régulières permettent aux cercles de financer la réalisation onéreuse de nouvelles séries de costumes, dont les attributs sont issus des recherches. Les membres se doivent, dans la mesure du possible, de revêtir des pièces en respectant les textiles, les techniques et les coupes. Il en est de même pour les bottines, à propos desquelles les danseuses rusent afin de trouver des formes authentiques mais confortables. On trouve également des témoignages de jeunes héritiers des costumes de leurs grands-parents, n’hésitant pas à les porter lors des défilés, ou bien d’autres avides de confectionner leur propre costume. Dans cette perspective, il est nécessaire de suivre une formation. Il en est de même pour la confection des coiffes, de leur pose, de leur amidonnage – permettant de leur donner leur forme – et de leur repassage, ainsi que de leur entretien, dont certaines nécessitent l’appel d’un professionnel.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’arrêt du port du costume entraîne la raréfaction des ateliers. Pascal Jaouen, « créateur-brodeur » contemporain, est aujourd’hui connu pour ses créations de haute couture ou empruntées au dressing quotidien, brodées à partir des techniques de points traditionnelles de Bretagne, et notamment la broderie de l’âge d’or des modes glazig et bigoudène. Son inspiration est puisée dans les pièces de 1860 à 1920. Il les retravaille avec sa propre touche stylistique. Le choix des thèmes, des formes et couleurs, des motifs et des matières révèle son caractère unique, bien que ses inspirations soient variées. Il aime les notes naturelles, d’origine celtique ou bien européenne. Cette originalité casse les codes des traditions mais également de l’art moderne, notamment lors de ses collaborations avec les artistes locaux. Des défilés sont régulièrement programmés dans la région.
« À moins d’une heureuse surprise, la fin du XXe siècle figera définitivement les coiffes bretonnes dans la froideur immobile des musées » s’était résigné à penser Per-Jakez Hélias, dans son livre Coiffes et costumes de Bretagne. Pourtant l’avenir fructueux de cet héritage au siècle suivant, dont les pratiques ont certes évolué, persiste à consolider la base immuable de l’âme enthousiaste des Bretons.
Cette vivacité, fruit de longues heures à l’ouvrage, a renoué grâce à la jeunesse avec un public toujours plus nombreux d’année en année. On remarque le désir et la fierté chez beaucoup de jeunes de comprendre ce que les anciens portaient, l’histoire, l’usage et les techniques qu’ils en avaient.
« Le plus beau costume d’Europe » selon Pascal Jaouen est aujourd’hui un investissement financier. Autrefois plusieurs générations, modestes, portaient le costume de père en fils pendant un siècle. Retaillé au besoin, modifié ou teint, si les couleurs chatoyantes passaient, la valeur grandissait. La patience du travail à la main illustre le vécu de chaque pièce : sa date de conception, sa richesse, son brodeur, son propriétaire, son tissu, sa couleur, sa broderie, son perlage, et sa coiffe. Chacun en garde sa propre sensibilité affective.
BIBLIOGRAPHIE/SITOGRAPHIE :
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BOURVON Bernadette, photographies de GALÉRON Bernard, Pascal Jaouen, Quimper, Éditions Palatines, 2012.
- CARIO Hélène, et HÉLIAS Viviane, Broderies en Bretagne, Spézet, Éditions Coop Breizh, 2013.
- CARIO Hélène, et HÉLIAS Viviane, Dentelles en Bretagne – crochet, filet et broderie découpée, Spézet, Éditions Coop Breizh, 2008.
- CHARLOT André, et BOLZER Michel, Le Costume Bigouden, Spézet, Éditions Coop Breizh, 2013.
- CONFÉDÉRATION KENDALC’H, Mariages en Bretagne – 120 costumes d’exception 60 modes vestimentaires 30 terroirs de 1895 à 1957, Spézet, Éditions Kendalc’h, Éditions Coop Breizh, 2014.
- ESPERN André, « Coiffes et costumes de Bretagne », YouTube [en ligne], © Bleu Iroise / Bretagne-video.fr / Tébéo, TVR, TébéSud, soutenues par la Région Bretagne, documentaire historique de 52 minutes.
- GUESDON Yann, Coiffes de Bretagne, Spézet, Éditions Coop Breizh, 2014.
- LE PAPE Danièle, Photographies de LE GRAND Béatrice, Pascal Jaouen – War An Hent – Sur la route de Bannalec à Compostelle, Rennes, Éditions Ouest-France, 2019.
- MILLERET Guénolée, avec la collaboration de la maison LESAGE et de BARRÈRE Hubert, L’Atelier du brodeur – dans les ateliers du luxe, Paris, Éditions Eyrolles, 2016.
- MILLOT Nicolas, Dans- Les chemins de la tradition, Auray, Éditions Hengoun, 2002.
- OUEST-FRANCE, HISTORIA, « Les costumes – Des atours loin d’être uniformes » , dans Aux origines des fêtes bretonnes, hors-série, Rennes, Éditions Ouest-France, octobre-novembre 2011, P100 à 109.
- RAYNAUDON-KERZHERO Maïwenn, Photographies de GALÉRON Bernard, Pascal Jaouen – Collection Gwenn-ha-Du, Saint-Brieuc, Éditions Coop Breizh, 2014.
SOURCE INTÉRESSANTE :
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HÉLIAS Pierre, Photographies de LE DOARÉ Jos, Costumes de Bretagne, Collection « Images de Bretagne », Cachan, Edition Jos le Doaré, Presses d’Helio-Cachan, 1958.