
Avec un taux de vacance de 11.9% en 2018 ( +4.7 en 6 ans), le commerce de centre-ville souffrait avant la crise sanitaire. Celle-ci n’a fait que mettre en lumière les difficultés rencontrées au quotidien par des acteurs reconnus par tous comme centraux pour la vitalité des territoires…
L’une des principales mesures décidées par le Gouvernement a interpellé : La coronapiste ou la piste cyclable provisoire. Plus de 500 kilomètres de pistes cyclables a ainsi été créés, en majorité dans les grandes agglomérations comme Nantes où près de 20 kilomètres ont été créés.
Un « gadget » pour certains élus du Sénat (séance du 16 juillet 2020) ou même pour des élus locaux qui, alors que le Gouvernement a appelé à les pérenniser, certaines villes comme Quimper, ont fait le choix de les supprimer toutes ou parties avec comme toile de fond les embouteillages et le commerce de centre-ville.
Ainsi l’apaisement de la mobilité avec plus de places pour les modes actifs (piétons, vélos) serait perçu comme moins efficace pour le commerce de centre-ville que faciliter au maximum la circulation et le stationnement automobile.
Pourtant, Le CEREMA vient de publier une étude intitulée Mobilité et commerces. Quels enseignements des enquêtes déplacements ? et qui apporte un nouvel éclairage sur les clients des commerces et leurs habitudes de déplacements. Résultat : dans les grandes villes (ici les communes de plus de 100 000 habitants), le constat est clair : la plupart des clients des petits et moyens commerces viennent à pied (pour 64 % d’entre eux) et moins de 15 % viennent en voiture. Et plus on pénètre dans l’hypercentre, plus la proportion de clients qui viennent à pied ou en transports collectifs augmente, au détriment de la voiture dont on estime que le poids descend autour de 10 %. Ce qui est intéressant c’est que les clients venant à pied ou en vélo consommer dans des petits et moyens commerces de la périphérie des grandes villes résistent plutôt bien avec 42 % (56 % pour l’automobile). Dans les villes moyennes (entre 10 000 et 100 000 habitants) les résultats sont plus nuancés mais la voiture est loin d’être hégémonique, en effet 1 client sur 2 vient à pied, à vélo et en transport en commun en centre-ville et 42% dans sa périphérie.
Des résultats qui peuvent surprendre à première lecture. En réalité, cela confirme la définition de proximité des commerces car que ce soit en ville ou en périphérie, près de 85 % des clients viennent consommer à moins de 5 km de chez eux.
Les commerçants surestiment la voiture
A la lecture de ces chiffres, on peut se demander pourquoi les commerçants de centre-ville se plaignent très souvent de toutes les mesures qui vont dans le sens d’une réduction de la place de la voiture et réclament au contraire plus de facilités de circulation et de stationnement.
C’est la lecture de l’article de Mathieu Chassignet, Ingénieur transports de l’ADEME et auteur d’un blog bien documenté, hébergé par le site Alternatives Economiques qui apporte une réponse éclairée en croisant les données de l’enquête du Cerema avec celles d’une enquête parue en 2011 à Bruxelles (Sececom 2011) où l’on observe que les commerçants surévalue de 30 % leurs clients venants en voitures alors qu’ils sous estiment les utilisateurs de bus de 15 % et les client venant à pied ou à vélo de 15 %. Pourquoi ? Mathieu Chassignet émet l’hypothèse que les discussions qu’ils peuvent avoir avec leurs clients influencent cette perception. Le client qui est venu en voiture et a eu du mal à se garer va le faire savoir haut et fort, alors que celui qui est venu à pied ne va pas évoquer le fait que les trottoirs sont trop étroits ou qu’il y a trop de voitures.
Par ailleurs, les commerçants artisans est, selon l’INSEE, l’une des catégories socio-professionnelles utilisant le moins le vélo (13 % contre 34 % pour les cadres), cette surestimation est possiblement une vue d’esprit et un prolongement de son vécu dans celui de son client.
Décalage entre commerçants et clients
En lien avec cette surestimation de la part de la voiture, l’analyse de Chassignet met en avant que les demandes des commerçants sont souvent en décalage avec les aspirations de leurs clients.
Un décalage illustré par une étude sur la vitalité commerciale sur le territoire de la Métropole de Rouen parue en 2016 (Bfluid recherches et expertises, 2016) où les réponses à la question sur le frein à l’achat en centre-ville est diamétralement opposé entre d’un côté des commerçants et de l’autre des clients
- Selon les commerçants, le principal problème viendrait du manque de stationnement pour 50 à 78 % d’entre eux selon leur activité. La congestion du trafic est également citée, ce qui fait qu’au total, les difficultés liées l’usage de l’automobile sont citées comme le principal frein par 85 % des répondants dans l’échantillon « commerces » et par 78 % des répondants dans l’échantillon « restaurants ».
- Du côté des clients, les réponses sont tout autres : un tiers seulement donne une réponse en lien avec les difficultés d’accès en voiture (stationnement ou circulation). Au contraire, plus de la moitié donne une réponse en lien avec la trop forte présence de la voiture et des transports motorisés dans l’espace public : trop de bruit/circulation, pas assez d’espace pour marcher, trop d’obstacles sur les trottoirs.
Si la tentation de la motorisation est grande, notamment pour attirer le client non régulier, le risque de voir les clients de proximité déserter le centre-ville pour les zones de commerces périphériques existe. Aussi, si l’accessibilité des commerces de proximité est un enjeu fondamental, celui-ci ne doit pas se limiter à l’accessibilité motorisé, il serait même idiot de le penser tant la voiture est lié aux zones périphériques, tant l’aspiration des clients semble tenir d’une toute autre logique.
Source : Mathieu Chassignet, Commerces de proximité : en finir avec le dogme du « no parking, no business », Pour une mobilité durable et solidaire. Le blog de Mathieu Chassignet. Blogs Alternatives économiques, 12 décembre 2019.