Pollution de l’Aulne : des questions restent en suspens

Eawag: Swiss Federal Institute of Aquatic Science and TechnologyTechnical drawings: designport, Paolo Monaco, ZurichSee http://ecompendium.sswm.info/copyright / CC BY

Du lundi 17 au dimanche 24 août, plus de 40 communes du Sud Finistère ont été privées d’eau potable suite au dysfonctionnement d’un méthaniseur industriel situé du côté de Châteaulin. Le Peuple breton s’est penché sur le dossier du méthaniseur de Châteaulin, et des méthaniseurs en général, sujet dont a priori on n’a pas fini d’entendre parler.

Si le retour à la potabilité de l’eau a été rendu publique le dimanche 24 au soir, et on ne peut que s’en réjouir, de nombreuses questions se posent. Il a par exemple fallu attendre le mercredi 19 au soir pour que la population soit alertée et avisée de cette non potabilité : l’alerte tardive est-elle due à l’exploitant ou aux services préfectoraux ? Il semblerait que l’exploitant avait 2 jours d’eau potable devant lui et a attendu le dernier moment pour signaler le problème qu’il espérait régler sans publicité… Il est probable aussi que le facteur déclencheur de l’alerte générale a été dans l’après-midi du 19, un message de l’Ifremer, via le REMI (REseau de surveillance Microbiologique), à destination des professionnels de la conchyliculture. Pour information, la pollution s’est produite aussi la semaine de changement de préfet du Finistère : le peu conciliant Pascal Lelarge est parti en Corse remplacé par le Morbihannais d’origine Philippe Mahé. Ayant pris ses fonctions le lundi 25, le nouveau préfet a pris immédiatement la décision de fermer le méthaniseur de Châteaulin jusqu’à plus amples certitudes sur le retour de la sécurité.

Autre question qui se pose : on n’a officiellement parlé que de pollution à l’ammoniaque, mais pourquoi via la presse a-t-elle relayé le conseil aux personnes ayant des symptômes proches d’une gastro-entérite d’aller voir un médecin ? Le gaz ammoniac est soluble dans l’eau pour donner de le liquide ammoniaque : à de faibles concentrations l’un ou l’autre provoquent des brûlures des yeux, nez et gorge, à de hautes concentrations ce sont de fortes brûlures des muqueuses accompagnées d’un besoin persistant de tousser avec des douleurs thoraciques. Une exposition plus intensive peut causer une insuffisance respiratoire, une inflammation du larynx et de la trachée ainsi que des brûlures et un oedème pulmonaire. Nulle part il n’est question de gastro-entérite.

Un bug informatique est semble-t-il responsable du déversement dans l’Aulne de 300 à 400 m3 de « digestat ». Un méthaniseur comporte une grande cuve appelée digesteur où des bactéries agissent à une température de 38° pour que les déchets organiques (lisier, fumier et végétaux) se transforment chimiquement afin d’ obtenir du gaz méthane. Le digestat est alors stocké dans une autre cuve avant d’être récupéré par les exploitants agricoles pour être répandu dans les champs comme fertilisant. Il s’en suit que le digesteur est un bain de bactéries (qui sont parfois antibiorésistantes), et le digestat à la sortie ne peut pas en être exempt.

C’est ce que nous explique le magazine en ligne Reporterre dans un article sur le sujet : « Lorsque le digestat bourré de pathogènes est épandu, il est consommé par le sol puis s’infiltre vers les cours d’eau et les nappes phréatiques », explique Marie-Pascale Deleume, membre du groupe méthanisation d’Eaux et rivières de Bretagne. « Dans les zones karstiques comme sur les pentes des causses, l’infiltration est très rapide et va directement dans les nappes phréatiques, où nous pompons notre eau potable », dit Michel Bakalowicz, hydrologue et chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à la retraite.

Ce constat est partagé par l’Agence Nationale de Sécurité (ANSES). On peut signaler aussi que l’ Organisation mondiale de la santé (OMS), estime que l’antibiorésistance pourrait être responsable de 10 millions de décès dans le monde d’ici 2050…

A remarquer que 10 jours après le début de la pollution, 3 jours après la fin officielle, des communes touchées comme Saint-Evarzec ont enfin reçu les premiers résultats d’analyse de l’eau. Datés de l’avant-veille et de la veille de la levée de la fin officielle de la pollution, ces analyses indiquaient un pH tel qu’il montrait que s’il y avait de l’ammoniaque, c’était négligeable et que de ce côté là l’eau aurait pu être considérée comme potable. Par contre, et sans vouloir trop rentrer dans des détails chimiques, l’eau contenait un taux de « trihalométhanes » supérieur à la limite officielle de potabilité. Or ces molécules se forment quand on traite de l’eau au chlore et que celui rencontre des déchets organiques. Alors pourquoi traiter au chlore ? Parce que depuis plus d’un siècle, on ajoute plus ou moins de chlore à l’eau pour éliminer les micro-organismes dangereux. Si des bactéries, des virus sont propagés par les réserves d’eau potable, un grand nombre de personnes peuvent rapidement devenir malades. C’est bien ce qui c’est passé avec la pollution de l’Aulne !

La Préfecture a donc décidé de ne pas autoriser provisoirement la réouverture de l’unité de Châteaulin, mais il serait souhaitable de vérifier et renforcer la sécurité de tous les méthaniseurs existants ou qui se construisent à un rythme soutenu un peu partout. La Bretagne administrative en compte 130 en fonctionnement et 115 qui seraient en projet (en France, selon le ministère de la Transition écologique, plus de 1 300 unités de méthanisation seraient en projet et neuf cents fonctionnent actuellement. Reporterre parle d’ailleurs de fuite en avant de l’agro-industrie.

A Commana (29) où la population depuis un bon moment refuse l’implantation d’un méthaniseur, l’opposition repart avec des nouveaux arguments dans le contexte actuel. Autre commune où un projet fait l’actualité : suite à la pollution de l’Aulne, la commune de Kervignac (56) a eu droit à un Conseil municipal animé et suivi comme jamais, l’ordre du jour incluant un vote sur un projet de méthaniseur. Le Conseil a voté « oui sous conditions », arguant par ailleurs que c’est à la préfecture de prendre la décision.

Il ne faut d’ailleurs pas oublier que si le gaz produit peut sembler avoir un label « écologique » avec la dénomination « biométhane », et si quelques exploitations bio commencent à s’y mettre, les méthaniseurs sont malgré tout majoritairement en lien avec l’agriculture productiviste. Pour qu’un méthaniseur soit rentable, il lui faut un maximum de déchets, donc de plus en plus de déjections de porcs ou de poulets.

L’UDSEA-Confédération paysanne du Finistère appelle d’ailleurs à un moratoire sur les installations de méthaniseurs et à un audit du parc de méthaniseurs en service . Elle ne comprend pas qu’à Châteaulin on ait « permis à un mastodonte aussi dangereux de s’implanter aussi près d’un point de captage ». Elle ne comprend pas que l’on envisage de passer en Région Bretagne d’un peu plus de 2100 Gwh actuellement à plus de 12000 Gwh en 2050. « Nous nous posons la question de qui contrôle effectivement l’implantation, la conformité passée et à venir de ces installations dangereuses qui se disséminent sur notre territoire, qui s’assure qu’elles ne rejettent pas de méthane dans l’air faute d’entretien et ne deviendront pas de futures bombes écologiques ? »

Cela est confirmé par le Collectif Scientifique National-Méthanisation qui explique qu’« une usine de méthanisation comporte de nombreuses liaisons mécaniques susceptibles de fuir. Des défauts d’étanchéité des cuves de méthanisation, des bâches, des valves, des broyeurs, des connectiques mécaniques aux différents éléments, des zones de chargement-déchargement. » Or, si le « biométhane » issu de l’agriculture n’est pas un gaz fossile, sa combustion contribue à l’effet de serre, et si ce gaz s’échappe des méthaniseurs, il y contribue encore plus car le méthane possède un effet de serre 25 fois plus important que celui de CO2.

Il n’est donc pas étonnant que 300 personnes aient défilé dès le 30 août sur les quais de Châteaulin à l’appel de la Fédération Bretagne Nature Environnement, et cela à l’initiative de paysans, consommateurs d’eau, et citoyens choqués par la pollution de l’Aulne par le Méthaniseur Kastellin.

Il y a fort à parier qu’il y aura d’autres manifestations.

> Christian Pierre

Né en 1949, Christian PIERRE est membre de l'UDB depuis 1977. Très engagé pour la Bretagne, il est très investi aussi dans les Droits de l'Homme, comme à l'ACAT (ONG chrétienne de lutte pour l'abolition de la torture et contre la peine de mort) dont il est animateur du Groupe Quimper-Cornouaille. Il milite enfin pour les droits du peuple palestinien.