L’épidémie de variole à Vannes en 1954-1955


Christian Pierre a passé toute sa vie professionnelle dans le Poher, mais est originaire de Vannes où il a passé sa jeunesse. Quelques articles de presse récents, dont un justement dans l’hebdomadaire Le Poher, lui ont rafraîchi la mémoire sur un événement particulier qui a marqué la France entière, mais qui a été quelque peu oublié : l’épidémie de variole de l’hiver 1954-55. Il souhaitait évoquer ce souvenir puisque le COVID-19 remet cet événement dans l’actualité.

L’année 1954 a démarré par un hiver glacial qui a marqué les esprits avec les gens mourant de froid dans les rues, entraînant l’appel célèbre de l’Abbé Pierre. Mais la fin de l’année a également marqué les esprits à Vannes, puis progressivement dans tout le pays. Le 7 décembre, le Dr Morat, généraliste vannetais est appelé au chevet d’un enfant d’un an et demi, fils d’un militaire rentré récemment d’Indochine : il penche pour une varicelle. L’état de l’enfant s’aggravant, il appelle à l’aide le Dr Cadoret, excellent pédiatre et chef de service à l’hôpital de Vannes (j’ai connu par ailleurs ces 2 médecins l’un comme généraliste et l’autre comme pédiatre familial). Très inquiets et dubitatifs sur la varicelle, ils décident d’hospitaliser le jeune enfant dans l’urgence, et directement avec la voiture de l’un d’eux (il n’y avait alors que deux ambulances potentiellement disponibles sur toute la ville de Vannes).

20 jours plus tard, l’enfant s’en sort guéri, mais entre temps, le 21 décembre, le Dr Cadoret tombe malade. Croyant à une grippe, il doit s’arrêter et reprend le 27. Il ne croit plus à la varicelle, se pose des questions, et commence à penser à la variole bien qu’il n’en ait jamais vu de cas, cette maladie n’existant plus à cette époque en France. Le 31 décembre, 6 nouveaux cas s’étant déclarés, il consulte 3 experts de médecine tropicales mais ceux-ci ne sont pas sûrs du diagnostic.

Le 1er janvier, le Dr Cadoret, de plus en plus inquiet, appelle à l’aide le Dr Grosse, médecin-inspecteur principal de la santé du Morbihan, alors à Nantes dont il revient en urgence. Il prend les choses en main : il examine lui-même les patients, renforce la quarantaine, se revaccine et vaccine lui-même ses enfants, et envoie par le train du soir des prélèvements à l’Institut Pasteur à Paris.

Un premier bébé meurt. Trois jours après, les résultats arrivent : c’est bien la variole !

La question se pose alors : comment un militaire vacciné a-t-il pu sans être malade lui-même passer la variole à son fils. On a émis l’hypothèse que le virus pouvait se trouver sur des cadeaux rapportés d’Indochine, en particulier trois pyjamas, mais cela n’a jamais pu être prouvé.

Il y a heureusement en France des stocks de vaccins, et c’est à partir de ce moment qu’une vaste campagne de vaccination démarre, à Vannes d’abord (22000 personnes en 3 jours, dont tous les élèves – 5300 – dans les écoles), puis le Morbihan, puis toute la Bretagne.

Même si j’ai peu de souvenirs de l’épidémie, il faut dire que je n’avais que 5 ans et demi, il m’en reste un bien précis que je n’ai jamais oublié car cela a du m’impressionner. Mon école maternelle était devenue un des multiples centres de vaccination collective en particulier pour les élèves de l’École Normale de filles située juste à côté qu’on avait vu défiler dans l’école.

Le 4 janvier le docteur Lobrichon, chef de service de médecine interne, tombe à son tour malade. Le docteur André Amphoux (chef de service de dermato-vénéorologie) vacciné autrefois va faire lui aussi une variole bénigne mais accepte de prendre en charge les malades du pavillon 10.

Le 10 janvier, il y a 40 malades à l’hôpital, répartis dans 3 pavillons en fonction de la gravité de leur état. Il faut ici rendre hommage aux 8 religieuses-infirmières qui se sont volontairement enfermées en quarantaine dès le début avec les malades, l’une y laissera la vie. Quand au Dr Grosse, dont le dévouement a été unanimement reconnu, il tombera malade le 17 janvier, malgré la vaccination, et ce « Saint Laïque » comme on l’appela, décédera le 25.

Au total, il y a eu 74 cas à Vannes (dernier cas avéré le 22 janvier) dont 16 décès, mais l’épidémie arrivera à Lorient puis à Brest, avec 21 cas dont 4 décès, sans que l’on sache trop comment.

Quant à la variole elle-même, grâce aux campagnes de vaccination, campagnes à notre époque de plus en plus décriées, elle a totalement disparu de la surface du monde avec un dernier cas en 1977, sa vaccination en France devenant alors facultative puis étant supprimée dans les années 80.

Et la Presse dans tout cela ? Deux journaux se sont illustrés à l’époque, l’un, « RADAR », a disparu depuis, l’autre, c’est Paris-Match parlant dans son édition du 5-12 février de « l’épouvante devant les cercueils arrivant en gare […] d’une ville assiégée de nouvelles circulant à la vitesse des feux de brousse ». C’est bien sûr un affabulation totale. D’autres journaux actuels donnent aussi une information dont je n’ai pas trouvé la source : « les habitants se cloisonnent ou fuient dans le plus grand désordre ». Qu’ils se soient cloisonnés, probablement, mais qu’ils aient fui en désordre, c’est inexact. C’est ce que m’a confirmé M. François Ars, historien vannetais dont la mère travaillait pendant l’épidémie comme auxiliaire à l’hôpital dans le service qui a reçu les malades. Il est reconnu que les gens sont restés calmes, et pour fuir en nombre, il aurait fallu qu’ils partent en nombre par le train, et on ne les aurait pas laissé faire, ou encore en voiture, mais rappelons qu’en 1954, le nombre de possesseurs de voiture individuelle était de beaucoup inférieur à ce qu’il est actuellement.

Pour terminer, quel lien peut-on faire maintenant entre cette épidémie et le COVID-19 ? M. Ars me signale que « la ville ne fut pas interdite et la population ne fut pas confinée. Seul l’hôpital Chubert  fut confiné avec son millier de malades et une partie des soignants qui s’occupaient des varioleux. Les médecins étaient les seuls à pouvoir entrer et sortir selon un protocole très strict. ». Mais l’impact fut quand même économique : Le chiffre d’affaires des commerçants vannetais baissa de 75 à 80 %, les habitants des communes limitrophes en particulier ayant suspendu leurs achats. Les secteurs les plus touchés furent les transports (route et rail) et l’ hôtellerie (Quiberon par exemple craignait dès février des répercussions sur le tourisme à Pâques) .

Quant au comportement des gens, il est reconnu qu’il fut majoritairement exemplaire. Néanmoins une famille a eu à en pâtir : celle du Dr Amphoux. Il fut un des médecins les plus dévoués pendant l’épidémie (on a dit plus haut qu’il avait fait une variole bénigne). C’était quelqu’un d’unanimement respecté à Vannes autant comme médecin que comme homme. Mais pendant l’épidémie, sa famille fut quasiment mise en quarantaine par les voisins, et les autres habitants du quartier ne passaient plus dans la rue du médecin ! Cela n’est pas sans rappeler qu’ils y a actuellement des gens qui n’hésitent pas à taguer la porte d’infirmières ou d’aide-soignantes avec des slogans du genre « Barre toi d’ici ! ». Le seul avantage fut que dans les commerces, la famille Amphoux n’avait plus à faire la queue : on les laissait passer tout de suite pour qu’ils quittent le commerce au plus vite…

> Christian Pierre

Né en 1949, Christian PIERRE est membre de l'UDB depuis 1977. Très engagé pour la Bretagne, il est très investi aussi dans les Droits de l'Homme, comme à l'ACAT (ONG chrétienne de lutte pour l'abolition de la torture et contre la peine de mort) dont il est animateur du Groupe Quimper-Cornouaille. Il milite enfin pour les droits du peuple palestinien.