Sports études Academy : laboratoire de la flexibilité de l’enseignement

Sports études Academy
Le groupe, qui possède plusieurs écoles en France et dans le monde, fait tout pour réduire les coûts au maximum. Et ce, au détriments des élèves et des enseignants, premières victimes d’un système flexibilisé. Témoignage.

« Tu vas voir, c’est tout à fait possible de faire 25 heures par semaine. Avec les cours du CNED, il n’y a plus besoin de préparer les cours », tente de me rassurer Michel* lors de la journée de pré-rentrée. Il faut dire que 25h par semaine, me semblait quand même beaucoup. Mais si le CNED m’avait mâché le travail alors ça irait, même pour ma première année d’enseignement. J’ai très vite compris que ça serait impossible. Et pour cause, non seulement les cours du CNED sont souvent minimalistes mais en plus il était prévu que j’enseigne le Français et l’Histoire-Géographie sur… 9 niveaux différents (!).

« L’année dernière, je faisais 30h par semaine » me concède Aude*. « C’était trop. J’ai décidé de n’en faire que 24 cette année », ajoute-t-elle. « Que 24h ». Mais pourquoi donc faire autant d’heures ?

Le choix du burn out

Sur le papier, l’offre est intéressante. D’abord il a le cadre. Les cours ont lieux dans un ancien hôtel de l’Ouest parisien, au bord de la Seine. Ensuite, il y a un nombre réduis d’élève par classe : maximum 12, mais la moyenne est plutôt autour de 7 élèves. Et puis, il y a la promesse d’un salaire moyen de 1800 euros par mois, ce qui reste tout à fait correct en comparaison de ceux de l’Éducation nationale, avec la possibilité de choisir son statut de rémunération. « Vous préférez être payé en tant qu’auto-entrepreneur ou bien être salarié ? », demande Sylvie* lors de l’entretien d’embauche. Un peu surpris par la question, je réponds que je vais y réfléchir. Il faut dire que le montant de rémunération varie quasiment du simple au double. Le statut d’auto entrepreneur permet d’être rémunéré 32 euros net de l’heure alors qu’en étant salarié il est de 18 euros net. Si bien que la promesse des 1800 euros par mois est possible, en travaillant 15 heures par semaine en statut auto entrepreneur ou… 25h en étant salarié.

Tout être de raison choisirait de prendre le statut d’auto entrepreneur. Et pourtant, la majorité de l’équipe pédagogique choisit d’être salarié. «  J’ai toujours préféré cotiser et puis, ne soyons pas naïf, le statut d’autoentrepreneur avantage surtout l’entreprise qui ne paie aucune charge », affirme Thierry*. En revanche, l’auto-entrepreneur ne va, certes, quasiment rien payer les deux premières années, mais au bout de trois ans il sera davantage imposé que le salarié. Cette solution n’en est une qu’à court terme. Et dès lors, l’enseignant sera obligé de faire plus d’heures… « Je n’en pouvais plus, souffle Aude, j’étais proche du burn out ».

A l’heure… et au pain sec

Mais avec deux enfants à charge, elle « n’avait pas le choix » d’autant que les enseignants ne sont payés qu’à l’heure (!). Tout ce qui est préparation de cours, corrections de copies, préparation de bulletins ne sont pas pris en compte. Et encore, c’est moins pire qu’avant, « aujourd’hui le repas est offert ». En revanche, le site ne dispose que d’un rétroprojecteur pour une vingtaine de classes. Et certaines n’ont que des lampes à pied. Des conditions de travail sommaire qui ne justifient en rien le prix – exorbitant – de 22 000 euros par élève et par an. Un chiffre qui peut même être de 33 000 euros si l’élève est « all inclusive ». Entendez présent pendant les vacances. Des vacances auxquelles les enseignants ont bien entendu le droit mais durant lesquelles ils ne sont pas payés.

Un modèle futur pour l’éducation nationale ?

Ce qui est inquiétant c’est que malgré ces conditions précaires, la structure n’a pas de mal à recruter des enseignants. Paradoxalement, c’est même ce qui a attiré Thierry*. « Cela permet d’être flexible là où le concours m’aurait certes permis d’être mieux rémunéré mais m’aurait aussi obligé à déménager dans une autre région. Ce dont je ne veux pas ». Outre le fait que ce modèle d’hyper flexibilité permet à l’entreprise de réduire ses coûts, par ce modèle économique elle tue dans l’œuf toute tentative de grève. En étant payé à l’heure, l’enseignant ne peut pas se permettre de faire grève. De quoi donner des idées à un gouvernement en quête de démantèlement des dépenses et des services publiques.

* Les prénoms ont été changés

> Pierre-Alix Pajot

Rédacteur. Formé à la géopolitique et à l'aménagement du territoire, Pierre-Alix Pajot a collaboré à Politis, a été rédacteur en chef du Journal international de 2017 à 2020 dans le cadre de ses études, et écrit régulièrement pour le magazine Le Peuple breton et sur le Club de Mediapart. Ses thèmes de prédilection : la politique internationale et notamment celle des Balkans, l'économie mais aussi le sport qu'il a pratiqué à un haut niveau. Il est aujourd'hui enseignant d'histoire-géographie en Savoie. [Lire ses articles]