
Il y a maintenant 2 ans et demi, le 1er juin 2017, le Parlement européen a adopté une résolution ayant pour but de donner un cadre à la lutte contre l’antisémitisme. Cette résolution prenait appui sur la définition de l’antisémitisme proposée par l’Alliance Internationale pour la Mémoire de l’Holocauste (AIMH).
Le journal Le Figaro écrivait alors que « la définition de l’antisémitisme inclut le ciblage de l’État d’Israël, c’est-à-dire l’antisionisme. Depuis plusieurs décennies, l’antisionisme est la forme mutante de l’antisémitisme, il en est la dernière expression historique. » Il est très grave de raisonner ainsi. Pourtant, c’est à peu près ce qu’a dit le président Macron au dîner du CRIF en février 2019 (même s’il a fait en partie machine arrière depuis) : « l’antisionisme est l’une des formes modernes de l’antisémitisme ». C’est grave de confondre les deux, car l’antisionisme est une démarche politique de ceux qui s’élèvent contre la politique du gouvernement israélien (et non pas contre les Juifs), gouvernement qui bafoue les décisions de l’ONU, le droit international et le droit humanitaire alors que l’antisémitisme est une forme de racisme.
Un député, Sylvain Maillard, a alors repris cela au bond en proposant au printemps une résolution demandant que la France adopte la définition de l’AIMH. Le 20 mai 2019 la proposition du député, qui avait obtenu la signature de 161 députés, et affirmant « lutter contre l’antisémitisme », était enregistrée et devait être débattue, mais cela fut reporté.
Elle revient maintenant avec un texte légèrement modifié. 30 nouveaux députés l’ont signée, mais 50 signataires du printemps sont heureusement revenu sur leur décision, ce qui peut laisser supposer qu’ils ne voteront pas la loi. On peut se demander pourquoi ? Peut-être parce qu’ils ont compris l’inutilité et le danger de la résolution ? En effet, la France dispose d’un arsenal juridique suffisant pour réprimer le délit qu’est l’antisémitisme en tant que forme de racisme. Pas besoin de loi supplémentaire !
Et pour le danger, on peut penser qu’il viendra de 2 § du texte , car la résolution Maillard « estime que la définition opérationnelle utilisée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste permet de désigner le plus précisément possible ce qu’est l’antisémitisme contemporain ; Considérant qu’elle constituerait un instrument efficace de lutte contre l’antisémitisme dans sa forme moderne et renouvelée, en ce qu’elle englobe les manifestations de haine à l’égard de l’État d’Israël justifiées par la seule perception de ce dernier comme collectivité juive ».
Qu’est-ce en effet que l’antisémitisme contemporain et les manifestations de « haine » contre l’État d’Israël ? Est-ce que protester contre la continuation de la construction du mur ou la colonisation forcée de territoires palestiniens, ce ne sera pas considéré comme des manifestations de « haine » tombant alors sous le coup de la loi ? Et beaucoup d’autres exemples.
Sans aller jusqu’à l’extrême de Trump, la mansuétude de la France envers l’État d’Israël est une constante. Pour cela, on peut comparer par exemple les lois du Mexique à celles d’Israël. Au Mexique, en 2008, la Constitution y a introduit l’Arraigo, une forme de détention provisoire avant inculpation pour les personnes « suspectées de délinquance organisée », dont la durée maximale est de 40 jours, renouvelable une fois, sans accès à un avocat.
Lors de l’Examen périodique universel du Mexique, le 23 octobre 2013, plusieurs pays (dont la France) siégeant au Conseil des droits de l’homme des Nations unies ont « recommandé » l’abolition de l’Arraigo. Une « recommandation » (c’est ce qu’on appelle du langage diplomatique…) qui n’a pas dû faire peur, car le 20 mars 2014, l’État mexicain a rejeté cette recommandation. Mais au moins la France avait pris position.
En Israël, il existe la même chose, mais en plus radical sur la durée (sans néanmoins la torture institutionnalisée du Mexique) : la détention administrative, qui s’adresse bien sûr aux Palestiniens, c’est l’emprisonnement sans inculpation ni accès à un avocat, pour 6 mois renouvelables x fois tant que la justice le décidera. Et là, la France n’a jamais protesté officiellement devant ce déni de justice. Lorsqu’en 2017 l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri s’est trouvé précisément en détention administrative, prolongée dans son cas directement sur intervention du Ministre de la justice israélien Avigdor Lieberman. La France a mis un bon moment à réagir, alors que de nombreuses ONG autour de l’AFPS faisaient le forcing pour l’aider. Le Ministère des Affaires étrangères d’alors (J-Y. Le Drian) avait juste à l’époque exprimé sa « préoccupation face au recours extensif à la détention administrative ».
Alors on peut se poser la question : si la résolution Maillard est votée, est-ce qu’on pourra encore manifester dans la rue pour des cas identiques sans être taxé d’antisémitisme ? Est-ce que protester vigoureusement parce qu’un prisonnier palestinien souffrant d’un cancer et dans un état terminal est enfin amené à l’hôpital, mais mains et pieds attachés sur un lit, cela jusqu’à son décès très récent, sera considéré comme de l’antisémitisme ? Est-ce que manifester contre l’utilisation de balles réelles par des snipers israéliens contre des enfants ou une infirmière venue secourir un blessé à la frontière de la Bande de Gaza pourra être considéré comme une atteinte à l’État d’Israël ?
C’est pour toutes ces raisons que nombres d’ONG (par exemple dans le Finistère : l’AFPS, Amnesty, la LDH, l’ACAT, le CCFD, le mvt de la Paix) ont écrit à leurs député-e-s pour les dissuader de voter la résolution.
Sur les 141 élus qui ont finalement signé pour la présentation au Parlement, les Bretons sont heureusement rares. Au printemps, ils étaient 3 sur 161 : Hervé Berville (22), Sandrine Le Feur (29) et Laurence Maillart-Méhaignerie (35) à avoir signé. Depuis, ces 2 dernières n’ont pas re-signé pour la nouvelle mouture, il ne reste que Hervé Berville. Par contre une nouvelle signature est apparue, celle de François de Rugy (44). Mais pour un certain nombre de députés ou députées, on ignore ce qu’ils ou elles voteront, n’ayant répondu ni aux courriers, ni aux demande de rendez-vous, comme les 3 députés de Cornouaille (2 Lrem et 1 Modem).
Paul Molac (56) a fait savoir au Peuple breton qu’il voterait « non » la semaine prochaine.