L’ANC et l’UDB ensemble pour les prisonniers politiques catalans


À la demande de militants catalans vivant en Bretagne, l’UDB co-organisait hier soir à Nantes une conférence de presse pour dénoncer le procès de leader indépendantistes qui risquent d’être condamnés à de lourdes peines pour avoir organisé un referendum pour l’autodétermination de la Catalogne. Pourtant, les dernières élections locales leur ont donné une légitimité pour le faire. Plus largement, l’UDB soutient les militants catalans face au silence coupable des dirigeants politiques européens, français et bretons, en premier lieu le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian qui estime que ce procès relève des questions de politiques intérieures espagnoles alors que la justice espagnole n’a visiblement pas rompu avec le franquisme. Pierre-Emmanuel Marais pour l’UDB, ainsi que Montse Casacuberta et Lluis Banti, militants catalans vivant respectivement à Rennes et Nantes et représentant l’ANC ont co-écrit un texte. C’est celui-ci que Le Peuple breton reproduit ci-dessous en entier.

Mercredi 12 juin 2019, M. le juge Marchena, Président de la Cour Suprême espagnole, chargée des affaires pénales, a déclaré l’audience terminée et a mis en délibéré le jugement à l’encontre des leaders sociaux MM. Jordi Sánchez et Jordi Cuixart, Présidents d’associations (respectivement Assemblea Catalana et Omnium Cultural), ainsi que des politiciens Mme Carme Forcadell, Présidente du Parlement Catalan, M. Oriol Junqueras, Vice-Président du Gouvernement Catalan, et de Mmes Dolors Bassa et Meritxell Borràs, MM. Raül Romeva, Joaquim Forn, Jordi Turull, Josep Rull, Santi Vila, et Carles Mundó, toutes et tous Consellers (ministres) du Gouvernement Catalan. Toutes et tous démis de leurs fonctions et incarcérés par l’état espagnol.

Quatre mois se sont écoulés depuis le début du premier procès aux indépendantistes catalans. Un procès qui prend l’allure d’une répression générale envers une revendication politique collective, celle du droit à l’autodétermination d’un peuple, mais aussi à l’encontre des droits individuels fondamentaux, à savoir la liberté d’expression, le droit de réunion et d’appel à la mobilisation et à la manifestation, parmi les droits les plus importants ici bafoués.

Le Procureur (fiscal) et l’Avocat de l’État (abogado del estado) demandent respectivement des inculpations pour rébellion et pour sédition, auxquelles s’ajoutent pour certains des accusés des inculpations pour détournement de fonds ; les peines encourues s’élèvent de 7 ans à 25 ans de prison selon les cas. À ces accusations portées par le Procureur et l’Avocat de l’État espagnol, s’ajoutent celles de l’« accusation populaire », représentée elle par le parti d’extrême droite VOX, qui sollicite des peines pour rébellion, sédition, organisation criminelle et détournement de fonds, qui représentent jusqu’à 75 ans de prison. En outre, ce parti d’extrême droite VOX est en fait à l’origine des plaintes déposées contre ces hommes et femmes politiques catalans : en effet, quelles sont les raisons du système judiciaire espagnol d’accepter une accusation populaire pareille, qui fait inévitablement penser à des temps passés de persécution des dissidents ?

À en croire les conclusions du Procureur, les efforts des divers avocats de la Défense se sont avérés inutiles, car malgré toutes les preuves apportées, celui-ci maintient qu’un coup d’état a été mis en place, s’appuyant pour cela sur les théories de Hans Kelsen, philosophe du droit allemand, et comparant l’actuelle désobéissance civile pacifique du peuple catalan à la tentative de coup d’état militaire de 1981 contre le parlement espagnol (Madrid, lieutenant-colonel Tejero, 23 février 1981). Néanmoins, pour pouvoir accuser ces leaders sociaux et politiciens de « rébellion » en qualité de « promoteurs », il faut prouver l’utilisation de la violence, ce qui n’a pas pu être établi, car au contraire les images des faits des 20 septembre, 1er octobre et 3 octobre 2017 en Catalogne montrent bien des protestations, certes, mais démontent complètement la thèse de la violence des citoyens.

À cet égard, lors de ce procès judiciaire, plus de 100 policiers nationaux espagnols et gardes civiles espagnols (militaires) ont déclaré en tant que témoins de l’accusation. De façon monocorde, ils ont tous fait des déclarations similaires, affirmant avoir vu en guise de violence des « regards de haine », des « murs humains » et des « tumultes ». La police « régionale » catalane (les Mossos d’Esquadra) a été accusée de « laisser faire » et de « non-collaboration » avec les forces de l’ordre de l’État espagnol. Or, comble de la situation, le général de la Guardia Civil, M. López de los Cobos, chargé de la coordination des différentes forces de l’ordre, n’a point informé les Mossos que des unités de la police nationale et de la guardia civil espagnoles allaient intervenir dès le début de la matinée du 1 er Octobre. En réalité sur le terrain, ce jour-là du 1 er Octobre 2017, la police catalane (Mossos) a fermé bien plus bureaux de vote que la police nationale et la garde civile espagnoles, et est toujours intervenue sans violence. Malgré ces évidences, le patron des Mossos, le Major Trapero, ainsi que son équipe, sont également accusés de rébellion et vont être jugés à l’Audience Nationale espagnole prochainement.

Alors que les avocats de la défense ont pu prouver que le ministre catalan des affaires intérieures (M. Forn) n’avait donné aucun ordre aux commandements des Mossos d’Esquadra, cela n’a eu aucun effet sur les suites du procès. Les déclarations des hauts commandements de la police catalane ne semblent pas non plus avoir convaincu le Procureur, alors que ceux-ci ont expliqué qu’ils avaient averti le chef du gouvernement catalan qu’ils n’hésiteraient pas à exécuter les instructions judiciaires qui leur parviendraient, en même temps qu’ils ont fait savoir qu’ils avaient suivi les instructions du Juge émises juste avant le référendum demandant de surtout et en priorité veiller à la sécurité des citoyens le 1er octobre.

A contrario, le Procureur espagnol s’est efforcé d’exagérer des actions de protestation de la population, telles que des avions en papier lancés sur des policiers, le vol d’un cône de signalisation ou d’une barrière en métal, ou encore des actions collectives de manifestations pacifiques et de résistance passive. En outre, dans la première phase d’audience (celle des témoins), le président du Tribunal suprême a absolument interdit aux avocats de la défense de montrer les vidéos pour les confronter à chaque témoignage. Il a fallu attendre la phase documentaire pour pouvoir visionner des centaines de vidéos d’affilée, sans droit à la contextualisation. La question se pose de savoir s’il y a eu sciemment de la part du tribunal un empêchement à une défense juste.

N’ont eu aucun effet non plus les multiples communiqués d’associations de juristes, d’avocats, de spécialistes en Droit pénal ou constitutionnel, de politiciens (députés, sénateurs, MEP,…), de professeurs d’université et d’intellectuels d’Europe et du monde entier. Même des juristes espagnols, anciens membres de l’Audience Nationale ou de la Cour Suprême, ont manifesté leur conviction qu’il n’existait ni rébellion ni sédition. Dans ce contexte, la plateforme d’experts International Trial Watch a été créée pour pouvoir observer l’audience jour après jour et rédiger les rapports correspondants. Plus de 60 experts internationaux et nationaux et des représentants des associations des Droits de l’Homme (DDHH) se sont ainsi relayés pour assister au procès. Mais le Tribunal suprême espagnol n’a aucunement accepté leur présence de façon officielle.

En ce qui concerne l’Avocat de l’État, l’arrivée au pouvoir politique de Pedro Sánchez (PSOE), a provoqué le remplacement de Me Edmundo Bal, prêt à maintenir l’accusation de rébellion, par Me Rosa María Seoane, qui a préféré les accuser de sédition, avec des peines un point inférieures, et qui s’oppose à l’affirmation de violence du Procureur. Les avocats de la défense demandent l’absolution des défendeurs. Certains avocats de la défense ont préféré une ligne très politique car ce procès groupé s’avère fortement imprégné d’une teneur politique ; d’autres ont ciblé leurs allégations sur le rôle spécifique de leurs clients dans cette cause générale.

Le caractère groupé de ce procès masque pléthore de questions. Un exemple : pourquoi la Présidente du Parlement Catalan, Mme Carme Forcadell, est accusée de rébellion sous ordre du Tribunal Constitutionnel, alors que les autres membres du bureau du Parlement ne le sont que pour désobéissance ?

À l’automne 2019, Jordi Cuixart et Jordi Sánchez, leaders sociaux des deux associations fédératrices de ce mouvement de revendication collective en Catalogne (respectivement pour rappel Omnium Cultural et Assemblea Catalana), auront accompli deux ans de détention provisoire, la limite de ce que la loi prévoit en Espagne. Nombreuses sont les organisations internationales qui ont demandé pendant cette période leur libération immédiate tant qu’ils ne seraient pas jugés : ainsi, Amnesty International, l’Organisation Mondiale contre la Torture, Human Rights Watch, sans oublier le récent rapport du Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires, qui recommande à l’État espagnol en tant qu’État membre de l’ONU de suivre ses préceptes.

On peut aussi s’interroger sur les entraves avérées à Oriol Junqueras, Jordi Turull, Josep Rull, Jordi Sánchez, Raül Romeva ou encore Joaquim Forn pour exercer en tant qu’élus au Parlement espagnol, au Parlement européen ou à la mairie de Barcelone. Oriol Junqueras (comme évoqué Vice-Président du Gouvernement Catalan) s’est vu refuser sa présence à l’Union européenne car son immunité en tant que député européen (MEP) le mettrait hors de l’emprise de l’État espagnol ! Pourtant, il y a des centaines de milliers de voix des citoyens données à chacun de ces hommes politiques catalans.

Qu’est-ce qu’il en est du droit de ces citoyens catalans à être représentés ? Qu’est-ce qu’il en est de leur droit à être élus ? Dans les mois à venir nous verrons aussi une bataille livrée au-delà des frontières internes car toutes ces anomalies prennent la forme d’un conflit européen. Quelles sont les issues proposées par l’UE pour ces citoyens européens en quête de solutions politiques ? Un dossier inconfortable pour l’Europe, disait il y a un certain temps Raül Romeva, Conseller (ministre) des affaires étrangères, ancien chercheur de l’UNESCO. Ce dossier catalan risque aujourd’hui de poser des réels ennuis au sein de l’UE, avec l’élection des députés européens Puigdemont, Comín et Junqueras. Quel rôle pour une Europe juste, fédéralisée, tenant compte des régions et peuples au-delà des états-nation ?

Le respect de la promesse d’un référendum porta le gouvernement Puigdemont à faire voter une loi du référendum et une loi de la transition, au vu du refus systématique de dialogue et d’accord de ce référendum de la part de l’État espagnol, incarné alors par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy (PP, Partido popular, ex Alianza popular, droite franquiste).

Pendant ce procès, et même avant, des informations scandaleuses ont vu le jour : par exemple que les coulisses du Spanish Deep State enquêtaient et surveillaient sous écoute, depuis 2012, les leaders indépendantistes, bien avant même les faits de 2014 lors de la première consultation proposée par le gouvernement du Président catalan Artur Mas. Il a éte dévoilé auparavant l’existence d’une opération d’État dite « Cataluña » (Catalogne), une campagne d’intoxication médiatique, menée par le Ministre des Affaires Internes espagnol lui-même, Jorge Fernández Díaz, et certains commandements policiers à son service (voir le documentaire en ligne « 20-S, Las cloacas del Estado », par MediaPro).

Il est également apparu que le lieutenant en chef de la Guardia Civil, Daniel Baena, chargé justement des rapports policiers de ce procès 20907/2017 contre les indépendantistes catalans, était impliqué dans une campagne sordide dans les réseaux sociaux : sous un faux profil sur Twitter, surnommé « Tácito » (tacite), Baena répandait insultes et menaces envers les politiciens et les citoyens catalans indépendantistes ; suite aux questions posées par le journaliste José Ignacio Bayo du journal Público.es, Baena n’a pas nié l’existence de son faux profil sur Twitter. Et encore que des hommes politiques du Parti Populaire espagnol (PP) se vantaient dans un groupe de Whats App de commander en fait les coulisses de la Cour Suprême espagnole.

Et un long etcétéra d’irrégularités incompatibles avec la démocratie et l’état de droit. La prison et l’exil de ces femmes et hommes politiques catalans s’avèrent longs, trop longs, injustes et totalement injustifiés : ils ont décidé d’offrir la possibilité d’un référendum d’autodétermination à une minorité nationale (minorité vis à vis de l’État espagnol), qui depuis plus de 20 ans se voit restreindre petit à petit ce qu’elle croyait avoir pactisé avec l’État à l’issue de la dictature fasciste de Francisco Franco. Il n’y aura pas de solution accordée et dialoguée au conflit Catalogne-Espagne si des peines de prison sont prononcées. Il ne semble pas à ce jour qu’une solution s’entrevoie à l’horizon. Il faudra attendre que la raison voie le jour. Jusqu’à quand ?

Liste des inculpés :
M. Oriol Junqueras : 25 ans de prison et 25 ans d’inhabilitation / Délits de rébellion et détournement de fonds
M. Jordi Sànchez : 17 ans de prison et 17 ans d’inhabilitation / RébellionM. Jordi Cuixart: 17 ans de prison et 17 ans d’inhabilitation / Rébellion
Mme Carme Forcadell : 17 ans de prison et 17 ans d’inhabilitation / Rébellion
M. Jordi Turull : 16 ans de prison et 16 ans d’inhabilitation / Rébellion et détournement de fonds
M. Raül Romeva : 16 ans de prison et 16 ans d’inhabilitation / Rébellion et détournement de fonds
M. Joaquim Forn : 16 ans de prison et 16 ans d’inhabilitation / Rébellion et détournement de fonds
M. Josep Rull : 16 ans de prison et 16 d’inhabilitation / Rébellion et détournement de fonds
Mme Dolors Bassa : 16 ans de prison et 16 d’inhabilitation / Rébellion et détournement de fonds
M. Carles Mundó : 7 ans de prison et 16 ans d’inhabilitation et 30.000 euros / Détournement de fonds et désobéissance grave
Mme Meritxell Borràs : 7 ans de prison et 16 ans d’inhabilitation et 30.000 euros / Détournement de fonds et désobéissance grave
M. Santi Vila : 7 ans de prison et 16 ans d’inhabilitation et 30.000 euros / Détournement de fonds et désobéissance grave
Mme Mireia Boya : 30.000 euros et un an et huit mois d’inhabilitation / Désobéissance grave
M. Lluís Maria Corominas : 30.000 euros et un an et huit mois d’inhabilitation / Désobéissance grave
M. Lluís Guinó : 30.000 euros et un an et huit mois d’inhabilitation / Désobéissance grave
Mme Anna Simó : 30.000 euros et un an et huit mois d’inhabilitation / Désobéissance grave
Mme Ramona Barrufet : 30.000 euros et un an et huit mois d’inhabilitation / Désobéissance grave
M. Joan Josep Nuet : 24.000 euros et un an et quatre mois d’inhabilitation / Désobéissance grave

Audience nationale
M. Josep Lluís Trapero : 11 ans de prison et 11 ans d’inhabilitation / Rébellion
M. Pere Soler : 11 ans de prison et 11 ans d’inhabilitation / Rébellion
M. César Puig : 11 ans de prison et 11 ans d’inhabilitation / Rébellion
Mme Teresa Laplana : 4 ans de prison, 4 d’inhabilitation au suffrage passif et 5 ans d’inhabilitation au corps des Mossos d’Esquadra / Sédition

 

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