
Ce dimanche 26 mai, les électeurs et électrices n’auront pas tout à fait donné raison aux sondages. Certes, les deux listes arrivée en tête au niveau hexagonal sont bien celles du Rassemblement national et de La République en Marche. On remarque à ce sujet que la ligne politique des néolibéraux français ne permet pas de faire reculer l’extrême-droite, et qu’au contraire, le duel au sommet instauré par l’exécutif et les médias permettent au parti de Marine Le Pen de se maintenir à moindre frais en tête du classement. Mais au-delà du cas de ces deux partis, la « surprise », c’est bien la liste Europe Écologie – Régions et peuples solidaires créditée de 7-8 % qui termine à plus de 13 %…
Autres pronostics déjoués : Les Républicains suivent le PS dans la descente aux enfers en passant sous les 10 %, la France Insoumise tombe elle aussi au niveau du PS autour de 6 %. Les sondages électoraux posent décidément un problème démocratique, car ils orientent le vote en donnant l’illusion de connaître le résultat, alors que les écarts peuvent être importants. Comment les gens auraient-ils voté si on ne leur avait pas seriné pendant des mois que la droite et l’extrême-droite arriveraient gagnantes, et qu’aucune liste de gauche ne dépasserait les 10 % ?
La République en Marche comme le Rassemblement national sont solidement installés dans le paysage politique et ce ne sont pas les Républicains, le PS, ou la France Insoumise qui pourraient leur faire de l’ombre. Le seul courant politique à même de casser le duo pour proposer une autre voie semble être l’écologie politique, la liste emmenée par Yannick Jadot faisant course en tête à gauche à plus de 13 %, soit les scores cumulés du PS et de la France Insoumise. Mais la marche est haute. En plus de Régions et peuples solidaires, l’apport d’autres petits partis de gauche aurait peut-être permis d’approcher les 20 % (le PCF et Génération, sous la barre d’éligibilité, totalisent tout de même à eux-deux plus de 5 %). Alors que le match de la recomposition de la gauche semblait se jouer entre la gauche à tendance centriste du PS et la gauche contestataire et nationaliste de la France Insoumise, les deux prétendants à l’hégémonie sont remisés au second plan et ce sont deux familles politiques souvent marginalisées et moquées, les écologistes et les autonomistes, qui s’affirment comme meneurs de la contestation progressiste et démocratique au macronisme. Autant dire qu’aucune recomposition de la gauche n’aura lieu sur les base productivistes et jacobines du passé.
En Bretagne, les résultats électoraux infirment une fois de plus la prétendue tendance à l’alignement sur le vote hexagonal. Les cinq départements bretons se démarquent nettement de leur voisin de l’Ouest en votant moins pour l’extrême-droite, et plus pour la gauche et l’écologie, bien que le parti présidentiel se maintienne partout en première position. Dans tous les départements bretons, la liste EELV-R&PS pointe au dessus de la moyenne française, et se hisse même à la deuxième place en Loire-Atlantique et en Ille-et-Vilaine, devant l’extrême-droite, qu’elle talonne dans le Finistère (0,01 point d’écart). Lydie Massard, candidate UDB pontivienne et quatorzième sur la liste écologiste, frôle d’un siège l’élection au parlement européen tandis que François Alfonsi, autonomiste corse et ancien député européen (2009-2014) est élu à nouveau avec une marge confortable, à la neuvième place sur la liste EELV-R&PS. Précisons ici que les députés européens autonomistes élus par le biais d’un accord EELV – R&PS ont toujours représenté l’ensemble des partis membres de la fédération et non celui de leur territoire uniquement.
L’accord entre écologistes et autonomistes avait permis le soutien à la liste de plusieurs personnalités régionalistes en Bretagne, comme Christian Derrien, Christian Troadec et Daniel Cueff, tous partis prenante de la liste « Oui la Bretagne » en 2015 aux côtés de l’UDB. À l’époque, cette liste avait fait jeu égal avec celle d’EELV aux élections régionales en Bretagne administrative, chacune recueillant 6,7 % des voix avec un très léger avantage à Oui la Bretagne. L’addition de ces deux résultats donne 13,4 %, soit un peu moins que le résultat régional de la liste menée par Yannick Jadot ce dimanche 26 mai (16,2%). Il y a donc eu dynamique et pas seulement addition des électorats. Une alliance de cette ordre, regroupant Europe Ecologie Les Verts, l’Union démocratique bretonne et Pour la Bretagne ainsi que quelques personnalités proches, semblerait donc largement en mesure de se qualifier au second tour des prochaines élections régionales. Pour gagner en revanche, et éviter un passage à droite de la région, un élargissement semble indispensable. On peut pense à des groupes écologistes indépendants comme Morbihan en transition, animé par le sénateur Joël Labbé, ou encore à des partis de gauche qui ne souhaitent pas s’aligner sur le PS et la France Insoumise, comme Générations ou le PCF.
Dans le détail, on remarque que la liste écologiste réussit un surprenant jackpot territorial, avec de hauts scores dans les métropoles, mais aussi dans des communes très rurales comme celles des Monts d’Arrée, ou encore dans de petites villes comme Lannion, Douarnenez, Morlaix… L’alliance des écologistes et des autonomistes, associée à la vague de mobilisation pour le climat et la biodiversité, dépasse en grande partie les clivages territoriaux. Ces derniers ne disparaissent pas pour autant ; on a une nouvelle illustration de la traduction électorale de la métropolisation dans l’aire urbaine de Rennes, avec les communes de cœur de métropole, les plus riches, donnant unanimement La République en marche en tête, les communes de deuxième couronne plaçant en tête La République en marche ou EELV-R&PS, et pour celles de la troisième couronne La République en Marche ou le Front national. La métropole nantaise dessine un schéma similaire. Autre révélateur, les communes de l’intérieur ont plus tendance à placer le Front national en tête que celles des côtes, rappelant que l’Argoat souffre d’un fort sentiment de décrochage par rapport à l’Armor. Risque-t-on de voir s’installer en Bretagne un bipartisme décalqué des factures territoriales, les libéraux représentant la Bretagne des villes et des côtes qui se croit bien portante, et l’extrême-droite la Bretagne des périphéries éloignées et des campagnes intérieures qui se croit en déclin ? Les municipales corrigeront sans doute ce tableau simpliste, mais le risque est réel. Au vu de la répartition des résultats, les écologistes et les autonomistes semblent les mieux placés pour construire un autre récit territorial fondé sur la solidarité régionale et la coopération, unissant dans une même aspiration à un monde vivable les votes des campagnes et des villes, des côtes et de l’intérieur.
Au vu de la nouvelle situation politique, on se demande aussi quels choix stratégiques seront faits aux élections municipales. Les majorités de gauche sont souvent dominées par le PS, qui reste le parti de gauche le mieux implanté en nombre d’élus malgré son effondrement en voix. Les équipes en place choisiront-elles de se renouveler en donnant plus de visibilité à l’écologie et au fédéralisme, ou tenteront-elles de jouer sur la prime au sortant en se contentant de changements cosmétiques ? Les cohabitations En Marche – PS se poursuivront-elles ? Au vu de ses résultats la plaçant très souvent en deuxième position et en première position à gauche, la coalition EELV-R&PS peut espérer de nombreuses victoires aux élections municipales, si elle sait présenter et former de nombreux candidats tout en continuant à fédérer.