Thomas Piketty avait déjà démontré dans Le Capital au 21ème siècle que les inégalités de patrimoine sont en train de remonter vers le niveau qui était le leur au XIXème siècle, avant les chocs et les politiques redistributives du XXème. Dans ce petit ouvrage, les auteurs Clément Carbonnier et Nathalie Morel nous invitent à nous demander si la domesticité n’est pas en train de se reconstituer… aux frais de l’État.
Les évolutions économiques (automatisation notamment) suppriment des emplois intermédiaire en terme de qualification et de revenus, mais poussent à la création de nouveaux emplois plus qualifiés et mieux payés et, à l’autre bout de la chaîne, de plus d’emplois peu qualifiés et peu payés. Cette évolution serait bloquée en France et plus généralement en Europe continentale par les dispositifs de protection sociale et par le salaire minimum ou le pouvoir des syndicats (selon les pays) ; d’où un taux de chômage élevé des actifs peu qualifiés. Pour lutter contre ce phénomène, les pouvoirs publics prennent en charge une partie du coût des emplois peu qualifiés: ainsi, en France, des dispositifs d’allègements fiscaux permettent de limiter le coût des « services à la personne », surtout pour les particuliers employeurs. Les auteurs démontrent que ce sont surtout des ménages riches qui profitent de ce dispositif, et qu’ils s’en servent beaucoup pour des prestations de confort ; la prise en charge des personnes dépendantes est en général couverte par des allocations directes et relève donc d’une autre logique.
En résumé, les riches se déchargent de leurs taches domestiques sur des pauvres (femmes à 96 %) et l’État les paye pour cela ! Pour inégalitaire qu’il soit, le dispositif aurait paraît-il la vertu de réduire le chômage… ce que démentent les auteurs en épluchant les statistiques : peu d’emplois sont créés par les dispositifs d’allègement fiscaux car les employeurs sont pour la plupart assez riches pour embaucher des aides ménagères, même sans l’allègement fiscal. Quand aux pauvres et aux classes moyennes, ils n’ont de toute manière généralement pas les moyens de se payer ces services, y compris depuis que la réduction fiscale s’est transformée en crédit d’impôt. Par ailleurs, les emplois réellement créés sont de mauvaise qualité: non-qualifiant, déconsidérés, mal payés, ils maintiennent dans la pauvreté plus qu’ils ne permettent d’en sortir. Les employées des particuliers sont les plus mal loties, mais les conditions de travail sont presque toujours difficiles dans les entreprises privées du secteur des services à la personne.
En réduisant les aides fiscales et en affectant les mêmes dépenses à la création de postes dans le secteur de la santé, de l’éducation, de l’aide sociale, les pouvoirs publics pourraient créer directement des emplois plus nombreux, de meilleur qualité, et les orienter vers les besoins véritables (personnes dépendantes, garde d’enfants…) plutôt que vers le confort des plus riches.
La grande majorité des 1,2 millions d’employées du secteur des services à la personne étant des femmes, cette petite révolution dans les politiques publiques aurait aussi le mérite de réduire les inégalités entre femmes et hommes face à l’emploi et au salaire.
Les auteurs détaillent statistiques et argumentaires dans un ouvrage court, de lecture très aisée.
« Le retour des domestiques », Clément Carbonnier, Nathalie Morel, Seuil, 2018, collection La République des idées.