Nil Caouissin : Penser global et agir local, un slogan qui correspond à l’UDB

Le congrès de l’UDB se déroulait samedi et dimanche à Châteaulin. Comme tous les deux ans, les adhérents de l’UDB se réunissaient pour réfléchir à l’avenir du parti et à la meilleure façon de proposer leur projet en Bretagne. Le Peuple breton a interrogé Nil Caouissin, réélu porte-parole dimanche soir.

Le Peuple breton : Comment se porte l’UDB ?

Nil Caouissin : On remarque une certaine stabilité des effectifs, ainsi que des élus au congrès. Les adhérents sont fidèles au rendez-vous et motivé. Nous avons de nombreuses publications à faire connaître : le livre-projet en français et en breton, notre recueil de propositions pour la différenciation, les pistes pour faire face à la hausse du prix du carburant en Bretagne… Comme tous les partis politiques, nous avons des difficultés à recruter et donc à renouveler : beaucoup de sympathisants nous suivent, nous font part de leurs idées, donnent parfois des coups de main utiles… mais une organisation a aussi besoin d’adhérents et de responsables qui s’engagent dans la durée.

On va peut-être vers un modèle politique dans lequel les partis se réduiront à quelques noyaux de responsables très actifs soutenus occasionnellement par de nombreux sympathisants. C’est peut-être un modèle séduisant car il limite l’implication dans les processus de décision et les simplifie, mais je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’un progrès démocratique. Les exemples de la France Insoumise et d’En Marche ne m’inspirent pas confiance. L’existence d’une démocratie interne vivante est importante, ne serait-ce que pour préparer de futurs élus à exercer leurs fonctions de manière démocratique, justement !

Quels étaient les enjeux de ce congrès pour l’UDB ?

S’interroger sur notre stratégie politique bien sûr. La situation n’est plus la même qu’avant 2017, le paysage politique est plus ouvert à gauche, beaucoup de partis et d’individus se posent des questions. C’est le moment d’essayer de faire bouger des lignes. Comment peser dans la recomposition à gauche, tout en faisant face aux politiques de la droite jacobine au pouvoir ? Pour nous, il faut absolument éviter que les collectivités bretonnes ne se couchent et ne s’alignent sur le gouvernement. Cela reviendrait à accepter toutes les évolutions négatives qui menacent la cohésion de la Bretagne : déséquilibres territoriaux, inégalités sociales, désengagement démocratique, pertes de notre patrimoine culturel et environnemental… Nous voulons participer à la construction d’une gauche de terrain plutôt qu’à des accords d’appareils, une gauche résolument écologiste, qui fera de la dévolution de moyens et d’autonomie en Bretagne une de ses priorités. Repartir comme avant 2017 ne nous intéresse pas.

Quels ont été la teneur des débats ?

Ils ont été très variés. La situation de l’Europe inquiète et une partie des débats a été consacrée à l’instrumentalisation de l’immigration par l’extrême-droite. Il faut dire que la gestion de ce dossier par l’État est loin d’être exemplaire, et que de nombreux problèmes liés à l’accueil seraient évités avec un peu de bonne volonté des pouvoirs publics. Les collectivités se retrouvent souvent à pallier l’insuffisance de l’État avec les moyens du bord… L’UDB tiendra une convention au sujet de l’immigration courant 2019, avec des propositions sur la manière dont nous pouvons accueillir au mieux en Bretagne, sans oublier le problème fondamental des causes des migrations. Contrairement aux idées reçues nous pouvons agir sur ces causes, mais le sujet est tellement vaste qu’on peut facilement s’y perdre, d’où l’intérêt d’une journée spécialement consacrée à ce sujet.

La question de l’indépendance du Crédit mutuel Arkéa a également fait débat. Tous s’accordent à dire qu’il est essentiel que des centres de décision économiques restent en Bretagne et s’y développent, avec les emplois qualifiés induits. Mais nous nous inquiétons aussi à juste titre des risques de dérive possibles avec les modifications statutaires : ce qui reste du mutualisme sera-t-il sauvable ? Là encore il faut pointer la responsabilité de l’État qui a contraint à cette évolution, en laissant pour seule autre option l’absorption pure et simple dans un groupe hexagonal. La Bretagne est décidément pénalisée par son incapacité législative. Ceux qui tiennent les manettes à Paris ne sont intéressés ni par les valeurs du mutualisme, ni par un développement économique équilibré du pays.

Une attention particulière a été donnée à la Catalogne et aux prisonniers politiques cette année. L’international reste un secteur important de l’UDB ?

Bien entendu. « Penser global et agir local » est un slogan qui correspond tout à fait à l’UDB. Si on laisse le gouvernement espagnol briser la démocratie en emprisonnant les gens pour leurs convictions politiques, nos propres dirigeants risquent vite d’être tentés de faire la même chose ici… Il faut regarder en face ce qu’est l’Europe aujourd’hui, avec des partis racistes ou ultraconservateurs au pouvoir dans de nombreux pays, avec des pays dits démocratiques qui dérivent au nom de la raison d’État… seule la résistance populaire et la solidarité internationale peuvent faire obstacle à ce glissement progressif vers l’abîme.

Comment pensez-vous aborder les deux prochaines années ? Quels seront les combats prioritaires ?

Dès le lendemain du congrès, nous avons lancé notre campagne sur la hausse du prix du carburant. C’est un révélateur des fractures territoriales grandissantes, et de l’inaction de l’État en matière d’aménagement soutenable du territoire. On ne peut pas pousser les gens à se déplacer toujours plus et leur reprocher « en même temps » de cramer du carburant. Notre message n’est pas qu’il faut continuer à consommer et à polluer, mais bien qu’il faut un changement global, qu’on repense le modèle économique, l’administration, les services, les transports, pour que chacun puisse habiter à proximité de l’emploi et des services. C’est le contraire de la double tendance à l’œuvre aujourd’hui avec le couple métropolisation/périurbanisation qui déconnecte les logements des lieux de travail et des lieux de sociabilité. Comme Skol Vreizh qui se demande « Ou va la Bretagne ? » et tire un constat pessimiste des évolutions en cours, nous pensons qu’il faut un changement profond et rapide en Bretagne, qu’il faut sortir du consensus mou. Je parlais de recomposition de la gauche plus haut ; pour nous, le projet pour la Bretagne sera un test essentiel. Cela commence maintenant.

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]