Ma zad, de Jean-Bernard Pouy

« Ma zad… da dad, e dad, hi zad », ha betek penn ! Ça pourrait sembler aux mantras d’une déclinaison de mutations consonantiques dans une méthode bretonne à la sauce père Denis : « mon père, ton père, etc. » Une étrange litanie de vêpres à grenouiller dans les Zones Humides avec la Bretagne en plus du reste du paysage pour le B de l’acronyme.

Avec son air de pas y toucher, le vieux Pouy nous a encore enfumés jusqu’aux larmes. Avec un héros qui se la raconte et embarque tout le monde dans son rôde moud vie et son toyota déglingué… Ça l’air d’une blague comme d’hab’, un vague polar sur fond d’actu, mais c’est sérieux comme un tangage existe en ciel et juste avant de gerber ses tripes.

Le récit d’un Camille, ben voyons, embringué dans « une » de ces histoires de Zad du côté de la Meurthe avec une mademoiselle. Entre des salopards bétonneurs du BTP sans foi ni loi, arroseurs de politicards véreux et crânes rasés à la botte… et quelques allumés du bulbe ou autres jeunesses hypothéquées par les pompes à phynance, vaguement taupinés d’une poignée black blocs, mais décidés à défendre, becs de canard et ongles sans rubis, des marais à salamandres. Ça va chauffer !
Entre Zavenghem des fumées lacrymogènes et Saint Guénolé des tempêtes, la Suisse du pognon qui dort au chaud et les Landes de Gascogne aux forêts de barricades. On se croirait chez nous. D’ailleurs on y revient souvent : pour Pouy aussi « Bretagne est Univers ». D’ailleurs, en vieux poulpe, il y connaît sa géographie et son petit monde comme une clarinette sur le bout du petit doigt…

Les ingrédients : juste à se baisser et lire Ouestorche ou le Telebramm, récolter les éructantes vomissures nettoyeuses des cols blancs à lunettes cerclées, et autres bas du front de service, pour faire la soupe sans avoir besoin de cracher dedans. Une pincée de bave de crapaud par ci, une grosse louche par là de verbe anarchique truffé de calembredaines, pour nous allonger une ode à la vie à la mort, servie à point nommé. Aux petits oignons ! Le maître queux : le grand JB, le sein des saints du polar nous refait le coup de l’ange Gabriel et ses copains : pourfendeur de dragons robocops et annonciateur de lendemains qui chantent le kan-bale. « Foin des bocks et de la limonade », disait déjà Rambo Arthur en sirotant à 17 ans sous les tilleuls avant de partir trafiquer ses armes à Aden. Pareil : sous des airs goguenards un peu revanchouille, c’est une grand-voile de mots filés entre les lignes, un vent qui souffle dans la plume, siffle des noms de merle moqueur à la Keelt, balaie comme un ouragan la vermine qui ronge l’espoir, martèle des glaives à dépecer la gangrène à fachos, inonde le monde entier d’une bonne parole enfin. Pas une diatribe de faux cul en campagne, mais une parabole digne d’un don qui envoie au lieu de recevoir.

Et pour qui saisit la langue des ploucs et autres bêtes du phare ouest, ce serait pas une vague affaire de papa dans maman, de famille tuyau de poêle fumant aux zobs secs ? « Ma zad », Hon Tad pehini ’zo en neñv…

Au début était le verbe, il paraît, mais là, c’est jusqu’au bout du bout. La dernière page. Dans quelques finisterres…

Jean-Bernard Pouy. Ma zad, romans noirs, Gallimard, 2018

> Jean Boidron

Contributeur. Trilingue breton-français-gallo, professeur de Lettres et de breton dans l’enseignement public à Redon, Jean Boidron est aussi militant syndical, cofondateur de l’association rennaise « Graines de conte » et administrateur de l'Institut culturel de Bretagne. Ancien président de Dastum, il a également été professeur-conseiller au Musée de Bretagne et professeur-associé au Centre de l’imaginaire arthurien. Côté journalisme, Jean Boidron a dirigé la revue Musique bretonne, été chroniqueur pour Trad Magazine et écrit régulièrement pour le magazine Le Peuple breton. Il est l’auteur de Gousperoù ar raned / Les vêpres des grenouilles publié aux éditions Dastum (1992). [Lire ses articles]