L’Union démocratique bretonne présentait son livre-projet ce samedi à Plumelin. Interview de Nil Caouissin, porte-parole du parti, à propos de quelques unes des propositions présentées au public.
Le livre-projet de l’UDB, « S’émanciper, un projet de société vu de Bretagne » tombe en plein dans le débat politique sur l’autonomie de la Corse. Faut-il y voir une volonté d’élargir ce débat à la Bretagne ?
La date était fixée depuis longtemps, mais le hasard fait bien les choses ! Bien sûr, nous souhaitons que le débat ne se limite pas à la Corse mais concerne les institutions française en général. La Bretagne, comme d’autres territoires, a aussi soif d’autonomie et de responsabilité, même si elle ne l’exprime pas de la même manière que la Corse. Sur tous les grands sujets du moment, on voit que l’État central ne règle pas les problèmes qui se posent à la Bretagne. La fracture territoriale ne peut pas être réglée par des ministères qui voient Rennes et Nantes comme une périphérie intégrée et la Bretagne occidentale comme une périphérie plus lointaine encore. On a besoin d’un investissement fort dans ce qui peut faire la force de la Bretagne : son réseau associatif, ses projets locaux, sa culture, ses gisements d’énergies propres et renouvelables… L’État est fort, mais il est trop loin. La région est à la bonne échelle, mise à part l’anomalie que constitue la séparation du pays nantais du reste de la Bretagne… mais la région est trop faible. Une partie des propositions de se livre vise à mettre le pied dans la porte en lançant dans le débat politique des propositions ambitieuses d’expérimentations en Bretagne, sur des sujets sociaux, économiques, culturels. Pour étendre le débat à la Bretagne il faut partir de besoins identifiés. Loïc Chesnais-Girard a annoncé vouloir travailler sur la différenciation, cela tombe bien, nous avons des choses à dires !
L’UDB remet en avant la demande d’une co-officialité de la langue bretonne. On sait qu’il faudrait modifier la Constitution pour cela. Est-ce vraiment réaliste au moment où Macron ferme la porte à la co-officialité en Corse ?
Bien sûr, une modification de la Constitution est nécessaire car elle ne donne aujourd’hui de valeur officielle qu’au français. On en voit les conséquences, jusqu’à l’absurde, dans l’interdiction de donner le nom de Fañch a un enfant sous prétexte que le tilde n’est pas reconnu comme un des signes utilisés en français. Mais on ne peut pas se contenter d’attendre qu’un Président de bonne volonté accepte que la Constitution soit modifiée… Je crois beaucoup à la co-officialité de fait. Des pouvoirs publics résolus peuvent mener une politique de co-officialité systématique et affronter pied-à-pied chaque obstacle juridique. La plupart des ingrédients d’une telle politique existent déjà et sont bien acceptés par la grande majorité des habitant-e-s de la Bretagne : classes bilingues ou immersives, panneaux de rue bilingues, annonces bilingues comme dans le téléphérique de Brest, recrutement de personnels brittophones par des collectivités, formations en breton pour les agents de la fonction publique… qui s’y oppose aujourd’hui ? Ce que nous proposons, c’est de systématiser toutes ces expériences positives et de construire en Bretagne une co-officialité que l’État devra bien finir par reconnaître. Le droit à l’expérimentation pourra aussi être un levier. Nous pourrions expérimenter l’enseignement immersif dans l’Éducation nationale… ou mettre en place un statut public régional pour Diwan, garantissant son financement sans remettre en cause son autonomie.
Gael Briand (à gauche) et Nil Caouissin (à droite) présentaient le livre de l’UDB, ce samedi à Plumelin
On oppose souvent aux défenseurs de la langue bretonne le fait qu’il y aurait d’autres priorités…
Bien sûr qu’il y en a d’autres. Mais est-ce une raison pour les opposer ? Est-ce qu’on va renoncer à une politique linguistique parce que l’éducation et la santé, c’est important ? Ça n’a pas de sens. Le projet de l’UDB a une cohérence à travers ses différentes entrées thématiques. L’expérimentation et le droit à la différentiation que nous voulons utiliser pour la langue bretonne ont évidemment aussi un intérêt dans d’autres domaines. Prenons la Sécurité sociale. On ne cesse de la rogner, de remettre en cause son modèle qui est financièrement déficitaire, de préparer le terrain pour la relève des assurances privées… Pourtant, nous avons sous les yeux un modèle très efficace, celui de l’Alsace-Moselle : le Régime local d’assurance-maladie y est à la fois plus généreux, plus solidaire et financièrement équilibré. L’État n’a pas voulu le généraliser, pour des raisons difficiles à comprendre si ce n’est le poids des lobbies. Ce que propose l’UDB, c’est de l’expérimenter en Bretagne. Cela ne demanderait pas de bouleverser le système : tout en gardant le régime général, il suffirait d’ajouter une « tranche » supplémentaire de sécu, exactement comme en Alsace-Moselle. Cela mériterait au moins qu’on essaie. Aujourd’hui, nos élus n’en parlent même pas alors que la Sécurité sociale est un sujet de débat politique récurrent. Il faut apprendre à penser en dehors des moules préfabriqués qui stérilisent le débat politique.
Sécurité sociale, politique linguistique… Y a-t-il d’autres domaines dans lesquels l’UDB propose une expérimentation régionale ?
Oui, pour la politique énergétique par exemple. La France a encore repoussé son objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité, et le rythme de progression es énergies renouvelables est trop faible pour répondre à temps aux enjeux du changement climatique et de la raréfaction des énergies fossiles. Nos voisins européens sont souvent plus ambitieux et efficaces en la matière : ils ont sur la France le gros avantage d’être décentralisés… et leurs gouvernements ne sont pas pieds et poings liés au lobby du nucléaire, bien incrusté dans les rouages de l’État français. Si ça ne bouge pas au centre, il faut agir chez nous. L’UDB propose la création d’une régie régionale de l’énergie, dotée d’un budget et dont l’action serait facilitée par des adaptations réglementaires, pour investir directement dans la transition énergétique. Il y a notamment un gros enjeux dans les projets citoyens : quand un projet de développement d’énergies renouvelables est porté par des habitants du territoire, il génère beaucoup plus d’emploi local et est bien sûr plus facilement accepté. L’échelle régionale est plus adaptée que l’échelle hexagonale pour soutenir ce type de projets. Ce n’est pas anecdotique. En Allemagne, et plus encore au Danemark, une grande partie de la puissance installée en renouvelable vient de projets citoyens. Le pouvoir régional, loin d’une réplique miniature du jacobinisme, doit être un accélérateur, amplificateur et fédérateur des dynamiques locales.
Au-delà de l’expérimentation régionale, le titre annonce « Un projet de société vu de Bretagne ». Pourquoi pas plus simplement « un projet pour la Bretagne » ?
C’est un projet de société, il aborde donc différentes échelles, différentes thématiques, différentes temporalités. Certaines propositions, inspirées d’exemples européens, pourraient être mises en œuvre dans l’ensemble de la France. Prenons la participation des salariés à la gestion des entreprises : en Allemagne, les représentants des salariés occupent la moitié des places dans les conseils d’administration des entreprises de plus de 2000 salariés, avec droit de vote et pas simplement voix consultative. Autant dire que leur avis ne peut être ignoré. En plus de mieux défendre leurs droits, ils peuvent ainsi améliorer la gestion de leurs entreprises, qu’ils connaissent mieux que personne car ce sont eux qui les font tourner au quotidien. Une telle mesure ferait un grand bien à la France, qui reproduit souvent dans le privé le management très vertical du secteur public. Tout le monde ou presque a vécu des absurdités sur son lieu de travail, venues de dirigeants qui ne connaissent pas le quotidien d’une entreprise ou d’un service. Avec parfois des pertes d’efficacité considérables… L’autonomie n’a pas seulement son intérêt sur le plan territorial. C’est aussi un plus dans le fonctionnement même de l’économie et de la société.
Le livre “S’émanciper” sera disponible à la vente (5€ hors frais de port) ce lundi 12 février sur le site des Presses populaires de Bretagne