Dans de récentes déclarations, le gouvernement nommé par Emmanuel Macron a répété son opposition à une réforme de la Constitution française qui permettrait de donner à la langue corse ou à toute autre langue dite « régionale » le statut de langue officielle, au côté du français, dans les territoires où ces langues sont historiquement utilisées. De leur côté, les élus qui ont gagné les élections territoriales de décembre en Corse entendent ne rien lâcher sur cet objectif qui s’inscrivait dans leur programme électoral.
Dans un entretien accordé au Figaro et publié le 10 janvier, Gilles Simeoni, le président de l’exécutif de la nouvelle collectivité unique de Corse (née le 1er janvier 2018 de la fusion de l’ancienne collectivité régionale et des deux conseils départementaux de Haute-Corse et de Corse du sud), explique avoir bel et bien pour projet de donner « un statut officiel à la langue corse en Corse ».
Concrètement, qu’est-ce que cela signifie, lui demande Le Figaro ? Gilles Simeoni répond : « Cela passera par le renforcement du corse dans le système éducatif et la généralisation de la langue dans la vie publique et celle de la collectivité. » L’objectif, rapporte Le Figaro, est que les Corses se réapproprient leur langue naturellement sur l’île de Beauté. Et Gilles Simeoni d’ajouter : « On ne veut pas faire de la langue un enjeu de crispation alors qu’il y a un consensus pour donner à la langue les moyens de son développement. » Et Le Figaro de conclure : « Officialisation ou pas, Gilles Simeoni est bien décidé à faire parler le corse couramment sur l’île. »
On saluera la grande intelligence de Gilles Simeoni et de la majorité qui le soutient. En Corse, mettre le corse à parité avec le français dans la vie publique et sociale est un objectif qui est partagé par toutes les sensibilités politiques, sauf le FN et une pseudo « gauche » ultrajacobine… ce qui fait toute la différence avec la situation politique en Bretagne où, à de rares exceptions dans les rangs des partis qui ont leur siège à Paris, cet objectif n’est partagé que les partis politiques bretons et certains courants écologistes.
Bien entendu – et de cela il est parfaitement conscient – Gilles Simeoni ne pourra pas rendre obligatoire l’usage du corse au côté du français dans les services administratifs qui dépendent de l’État en Corse mais il pourra le faire, en revanche, dans les services administratifs qui dépendent désormais de la nouvelle collectivité unique de Corse. Or, ceux-ci sont beaucoup plus présents au contact de la population, dans leur vie quotidienne, que ne le sont ceux qui dépendent du Conseil régional de Bretagne. La visibilité de la langue corse s’en trouvera donc nettement accrue. Où l’on s’aperçoit que l’avenir des langues dites « régionales » est intimement lié à l’obtention d’une autonomie politique, c’est-à-dire d’une réelle capacité à décider pour soi chez soi, ce qu’un certain nombre d’esprits et même de militants favorables à la sauvegarde du breton et du gallo – il faut bien l’admettre – n’ont pas encore compris.
Si d’aventure Paris cherchait à s’opposer aux nouvelles mesures que la collectivité unique de Corse mettra en place sous la houlette de Gilles Simeoni, alors l’État se mettra en porte-à-faux vis-à-vis de l’opinion corse qui vient de valider dans les urnes cet objectif de co-officialité. Dans les deux scenarii possibles, Gilles Simeoni et ses amis seront gagnants : soit Paris laisse faire. Dans cette hypothèse, la majorité qui dirige la Corse depuis deux ans démontrera sa capacité à mettre en œuvre son programme. Soit Paris fait barrage. Dans ce cas, les Corses auront la démonstration qu’il faut aller plus loin dans l’autonomisation politique de la Corse.