Le chômage de masse est aujourd’hui un indicateur de l’absurdité du système économique. Mais plutôt que d’admettre une bonne fois pour toute que le plein emploi est une chimère, que la croissance n’est pas un synonyme d’emplois, les gouvernements successifs s’acharnent à casser le thermomètre afin de démontrer qu’ils agissent. En réalité, la seule façon d’« agir » est de poser la question de la place du travail dans nos vies.
Il est loin le temps où Émile Zola écrivait son ouvrage phare Germinal. Et pourtant, les questions politiques restent les mêmes : à qui bénéficie le produit du travail ? Pendant des décennies, les sociétés ont revendiquées de travailler moins afin, comme on le disait dans les années 70, de « ne pas perdre sa vie à la gagner ». Du Front populaire à Lionel Jospin et Martine Aubry, l’ambition de la gauche était de réduire et de partager le temps de travail. Curieusement, le progrès social qui consistait à partager le temps de travail, la force de travail et le produit du travail semble complètement abandonné depuis les années 2000. Et c’est d’ailleurs surtout à cela que l’on mesure l’effondrement de l’idéologie « de gauche ». Les « 35 heures » ont tellement été traînées dans la boue (jusqu’à la caricature) que même les socialistes en ont honte et qu’aucun ne souhaite continuer ce chemin, fusse au prix de véritables questions de fond à commencer par la façon de les financer. Au lieu de cela, les « socialistes » se sont social-démocratisés, voire tout simplement libéralisés si bien que la réduction du temps de travail n’est plus à leur agenda. L’adaptation au capitalisme est totale. Benoît Hamon en a d’ailleurs fait les frais lors de la présentielle en essayant de relancer ce débat d’une autre manière : en cherchant à déconnecter le revenu du travail.
Quoiqu’il en soit, il suffit de faire un petit exercice pour comprendre qu’il n’y a pas, aujourd’hui de travail pour tous. Sur le site de Pôle Emploi, le 28 décembre, on recense 488000 offres d’emplois en France métropolitaine. En face, on recense 3,45 millions de demandeurs d’emplois. Pour être tout à fait honnêtes, il faudrait dire que toutes les offres d’emplois ne transitent pas par Pôle Emploi, mais aussi que celles qui sont recensées ne correspondent pas forcément à des plein temps. Par ailleurs, on pourrait aussi rappeler que tous les demandeurs d’emplois ne sont pas inscrits à Pôle Emploi : sans compter les nombreux radiés, on sait évidemment que beaucoup ne réclament rien, que d’autres sont noyés dans l’administration et préfèrent se débrouiller par eux-mêmes.
Mais globalement, on mélange deux choses : d’une part les demandeurs d’emplois qui correspondent à la définition du chômeur selon l’Insee à savoir « l’ensemble des personnes de 15 ans et plus, privées d’emploi et en recherchant un » ; d’autre part ce que sont les « chômeurs », c’est-à-dire des individus qui continuent de bénéficier d’une aide du fait qu’ils ont cotisé en travaillant. Le chômage est en effet un système d’assurance dont on oublie qu’il est un droit, un droit payé par chaque travailleur déclaré ! Après une période de chômage, on rentre dans une autre catégorie à savoir des bénéficiaires des minimas sociaux dont la chasse est d’ailleurs aussi abjecte à moins de considérer qu’on peut laisser en marge des millions de personnes dans la cinquième puissance mondiale !
On comprend donc à quel point le rapport du gouvernement révélé par Le Canard enchaîné est ignoble. La chasse aux chômeurs a un relent de mépris de classe et ceux qui estiment qu’une partie de la population est « fainéante » et « ne veut pas travailler » n’ont décidément par compris ce à quoi correspondait un système de « solidarité ». Cet égoïsme permet aux néo-libéraux de s’y attaquer, lentement mais sûrement.
Dans ce rapport, Le Canard enchaîné fait état d’une volonté de durcissement des sanctions contre les demandeurs d’emploi en cas de refus d’offre d’emploi jugée « raisonnable », d’une obligation de remplir un « rapport d’activité » mensuel rendant compte de toutes les démarches effectuées, les comptes-rendus jugés insuffisants pouvant justifier une baisse des allocations… Pour l’UDB, cela ressemble à « une nouvelle entreprise de stigmatisation, de culpabilisation et de flicage des chômeurs ». Et le parti de comparer l’ère Macron à « la grande époque du sarkozysme » ! « A-t-on calculé combien d’heures seraient perdues par les demandeurs d’emplois pour remplir la paperasse supplémentaire qu’on leur demanderait, et surtout combien d’heures de travail seraient perdues par les agents de Pôle emploi pour lire et évaluer les rapports en question ? Autant d’heures qui ne seront pas utilisées pour traiter dans des délais raisonnables les dossiers de demande d’indemnisation ou pour appuyer les recherches d’emploi. Voilà une bien coûteuse manière de faire des économies ! » rajoute Nil Caouissin, porte-parole de l’UDB.
Les vieilles habitudes du « monde d’avant » reviennent au galop quand il s’agit de faire baisser artificiellement les chiffres du chômage ! L’Union démocratique bretonne appelle « les députés dotés d’un minimum de conscience sociale » à s’opposer dès maintenant à de telles orientations.