En France, l’État est vu comme protecteur mais face à la question climatique l’État, et donc les États en tant qu’organisations, sont incapables de proposer des solutions. La COP 23 en est une preuve de plus. L’État-nation qui se prétend souverain nous tient bien au chaud.
Mais nous ne sommes pas des poussins que la poule doit garder au chaud, nous avons besoin de fraîcheur et d’oxygène. Nous allons étouffer !
Le discours d’Emmanuel Macron devant l’Association des Maires de France a été un tournant. Finies les déclarations dites girondines ! Les choses sont désormais claires. La carte des territoires ne changera pas et la déconcentration des pouvoirs sera la clé. On donnera plus de pouvoirs à l’administration d’État sur les territoires et l’État « accompagnera » les collectivités dans leur travail ! Tout a été dit. Accompagner, est le mot qui ne laisse aucune ambiguïté. Il n’y aura pas de pouvoir supplémentaire pour les communes et les autres collectivités. Nous sommes revenus à la grande farce de la déconcentration.
Pour ce qui est de la fiscalité, le président de la République a fait, comme l’on dit, l’âne pour avoir du son. Il a fait semblant de croire que ceux qui protestent contre la suppression de la taxe d’habitation sont favorables au maintien, en l’état, de cet impôt injuste.
Il est bien évident qu’il faut le réformer mais la solution n’est pas de donner à l’État le pouvoir de décider la suppression d’un impôt local et de le remplacer par une dotation distribuée ensuite aux communes. Pourtant c’est ainsi que cela fonctionne dans la tête d’Emmanuel Macron. C’est un centraliste et nous savons ce qu’il en sera des dotations dans les années qui viennent.
Si j’aborde cette question et si, une fois de plus, je dis que le centralisme nous tue peu à peu, c’est aussi en raison de questions qui vont bien au delà de la taxe d’habitation et qui concernent l’avenir de la planète.
Ce centralisme étatique n’est rien d’autre qu’une technique, au sens où l’entend Jacques Ellul (1), utilisée par quelques gouvernements pour gérer leurs territoires. Cette technique est aujourd’hui dépassée, incapable de répondre au péril qui menace l’humanité à savoir le réchauffement climatique. Il est temps de changer de technique de gouvernement si nous ne voulons pas mourir de chaleur.
Le centralisme est inadapté pour résoudre la question climatique
La technique de l’organisation du monde en États, qui se prétendent souverains, risque bien de nous tuer. Il suffit de voir les résultats désespérants des fameuses réunions sur le climat — et particulièrement de la dernière, la COP 23 — pour s’en convaincre. On nous avait vanté les merveilleuses conclusions de la COP 21 de Paris. Nous en avons touché les limites et nous en voyons les dangers. Je prends le risque de radoter, mais je rappelle que déjà Denis de Rougemont disait en 1977 (2) que le système de l’État-nation centralisé n’était pas adapté à la résolution de la question écologique et que seuls les États fédéraux étaient en capacité de trouver rapidement des réponses adaptées. La rapidité, la souplesse sont les clés en ce domaine, surtout quand on se trouve face à l’urgence.
Je pourrais prendre l’exemple des États-Unis qui, bien qu’ayant un président particulièrement borné sur ces questions, ont la chance d’avoir des pouvoirs locaux bien plus puissants que les nôtres. Ces derniers sont ceux qui vont sans aucun doute limiter les conséquences de la prise de position de ce président aux opinions si contraires à l’évidence scientifique et climatique.
Et je trouve ironique que même Emmanuel Macron ait parlé dans son discours à la COP 23 de la prochaine étape (une conférence à Paris) qui sera selon lui l’occasion de mesurer comment les collectivités (villes et autres territoires) aux États-Unis compenseront le désengagement fédéral annoncé par Trump. « Notre objectif collectif pour le 12 décembre est que les villes et entreprises américaines engagées réussissent à compenser le manque financier créé par l’actuelle administration américaine » disait le président de la République française. C’est bien la preuve que, clairement dans cette affaire, il faut se réjouir que les États-Unis soient un État fédéral. Parce qu’il est évident que les initiatives qui sont prises sur le terrain continueront, avec ou sans l’accord de Trump. Les villes par exemple agiront, que Trump le veuille ou non. Et c’est tant mieux ! Mais que penser de cette déclaration dans la bouche d’un président de la République qui décide que les collectivités territoriales verront leurs moyens réduits encore pour les cinq années à venir ?
Les collectivités au régime sec !
De laisser croire à l’opinion publique que les États peuvent résoudre la crise climatique est ridicule. Nous savons maintenant que ce sont eux qui empêchent d’avancer. Comment plus de 180 entités qui ont pour seule et unique justification de leur existence l’affirmation de leur souveraineté sur un morceau de la planète peuvent-elles arriver à un consensus ? Comment plus de 180 entités qui considèrent qu’elles n’ont de comptes à rendre qu’à la population de leur territoire peuvent-elles se mettre d’accord sur une affaire qui est d’envergure planétaire ? Pensez-vous vraiment que ces entités soient capables d’abandonner l’essence même de leur existence — la concurrence avec les autres — pour régler la question du réchauffement climatique ?
Les États sont incapables de régler cette question d’une autre façon que par le conflit et par sa forme la plus extrême à savoir la guerre. Pour le moment nous en sommes à la démagogie qui consiste à dire que l’on fera beaucoup tout en sachant que l’on se réfugiera derrière l’argument que les autres en font moins le jour où il faudra agir vraiment. Nous nous trouvons avec cet exercice entre le concours de beauté et la dispute dans une cour d’école maternelle, pour ce qui est du niveau de l’argumentation.
Évidemment ces grandes messes que sont les COP donnent l’illusion d’un monde sans frontières, d’un monde où les peuples parlent, dialoguent en vue de trouver des solutions. Mais c’est une illusion. Le dialogue mis en images par les médias nous fait croire à une mondialisation de la prise de conscience alors que ce n’est qu’un théâtre où chacun des États cherche à préserver ses intérêts.
Chez nous la mode est de mettre les collectivités au pain sec et à l’eau. Les économies qu’elles devront faire freineront d’abord les initiatives qu’elles voudraient prendre en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Si vous ajoutez que nos collectivités n’ont que de maigres pouvoirs vous comprenez que la seule vraie politique climatique devrait venir de l’État. C’est en tous cas ce qui est attendu. Depuis Paris on veut tout contrôler et si j’osais l’humour je dirais que le centre veut faire la pluie et le beau temps.
Les collectivités les plus audacieuses seront « accompagnées » par l’État qui évidemment ne manquera pas de justifier son existence par un accompagnement qui sera en réalité un contrôle et une façon d’uniformiser et de normer les projets. La France ne supporte pas la diversité des initiatives parce qu’elles y sont considérées comme des disparités et très vite comme des inégalités. Cette conception de l’égalité nous obligera peut-être un jour à faire une loi pour que le soleil brille de façon uniforme sur tout l’hexagone et pour que la pluie tombe durant autant de jours par an à Lille, Toulouse ou Lyon !
Actions et initiatives locales
Pourtant les initiatives les plus importantes et surtout les plus efficaces contre le réchauffement climatique sont celles qui sont prises au niveau local. C’est une évidence. Même Emmanuel Macron fait de cette évidence un rempart contre les décisions de Trump.
C’est vrai aussi chez nous malgré la maigreur des budgets et des pouvoirs de nos collectivités. Nous connaissons tous les initiatives prises en matière de transports, d’eau, d’énergie par telle ou telle commune, communauté de communes ou région. Ce sont des initiatives qui naissent de la volonté de citoyens, d’élus, d’associations qui veulent faire des choses concrètes. La prise de conscience sur le recyclage des déchets, les économies d’énergie par exemple se fait par dessus la tête des responsables du pouvoir d’État. Les communes qui prennent la décision de ne plus employer des produits phytosanitaires n’ont pas attendu de voir que les États sont en grande difficulté à l’heure où il faut s’opposer aux grands groupes industriels ou lorsqu’il faut résister aux pressions du complexe alimentaro-industriel, comme nous en avons eu l’illustration il y a peu.
Mais chez nous les freins vont au delà de la question budgétaire parce qu’il y a aussi les entraves législatives, l’impossibilité pour les régions par exemple de disposer d’un pouvoir réglementaire et législatif. Par exemple, pourquoi n’avons nous pas encore un système de taxe-carbone sur le transport routier, pour les camions qui traversent l’Europe ? On pourrait avoir une taxe décidée et perçue par les régions qui le souhaitent ? L’État a été incapable de penser un système efficace et pertinent. Et donc en attendant la pollution continue.
Les grandes déclarations annoncées (ou pas) dans les grandes messes n’ont pas beaucoup de retombées concrètes. Nous pouvons dire qu’elles ont d’ailleurs autant d’efficacité que les analyses macroéconomiques en ont sur la situation de chômeur de mon voisin ! Je vous conseille en ce domaine, si vous voulez des arguments supplémentaires, la lecture du livre de Antonin Pottier (2) qui explique comment les modèles économiques d’aujourd’hui nous mènent à la catastrophe et entravent l’action contre le changement climatique. Les modèles économiques qui sont au cœur des décisions des États ne peuvent rien pour le climat. L’auteur cité dénonce dans son livre le fait que le changement climatique est analysé comme on analyse un marché, comme s’il s’agissait d’une nouvelle opportunité économique.
Tuer l’imagination
Nous savons que les solutions se trouvent au niveau de la terre ferme, de nos pieds. Malheureusement en France c’est un niveau qui n’a pas de pouvoirs et qui aura de moins en moins de moyens économiques, donc de moins en moins de capacité d’innovation et d’imagination. Déjà notre système politique a créé une classe politique locale très dépendante du pouvoir central. Maintenant arrive « l’accompagnement » par l’État qui rassure tant d’élus locaux mais qui tue l’imagination et la diversité des réponses aux problèmes.
Prenez la question des transports — pardon, il faut dire « mobilité » aujourd’hui parce que transports ça fait un peu vieux et lourd — une bonne partie du discours sur la mobilité est tourné aujourd’hui vers la voiture électrique. Et l’État pèse de tout son poids sur ce choix. C’est d’abord la solution qui vise à sauver la civilisation de l’automobile et donc l’industrie qui va avec. Mais qui peut croire que ce sera la solution pour régler la question du climat ? Cela fait apparaître effectivement la question climatique comme une nouvelle opportunité économique, un nouveau marché. Et alors tout est en ordre et conforme aux analyses économiques dominantes ; et en plus on peut parler de « mobilité verte ». Mais que sera l’avenir quand les guerres du pétrole seront remplacées par la guerre du lithium et autres métaux indispensables à la fabrication des batteries ? Comment seront traités les enfants qui travaillent dans les mines en Afrique où l’on extrait le cobalt nécessaire aux voitures électriques ?
Vient enfin s’ajouter à cette incapacité des États et des agents économiques de niveau mondial à résoudre la crise, le soutien de quelques commentateurs dans les médias qui accusent les scientifiques de tétaniser et de culpabiliser les opinions publiques parce qu’ils affirment que la catastrophe est imminente et que nous avons déjà trop attendu pour agir avec efficacité. Sur le terrain les opinions publiques sont plutôt favorables à une action rapide et déterminée. S’il y a un danger ce n’est pas la tétanisation des opinions publiques et leur démobilisation mais de laisser croire que les États sont les seuls à pouvoir résoudre la question climatique. Ce discours est démobilisateur, surtout quand on voit les maigres résultats des messes climatiques où les chefs d’États viennent faire un tour de piste afin d’affirmer qu’ils sont disposés à faire plus… la prochaine fois.
Le fédéralisme est certainement une partie de la solution. Alors reprenons l’idée que l’avenir est notre affaire. Et finalement n’ayons pas peur de dire « governem nos ! » (gouvernons-nous) si nous voulons avoir un peu de fraîcheur.
(1) Jacques Ellul parle de technique et non pas de technologie, évidemment. Les deux mots ont tendance à être confondus maintenant que nous sommes dans le culte de la technologie comme solution à tous les maux. Jacques Ellul « Le système technicien », Calmann-Levy 1977
(2) Denis de Rougemont « L’avenir est notre affaire », Stock 1977
(3) Antonin Pottier « Comment les économistes réchauffent le climat », Seuil 2016