Emmanuel Macron en Afrique : néocolonialisme ou changement de cap ?

Le Burkina Faso a renoué avec des élection libres depuis les révoltes de 2014, à l’origine du renversement de Blaise Compaoré, après vingt sept années de règne absolu. Blaise Compaoré avait accédé au pouvoir à la suite de l’assassinat de Thomas Sankara en octobre 1987. Leader charismatique du Burkina Faso, Thomas Sankara, jouit toujours, trente ans après son assassinat, d’une immense popularité auprès de la jeunesse burkinabé qui reproche à la France une possible implication dans son assassinat. C’est par le Burkina Faso qu’Emmanuel Macron a débuté, ce mardi 28 novembre, sa tournée africaine.

Celle-ci a commencé par un discours fleuve d’une heure et demi sur l’Afrique, prononcé devant huit cents étudiants de l’université de Ouagadougou, soigneusement triés sur le volet. Contrairement à Nicolas Sarkozy qui proclamait lors de son discours prononcé à l’Université Cheikh Anta Diop à Dakar le 26 juillet 2007 que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire » et déclenchait un énorme scandale, ainsi qu’une vive réaction collective de nombreux intellectuels africains (lire à ce propos L’Afrique répond à Sarkozy, contre le discours de Dakar. Ouvrage collectif sous la direction de Mahily Gassama), Emmanuel Macron a su jouer la carte « nouvelle génération », prétextant n’avoir pas connu l’époque coloniale. Dans la foulée, il affirmait – juré craché – que la page de la Françafrique était désormais tournée.

Mais très vite passée une succession de bonnes intentions, Emmanuel Macron reconnaît que « les crimes de la colonisation européenne sont incontestables » et prend bien soin de préciser que « notre responsabilité n’est pas de s’enferrer dans le passé ». Hélas, trois fois hélas, c’est trop vite effacer la triste réalité de nombreux régimes autoritaires honnis par cette jeunesse africaine tels Idriss Deby au Tchad, Mahamadou Issoufo au Niger où le très corrompu Ibrahim Boubacar KeÏta au Mali etc., tous grands « amis » et protégés de la France.

Occultés également les pratiques néocoloniales de grand groupes français dans le pré-carré de l’Afrique francophone à l’exemple du groupe Bolloré qui gère 16 concessions portuaires, principalement en Afrique de l’Ouest, actuellement dans le viseur des juges français qui se demandent si le groupe du milliardaire n’a pas utilisé son bras publicitaire Havas pour faciliter l’obtention de la gestion des ports de Conakry en Guinée et de Lomé au Togo. Le même groupe Havas, agence de communication, propriété de Vincent Bolloré, dirigé par Stéphane Fooks, devenu avec nombre de ses « communicants » un des premiers soutien du candidat Macron.

Pourtant ce que nous retiendrons de ce discours du président français, c’est son appel à défendre la francophonie qui, pour de nombreux intellectuels africains, est un important vecteur du néocolonialisme français en Afrique. Or, le quotidien Ouest-France du mardi 28 novembre nous apprend, une fois n’est pas coutume, à propos du passage du Président français au Burkina Faso, que « moins de 3 % des petits (Burkinabés) allaient à l’école entre 2015 et 2016 » avant l’âge de 6 ans et évoque le manque d’écoles d’enseignants. Il cite le président de l’association Initiative Communautaire Changer la Vie (ICCV), Simon Nacoulma, qui nous précise que « la langue officielle du pays est le français » (la seule). Or, ajoute-t-il, « les enfants quand ils ne sont pas scolarisés avant 6 ans, parlent surtout le mooré, le peul et le dioula (les trois principales langues du Burkina Faso) et ne comprennent pas le français ».

Mais la seule solution envisagée par une ONG religieuse, présentée comme coulant de source, reste le recours à l’Agence française de développement, pour améliorer la scolarisation précoce des enfants Burkinabés, dans la seule langue française, en rejetant les langues maternelles des enfants du Burkina Faso hors de l’école, comme au « temps béni » de l’époque coloniale. Emmanuel Macron a pourtant proclamé « qu’il n’y a plus de politique africaine de la France ». À voir !

Une prochaine étape de la tournée africaine d’Emmanuel Macron sera le Ghana, pays anglophone, considéré comme un exemple de démocratie en Afrique, pays enclavé entre la Côte d’Ivoire et le Togo. Ce pays de plus de 22 millions d’habitants (2005) est caractérisé, comme la plupart des États africains, par le pluralisme ethnique et linguistique. Les langues ghanéennes sont représentées par deux sous-groupes linguistiques importants : le groupe kwa et le groupe gour. Toutes ces ethnies parlent leur langue propre dont la compréhension est généralement aisées, du moins entre les locuteurs d’un même sous-groupe. La langue officielle est l’anglais. Neuf langues nationales sont aussi reconnues et enseignées. 64,5 % de la population Ghanéenne de 15 ans et plus sait lire et écrire l’anglais et 52,9 % une des langues ghanéennes. Un exemple caractéristique, aujourd’hui, du sort des langues nationales africaines entre les anciennes colonies anglo-saxonnes et françaises.

En 1977, l’écrivain kenyan Nguguiwa Thiong’o a commencé à écrire dans sa langue maternelle, le Kikuyu, et son propos sur l’importance de l’acte d’écriture des peuples d’Afrique dans leurs langues maternelles, souligne mieux que tout autre discours – fusse-t-il du « jeune » président français – le fossé qui existe toujours entre les élites politiques françaises et l’altérité africaine. Pour Nguguiwa Thiong’o, « le fait d’écrire, en langue kikuyu, une langue du Kenya, une langue africaine, participe intégralement aux luttes anti-impérialistes des peuples africains et kenyans. Dans les écoles et les universités, nos langues kenyanes – celles des diverses nationalités qui composent le Kenya – ont été associées à des attributs négatifs : arriération, sous-développement, misère. Nous qui avons suivi ce système scolaire, étions censés en sortir avec la haine du peuple, de la culture et des valeurs de la langue qui nous valait brimades et humiliations quotidiennes. Je ne veux pas voir les enfants du Kenya grandir dans cette tradition, imposée par l’impérialisme, de mépris pour les instruments de communication forgés par leurs communautés et leur histoire. Je veux qu’ils surmontent l’aliénation coloniale ». Un propos qui nous rappellera, à nous Bretons, un passé très proche et en fait toujours d’actualité.

En guise de conclusion et en contre-point du discours d’Emmanuel Macron, le mieux est de donner la parole à Achille Mbembe, l’un des plus brillants intellectuels africains. Né au Cameroun il enseigne aujourd’hui en Afrique du Sud. Il a été en 2016 l’initiateur de la première édition des Ateliers de la pensée, réunissant à Dakar et à Saint Louis au Sénégal une trentaine d’intellectuels de la diaspora africaine pour réfléchir sur le « présent et les devenirs d’une Afrique au cœur des transformations du monde contemporain ». Pour lui, en ce début de siècle, « l’Afrique apparaît comme l’un des théâtres principaux où se jouera l’avenir de la planète ». Espérons qu’il en sera ainsi pour le bien des peuples d’Afrique et pour notre planète.

> Youenn Le Lay

Militant UDB de Brest.