Quand le gouvernement vend les meubles au privé

Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances.

Parmi la flopée de mesures tombant sur la tête des français depuis le début de l’été, certaines peuvent servir à en masquer d’autres. Ainsi, les privatisations à la chaîne des actifs de l’État font triste mine médiatique par rapport aux contrats aidés ou aux 5 € Euros d’APL. Et pourtant, ce qui passe pratiquement inaperçu n’est ni plus ni moins qu’un dépeçage minutieux.

Éducation, santé, transport, énergies, tous ces secteurs vitaux pour une société correctement huilée semblent mis à mal par les nouvelles mesures. L’arme de destruction massive utilisée : la privatisation.

En tant que Ministre de l’économie, Macron avait déjà sévit en revendant les aéroports de Nice et Lyon ou en cédant les 14 % des participations de l’État dans Peugeot, en liquidant également d’autres parts détenues dans Safran, ou en commençant à délester l’État de ses participations dans Engie et Orange, toujours sur la sellette pour ce qu’il en reste.

Pour illustrer ce que nous pouvons craindre de la « méthode Macron », rappelons-nous l’épisode de la vente de l’aéroport de Toulouse-Blagnac à des investisseurs chinois. Alors que le Ministre avait affirmé que l’État garderait la majorité des parts, c’est bien le fond d’investissement chinois qui est devenu majoritaire et dont la première action avait été de se servir sur les caisses de l’aéroport pour rémunérer ses actionnaires à hauteur de 7,5 millions d’euros. Ce cas fit scandale à l’époque, et comme tant d’autres, fut glissé sous le tapis puis oublié.

Depuis plusieurs mandats déjà, les privatisations s’enchaînent à rythme soutenu. Depuis Mitterrand et Chirac, tous les gouvernements successifs n’ont cessé de vendre le patrimoine avec l’arsenal classique de bonnes raisons : « gouffre financier », « meilleure gestion par les entreprises privées », « autre préoccupation de l’État »… Et cela donne effectivement de très bons résultats, surtout pour les entreprises qui rachètent !

Côté citoyen, le bilan est plus que mitigé. À l’image des autoroutes dont, à la base, le fameux péage n’était que temporaire afin d’amortir la construction. Privatisées sous l’ère Villepin à Vinci et Eiffage, au moment où elles devenaient rentables, on peut remarquer que non seulement le péage n’a pas disparu, mais a explosé de 22 % en 10 ans. Ce qui a largement renfloué les 15 milliards payés à l’époque. Sans compter les multiples scandales qui entourent les autoroutes françaises : rénovations et constructions payées par les contribuables aux mêmes entreprises qui possèdent ces autoroutes. Cet exemple des autoroutes n’en est qu’un parmi des dizaines d’autres et un bon exemple de ce qui nous attend avec cette nouvelle vague totalement assumée. Ce cas de figure pourrait être cité pour bien d’autres privatisations passées : Suez, Paribas, Société Générale, TF1, Havas, Alstom, France Télécom, etc.

Le 2 septembre dernier, Bruno Le Maire présente comme objectif de récupérer 10 milliards à travers de nouvelles privatisations des biens de l’État dans le but de « financer un fond de l’innovation ». Rapide petite liste de ce qui nous attend :

– DCNS (renommé depuis cette année « Naval Group »), groupe technologique de haute défense. Un secteur très sensible donc. Le projet de rapprochement avec l’entreprise italienne Fincantieri (qui elle est bel et bien dirigée par l’État italien) ferait descendre le capital de l’État français de 63 à 50 %. À cela se rajoute Thales dont l’État lorgne sur les bénéfices qu’il pourrait retirer de la vente d’une partie de ses 26 % alors que, comme le désormais « Naval group », il s’agit d’une entreprise stratégique.

– La très lucrative Française des jeux (14,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2016) dont l’État détient 72 %. Macron avait déjà tenté d’en privatiser une partie lorsqu’il était Ministre mais avait été stoppé dans son élan par le secrétaire d’État au budget de l’époque, Christian Eckert. N’ayant plus d’obstacles devant lui, Macron met à nouveau le projet sur le tapis alors que cela représenterait la perte d’au moins 130 millions d’euros de dividendes par an.

– Orange est également dans le viseur avec la perspective de vendre 3 % des 23 % possédés.

– Alstom, entreprise qui peine à se renouveler devrait également passer à la trappe.

– Les 1.1 % de « CNP Assurances ».

– Engie pourrait rapporter 1.4 milliards.

Sans oublier EDF, Areva, Airbus, Renault, PSA, Air France, La Poste, Dexia, France Télévisions, Radio France, Arte, possibles candidats au déboulonnage. Pour terminer cette liste (temporaire), la cerise sur le gâteau : Les aéroports de Paris. Rien d’officiel pour le moment mais de nombreux regards et intérêts commencent à lorgner du côté des 7 milliards que pourraient rapporter la vente des 50.6 % de parts de l’État.

Plus que de simplement s’offusquer de voir le patrimoine public vendu pour du cash immédiat, c’est de la vision à court terme de nos dirigeants dont nous devons nous inquiéter. Venant du monde de la finance, un monde où l’argent doit circuler plus vite que la lumière, où rien ne compte que ce qu’il y a dans le portefeuille au moment X, cette stratégie du gouvernement actuel ne semble pas étonnante. Sauf qu’un État n’est pas une entreprise du CAC 40

Si l’objectif affiché, investir dans l’innovation, semble louable et que personne ne se risquerait à être en désapprobation avec cette logique, cela signifie-t-il que nous devons sacrifier les biens publics au risque de voir se multiplier les abus ? Cela ne risquerait-il pas d’handicaper les possibles innovations futures recherchées ?

Alors admettons la logique qui voudrait que l’État français « gère mal ». Pourquoi, dans ce cas, ne pas délocaliser ces problématiques à un niveau régional ? Certains services pourraient tout à fait être régionalisés ce qui leur permettraient de rester « publics » plutôt que d’être vendus à des opérateurs privés dont le seul objectif est le profit. N’oublions pas ce que signifie trop souvent une privatisation pour les travailleurs : licenciements en chaîne, recherche absolue de la compétitivité même si cela est au détriment de la qualité de travail, augmentation des cadences…

> Jean-Christophe Cordaillat-Dallara

Jean-Christophe Cordaillat-Dallara est un militant de l’UDB.