
Il y avait à l’ordre du jour de l’assemblée nationale, le 8 décembre dernier, le vote d’une résolution « encourageant le Gouvernement français à agir dans le sens des conclusions de la H.A.S » (Haute Autorité de Santé)[1]. Cette résolution concernant la pratique clinique avec les personnes autistes était proposée par les députés Daniel Fasquelle et Gwendal Rouillard et soutenue par une centaine de députés. Cette résolution s’inscrirait selon eux en cohérence avec la loi pour l’égalité des droits et des chances (« loi Chossy » de 2005)[2]. L’ensemble des arguments avancés par le groupe de Daniel Fasquelle et Gwendal Rouillard, avait pour objectif d’interdire la pratique de la psychanalyse dans l’accompagnement des autistes. Toutefois l’opposition d’un certain nombre de députés, probablement réveillés par la mobilisation importante des praticiens, des professeurs d’université, et des médecins, n’a pas permis l’adoption de cette proposition. L’objectif principal de cette proposition était d’interdire toutes pratiques qui ne répondraient pas aux « recommandations » de la H.A.S[3].
L’objectif du présent article est d’aborder l’enjeu de la prise en charge de l’autisme. Cela implique d’interroger la place que les politiques s’arrogent pour juger ce qu’est une « bonne pratique » selon les classifications de la H.A.S. Le danger menace de tendre vers une science d’État, avec les conséquences que l’on connaît quand le scientisme s’allie au pouvoir. À partir de quand les sciences sont devenues « la science » comme outil de propagande et religion d’État ? La question se pose puisqu’il s’agit de savoir de quelle scientificité il s’agit, de quoi parle-t-on ; soit, qu’est-ce qui nous permet de juger, voir pour certains, de légiférer sur la prise en charge des personnes diagnostiquées autistes.
La H.A.S préconise des pratiques « validées scientifiquement » telles que les pratiques développementales et comportementales. La vision scientifique de l’autisme, due à la prégnance d’un discours médical, impliquerait a fortiori de déterminer cette pathologie selon un trouble neuro-développemental précoce. Le cadre de lecture donné, soit trouble neuro-développemental précoce, permettrait une lecture dite scientifique, donc vraie de cette pathologie. Cette « vision vraie » déterminant ce qu’est une « bonne pratique » serait possible dans un discours où le chiffre a valeur de vérité, nous déterminerions ainsi, selon des critères statistiques, la manière de faire correctement avec chacun.
La bonne pratique selon cette autorité est déterminée par l’évaluation des psychothérapies. Les comptes rendus chiffrés permettant une évaluation dite scientifique des psychothérapies serait permise par le cadre scientifique dit « neuro-développemental » impliquant le traitement comportemental de cette pathologie. Ces pratiques sont classées selon ce que l’on appelle l’Evidence Based Médecine. L’E.B.M aussi appelée médecine factuelle aurait ainsi valeur de preuve, notamment au moyen d’études randomisées, où l’on fait une série de tests sur des patients pris au hasard. De fait, la H.A.S classifie les pratiques selon ces méthodes jugées scientifiques. Les pratiques les mieux notées pour la prise en charge des autistes sont les « thérapies » comportementales type A.B.A (applied behavioral analysis) ou T.E.A.C.C.H (Treatment and Education of Autistic and related Communication handicaped Children). De là, cette classification des pratiques fait autorité, une autorité non discutable puisqu’elle est instituée. Ces personnes considèrent que ces pratiques sont recommandées parce qu’elles sont les mieux classées. Le passage d’une « recommandation » par une autorité instituée à l’imposition par l’État français semblait, pour certains députés, aller de soi ce 8 décembre.
Ces méthodes sont des programmes d’apprentissage ayant pour objectif de permettre aux enfants autistes d’accéder à une scolarité dite « normale ». Il est dit que les objectifs à long terme sont « le développement des compétences » et « l’épanouissement des besoins humains fondamentaux que sont notamment la dignité, le fait de s’adonner à des activités utiles et personnellement significatives »[4]. Pour la méthode A.B.A l’objectif est de « développer les mêmes compétences que les autres enfants acquièrent naturellement »[5]. Toutefois les deux pratiques diffèrent quand même, la méthode T.E.A.C.C.H n’inclut pas exactement un forçage de l’enfant ou une éducation sous contrainte contrairement à ce qui a pu être reproché aux méthodes A.B.A. Ces méthodes seraient thérapeutiques puisqu’elles répondraient à l’interprétation de l’expert qui sait ce qui est bon pour la personne autiste. Il s’agit ainsi de normaliser ces enfants en fonction d’une norme préalablement définie. Cette norme définirait « les besoins humains fondamentaux ». Qui est-ce qui définit la norme ? Quelle est cette place que l’on donne au savoir de « l’expert » dans notre démocratie et quelle sont ces conséquences ?
Les autistes sont souvent en difficulté dans la sphère relationnelle. Ils demandent souvent un code, soit un moyen de savoir comment dialoguer avec les autres ou comment se comporter en société. Les méthodes comportementales répondent aussi à cette demande. Il s’agirait de trouver la juste mesure pour pouvoir répondre à leur problématique. Il s’agit pour la psychanalyse de mettre le savoir du côté de l’inconscient, mais c’est bien le patient qui a accès à son inconscient, le savoir est donc de son côté. La vision des méthodes comportementales diverge de celle de la psychanalyse, qu’en est-il du patient en tant que sujet ? C’est-à-dire sujet de l’inconscient, en tant que l’inconscient le détermine.
Prendre soin ou soigner est éthiquement parlant savoir écouter le patient. La clinique est étymologiquement l’écoute au chevet du patient (Kliniké). A défaut de ne pas savoir ce qui est bon ou non pour le patient, peut-être s’agit-il de le laisser dire ce qui est bon pour lui. C’est dans cet ordre que se place la psychanalyse. A la grande différence des méthodes précédemment cités où, elles, savent bien ce qui est bon ou pas pour l’autre. Comme le dit Jean-Claude Maleval[6], la psychanalyse est multiple, les pratiques psychodynamiques ont un point commun : l’écoute de l’autre. Pour Donna Williams, autiste de haut niveau, « la meilleur approche » serait « celle qui ne sacrifierait pas l’individualité et la liberté de l’enfant à l’idée que se font de la respectabilité et de leurs propres valeurs les parents, les professeurs comme leurs conseillers »[7].
Il serait de rigueur de considérer la personne autiste comme étant quelqu’un qui a à nous apprendre. Elle nous apprend qui elle est et comment elle fonctionne, et c’est par cette écoute que l’on opère d’un traitement au singulier. Ce que l’on nous demande est de ne pas diluer le singulier dans l’universel. Les études randomisées nous apprendraient selon le comportement d’une quantité jugée « respectable » (selon ce que l’on appelle à l’heure actuelle une science) de personnes diagnostiquées autistes, comment faire avec l’autiste singulier. Les exemples de personnes autistes revendiquant leur singularité sont nombreux. Fort de ses constats, nous pouvons raisonnablement nous inquiéter de la tendance à l’absolutisme porté par les tenants des méthodes comportementales. Selon certains il y aurait un discours unique portant la vérité sur le savoir-faire avec les autistes. Des méthodes qui viseraient à les normer, selon Donna Williams, en fonction de ce que veulent « les parents, les professeurs ou leurs conseillers »[8].
La psychiatrie et toutes ses sciences comme l’anthropologie et la psychanalyse ont pour fondement l’idée que le singulier est enseignant et porte en lui des caractéristiques qui peuvent être généralisable. La psychiatrie classique a ainsi développée une méthode scientifique dite de l’étude de cas, riche d’enseignement pour la conduite d’une thérapie. Or l’étude de cas n’est pas considéré valable du point de vue de la scientificité contemporaine, puisqu’elle ne satisfait pas aux modélisations statistiques et aux critères poppériens, si bien que la HAS écarte tout simplement les thérapies qui s’en orientent les considérants « inévaluable ».
La neutralité libérale de l’État cacherait derrière une évidence de sens commun un dogmatisme ignoré. Soyons vigilants à la vue du parti pris de certains politiques qui tendraient à s’accaparer un savoir qu’ils croient avoir ; et de fait, de tendre malgré eux vers un parti pris idéologique qui nous conduirait à une science d’État aux dépends de la liberté de pensée, et de pratique des uns et des autres. Une liberté qui répond nécessairement à ce que les patients attendent des praticiens, soit une liberté d’écoute. La démocratie, c’est le pluralisme, et nous soutenons aujourd’hui qu’on puisse garantir à chaque patient « la liberté de choix » de son traitement.
[1] www.assemblée-nationale.fr. (2016, décembre 8). Récupéré sur http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2016-2017/20170075.asp#P932104.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] https://www.soutien-educatif.fr/quest-ce-que-lautisme/7-teacch.html. (s.d.).
[5]http://www.abaautisme.org/index.php?option=com_content&view=category&id=3&layout=blog&Itemid=3. (s.d.).
[6] Jean-Claude Maleval est professeur émérite de psychopathologie à l’université rennes 2.
[7] http://laregledujeu.org/2012/02/15/8916/ecoutez-les-autistes/. (s.d.).
[8] Ibid.