On ne va pas continuer à faire de la publicité au Front National, la presse nationale s’en charge très bien, tout comme une partie des stratèges politiques qui, depuis 30 ans, joue avec le feu en se servant de la « bête immonde » pour gagner. Cette irresponsabilité s’exprime dans deux registres, le cynisme et la morale.
Tout en invitant les Français à faire barrage à la percée frontiste annoncée par les sondages, on compte sur sa présence en bonne place dans les urnes pour éliminer l’adversaire. Les élections régionales qui auront lieu en décembre sur la base des nouvelles régions ont déjà fait l’objet de ces calculs de coin de bureau. La triangulaire, difficilement praticable dans les récentes élections départementales compte tenu de la règle du scrutin (il faut obtenir 12,5 % des inscrits pour se maintenir au second tour, ce qui est encore plus difficile quand l’abstention est forte), fera la géométrie du vote régional : le FN devient un « allié objectif » pour conserver des majorités à gauche (puisque la majorité des régions sont à gauche) ou pour la droite en conquérir avec le risque tout de même que le parti de Marine Le Pen parvienne à remporter des régions. Nous verrons bien qui sera à la fête en décembre prochain !
Mais déjà, on peut s’attendre à des discours mobilisateurs qui en appellent, pour faire face au Front, à la constitution d’un… front républicain. Appelons cela la politique « front-front » et remarquons qu’elle ouvre un espace médiatique remarquable au FN, en en faisant l’un des centres d’intérêt de la campagne. Cela permet ainsi de compter sur sa présence au second tour à un niveau fatalement trop haut mais qui le sera peut-être moins que dans les prévisions. M. Valls aura donc la double satisfaction d’avoir freiné la montée de l’extrême droite tout en comptant sur sa présence au second tour pour contrer une droite poussive dont on a bien vu aux élections départementales qu’elle profitait au maximum, justement au second tour, du report des voix des électeurs du Front National.
La campagne électorale qui s’annonce se déclinera sur un mode défensif, sur les sentiments, les émotions, la peur de l’Autre, l’intérêt immédiat, la promesse corporatiste et les électeurs seront conviés à un acte profondément moral avec la présence de l’épouvantail FN dans le champ politique, révélateur de l’incurie de l’offre. Ce pourrait être au final une « drôle de campagne » avec une ligne de démarcation « front-front » pas si étanche que cela. À jouer de la triangulaire, la gauche de gouvernement pourrait perdre le citoyen dans une espèce de triangle des Bermudes électoral. On peut déjà dire que ses tactiques électorales de court terme, avec dans le viseur l’objectif de la présidentielle 2017, nuisent à l’avenir du pays en installant durablement dans l’imaginaire politique français Marine Le Pen dans le rôle d’une alternative respectable.
Cela est d’autant plus inquiétant que le thermomètre nationaliste français, toujours à bonne température, est sensible aux accès de fièvre. Il n’y a malheureusement pas – ce serait trop simple – que la hauteur de flamme du Front National à surveiller. Le pathétisme du nationalisme français se révèle dans un spectre politique plus large qui transcende la frontière politique droite-gauche. Il est évident que le terreau nationaliste, celui qui a pour horizon politique réflexif la frontière et son chapelet de sujets traités sur un mode binaire dans un souci de préservation d’une unité fantasmée, produit son cortège de nostalgiques incollables sur leurs références idéologiques puisées aux XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles. Ces « cultivés + » de l’école française aiment caresser dans le sens du poil – quand celui-ci se hérisse – le chauvinisme populaire. Cet esprit « Ligne Maginot » comme l’aurait qualifié Mendès France vient une nouvelle fois de s’exprimer par la voix du représentant d’un autre front. Dans un pamphlet intitulé « Le hareng de Bismarck », Jean-Luc Mélenchon, leader du Front de Gauche, a vomi une diatribe « anti-boches » ! Un nectar psychiatrique ! Cela ne nous rajeunit pas en nous renvoyant à la mémoire ces nombreux « poilus » qui ont compris tardivement, à la lueur des combats et au prix de leur vie, que le nationalisme conduit à la boue des tranchées, dans des guerres qui n’annulent pas les classes mais les purgent en organisant leur massacre entre elles. Les surenchères politiques et intellectuelles en faveur d’une expression nationaliste décomplexée flirtant avec le populisme, la démagogie et un amour inconsidéré pour les « grands hommes », à l’instar de Napoléon, créent un climat cocardier favorable à la radicalisation de la campagne qui se confondra une nouvelle fois avec un tour préliminaire de la présidentielle. Pas sûr que les régions en sortent grandit au pays du centralisme.
Il y a pourtant un espace politique qui se dégage à gauche pour une offre fédéraliste. Elle sera évidemment parée de tous les défauts dont le plus incorrect vu du rocher nationaliste serait le hors sujet qualifié tout de go d’identitaire. Traduction : « ennemi de la République ». Face à cette religion fondatrice de la légitimité française, le risque est de voir émerger dans un jeu de miroir une force bretonne aux accents nationalistes, nourrie par l’échec parlementaire à redonner à la Bretagne sa géographie et à porter une ambition fédéraliste en France. Dans le cas d’espèce, soigner le mal par le mal, avec la même posologie élitiste et fantasmé que l’État national, ne semble pas très approprié. Ce n’est pas d’une réaction sous le coup de la colère et des frustrations dont ont besoin les citoyens, mais d’une véritable offre politique de gauche, territorialisée, moderne dans son fonctionnement, crédible dans son projet et ses propositions. C’est peut-être une des manières d’échapper à l’ennui politique et au récif nationaliste qui affleure sur un chemin dangereux et fascinant pour une démocratie qui semble orpheline de sa sève, le choix…par conséquent le débat politique argumenté. Dans un contexte où la pauvreté augmente et où les cerveaux ne sont guère paisibles, l’indignation sonne comme un aveu d’impuissance. Loin de ce fatalisme des biens pensants, la gauche fédéraliste bretonne a le devoir de s’organiser afin que l’on entende la modernité de sa proposition démocratique.